PAYS DE JAREZ

 

HISTOIRE DES CLOUTIERS

 

 

Le métier de cloutier, ou plutôt de clostrier, suivant l'appellation utilisée du XVIe au XVIIIe siècle,  est l'un des plus souvent cités dans la littérature des historiens du Pays du Gier. Sans doute a-t-il été exercé d'abord par des forgerons jusqu'à la fin du Moyen-Age. C'est à cette époque que les paysans prennent le relais d'abord chez eux, et bien plus tard dans un atelier. Toutes les villes et villages, tous les hameaux du Pays du Gier ont un ou plusieurs cloutiers. Gérard CHAPERON, dans son livre sur Cellieu, nous en donne les raisons.

Comment expliquer l'apparition de la fabrication des clous par les paysans ?

1/ Le monde agricole vit modestement, et l'adjonction d'une autre source de revenus ne peut être que la bienvenue.
2/ L'hiver est peu propice aux travaux des champs et cette période peut être consacrée utilement à une autre activité.
3/ La présence de charbon dans le sous-sol permet d'alimenter les forges. A Cellieu, chacun fait sa taupière."
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Si le métier ne rapporte guère, il ne nécessite pas un outillage important : une forge, une enclume aux formes particulières, composées de plusieurs éléments, un bon marteau et quelques tenailles.

Deux matières premières sont indispensables : le charbon et le fer.

Durant l'hiver, on l'a vu, le paysan doit s'occuper et surtout trouver des petits métiers qui vont lui permettre de nourrir sa famille. Certains vont devenir "glaciers". Du Mont Pilat, ils descendent, sur Saint-Etienne, des blocs de glace chargés dans un tombereau tiré par des bœufs. Pour une meilleure conservation, ils font le trajet la nuit. Le retour ne se fait pas à vide. Ils passent par le plâtre d'un puits pour acheter de la maréchale, ce charbon gras qui va nourrir leur forge 2. Pour ceux qui habitent la vallée, c'est plus simple ; il suffit de se pencher, ou presque, pour trouver du charbon.

Quant au fer, il vient de plus loin, de Bourgogne ou de Franche-Comté, prêt à l'emploi sous forme de verges ou longues tringles que le cloutier va transformer en clous divers. Ce fer est livré en automne par le fabricant qui n'est rien d'autre qu'un marchand, un commercial, qui achète le fer, et le répartit chez les paysans en même temps qu'il passe commande. Il revient chercher les clous à la fin de l'hiver. Parfois aussi, le cloutier est autonome : il achète le fer au fabricant et revend lui-même ses clous au marché.

Si le métier ne paye pas beaucoup (On dit toujours "travailler pour des clous "), l'artisan est passionné. Il faut dire que la production est variée : au total, une centaine de clous différents :

- pour les chaussures : clous à tête bombée pour la semelle, les poterons ; à tête carrée pour renforcer le talon, les bourriquets ; et autres ailes de mouche et coterets à la pointe rabattue sur le pourtour.
- pour les bestiaux.
- pour les charpentes, les portes, les serrures ...
- pour la marine : les clous caravelle.
- et tous les autres : crampons pour les mines, les crochets, les pitons, les happes, les pattes, les rochets 2, ou, encore, les pointes à fiches, les gendarmes, les cambres, les ardoises les stuperolles, les largettes à 4 coups, les clous à 2 ailes, les clous de soufflet, les clous à Maugère...

Les registres paroissiaux permettent de trouver de véritables dynasties de cloutiers dès 1590, comme les Prénat que l'on retrouve, aussi, à la fin du XVIIIe siècle. Mais entre-temps, il sont devenus les ouvriers salariés d'une entreprise.

Suivant les auteurs, cette profession emploie de 6 000 à 10 000 ouvriers pendant l'hiver. Un bon artisan peut produire un millier de clous par jour ! La vente se fait au millier ou au kilogramme.

La profession va évoluer et passer de l'artisanat à l'industrie. Le fer est apporté en loupes ou en lopins et transformé sur place en verges, dans des fenderies. La première connue appartient à la famille de Moras, en 1692. Elle utilise un martinet, "marteau à bascule qu'une roue à cames, actionnée par la force hydraulique, met en mouvement. Les loupes de fer, venant toujours de Bourgogne, sont battues et étirées sous ce marteau. Le métal est alors poussé vers la fenderie. Une machine de bois et de fer, un espatard, sorte de laminoir, que meut aussi la rivière, découpe le lingot en barres parallèles de section carrée 4".

L'entreprise est située en face de l'hôpital où un maître-ouvrier, payé par l'hospice, apprend gratuitement le métier à des orphelins. Dans le courant du XVIIIe siècle, la famille Neyrand va acquérir cette entreprise. Propriétaire d'une fenderie et de mines de charbon, elle va développer ses activités et devenir l'une des premières industries de ce type dans la vallée. A son emplacement, la rue a gardé, aujourd'hui encore, le nom de "Rue de la Fenderie".

La fabrication des clous n'intéresse pas que les petits entrepreneurs locaux. Le 28 mars 1768, "M. Jean-Jacques Marquis de Gallet de Mondragon, premier du nom, achète à M. Charles-Louis-Auguste de la Vieuville, l'ancien marquisat de Saint-Chamond. Parmi les dépendances se trouve l'ouverture d'une mine de charbon de pierre, sous la surface du parc et du jardin, lequel charbon, y est-il dit, ferait subsister plusieurs fonderies de fer, grand nombre de manufactures de clous dans la ville de Saint-Chamond et les environs, notamment un artifice appartenant au Seigneur vendeur, appelé le Martinet où se fabriquaient des clous pour la marine et différents outils pour les vaisseaux…3"

En 1788, 7 fenderies existent sur "l'espace d'une lieue dans Saint Chamond et deux à Saint Julien 4.

Les clous sont vendus sur place, mais aussi exportés dans le sud de la France, notamment à l'arsenal de Toulon, et en Espagne.

Cette industrie va se poursuivre bien après la Révolution. En 1804, la Chambre Consultative des arts et manufactures de Saint Chamond est dirigée par plusieurs maîtres de forge, notables de la métallurgie. Par contre, le Conseil de Prud'hommes créé en 1811, composé de 7 membres, n'a qu'un patron cloutier pour représenter l'industrie du fer 4.

En 1832, trois fenderies demeurent à St Julien et 6 martinets d'Izieux à St Julien 4.

Ce n'est que dans la deuxième moitié du XIXe siècle que ce métier va progressivement disparaître, suite aux difficultés d'exploitation du charbon du fait des nouvelles lois sur les concessions minières.

De cette époque, il ne reste, dans la campagne, que quelques blocs de granit  qui ont servi à supporter les petites enclumes des cloutiers et ... quelques expressions : mettre au clou, se faire mettre au clou, rouler sur un vieux clou, le clou de la soirée, ça ne vaut pas un clou, des clous !, maigre comme un clou, pour des clous, un clou chasse l'autre, enfoncer le clou, river son clou à quelqu'un, traverser dans les clous...

 

   
                                          Clous provenant d'une porte du château de Montuclas (Loire - XVIe siècle)  

 

 

 

 

 

 

HISTOIRE DES EPINGLIERS

 

 

L'histoire des épingliers est beaucoup plus courte. Les historiens sont moins prolixes sur ce sujet. Seul James Condamin signale que, dans les années 1630, travaillaient deux épingliers dans la ville de Saint Chamond 5. Sans doute y en avait-il d'autres dans le Pays du Gier.

Outre pour les fabricants d'épingles, ce nom d'épinglier était donné, dans la corporation des cloutiers, aux maîtres qui ne produisaient que les pièces les plus fines 6.

Ces épingles étaient en laiton, en cuivre ou en fil de fer, polies ou recouvertes d'étain, avec pointe et tête. Elles servaient surtout à orner les coiffures des dames, à décorer les vêtements, parfois, aussi, … à réunir des documents.

Si nous avons réuni ces deux métiers dans ce même dossier, c'est essentiellement parce que les outils nécessaires sont très peu nombreux, tout en étant différents.

Dans l'Encyclopédie de Diderot et d'Alembert, dans le volume intitulé "TRAVAIL DU FER", il est intéressant de voir l'intérêt que portent les auteurs à ce métier. La présentation de cette fabrication fait référence "à la façon dont on fabrique les épingles à Laigle en Normandie". L'Aigle avait un quasi-monopole pour la fabrication des épingles : ses entreprises exportaient leurs productions dans toute l'Europe. La description est très détaillée : description habituelle des outils, mais aussi leur prix, différentes phases de la fabrication, longueur, poids, prix de revient, de vente des épingles et bénéfice ! C'est à lire 7. Sauf erreur de notre part, aucun autre métier n'est présenté avec tant de précisions dans cet ouvrage.

Comme le clou, l'épingle est à l'origine d'expressions bien connues : coup d'épingle dans un contrat, être tiré à quatre épingles, monter quelque chose en épingle, tirer son épingle du jeu, virage en épingle à cheveux...

 

 

 

 

Bibliographie

1 Gérard Chaperon, Cellieu, Actes graphiques, Saint Etienne, 1999

2 Bernard Plessy, La vie quotidienne en Forez avant 1914, Ed. Hachette 1981

3 Gérard Chaperon, Saint Chamond Au fil du temps, Actes graphiques, Saint Etienne, 2010

4 Le Jarez d'hier et d'aujourd'hui, Amis du Vieux St Chamond n° 21 Reboul imprimerie

5 James Condamin, Histoire de St Chamond, A.Picard 1890 réédition Reboul Imprimerie 1996

6 Alfred Franklin, Dictionnaire Historique des Arts, Métiers et Professions exercés dans Paris depuis le treizième siècle H. Welter éditeur en 
  1906 réédition Bibliothèque des Arts, des Sciences et des Techniques, 2004

7 Diderot et d'Alembert, L'ENCYCLOPEDIE, Travail du fer, Bibliothèque de l'Image, MAME imprimeurs, TOURS 2002.