PAYS DU GIER

 

 

HISTOIRE DES MÉTIERS DE LA PIERRE

 

 

 

Dans les "Métiers de la pierre", nous regroupons plusieurs professions utilisant ce matériau : ardoisier-couvreur, cantonnier, carrier, paveur, rhabilleur de meule, tailleur de pierre, sculpteur sur pierre.

Ses métiers, un peu secondaires par rapport à ceux qui ont été à l'origine des heures de gloire de notre Pays du Gier, n'ont pas donné lieu à de grands développements de la part de nos historiens locaux. Dans notre petite bibliothèque, nous avons tout de même réussi à extraire ces quelques lignes.

La pierre, matériau très lourd, a été recherchée, avant tout, dans notre vallée. Quelques notions de géologie s'imposent.
Le mont Pilat est constitué surtout de granite, de gneiss et de micaschistes.
La vallée du Gier est assise sur un bassin houiller. On y trouve des conglomérats, des brèches et poudingues, du grès houiller.
Les monts du Lyonnais, comme le mont Pilat, sont constitués de granite et de gneiss, ce dernier pouvant être schisteux et très dur 1.

Le grès houiller est donc "LA" pierre de notre vallée. Depuis toujours, elle a été utilisée pour la construction des bâtiments, comme pierre de taille. Malheureusement, peu résistante aux intempéries, elle est à l'origine de démolitions précoces, de travaux incessants, encore de nos jours. A priori, elle ne peut être utilisée pour les sculptures.

Le bâtiment le plus ancien dont il nous reste encore quelques traces, l'aqueduc romain du Gier, a reçu un parement taillé souvent dans cette pierre. Cela explique en partie la démolition quasi-totale de l'aqueduc dans notre vallée. En partie seulement, car l'homme et la négligence des pouvoirs publics n'ont rien arrangé au fil du temps, et encore dans des temps récents : les arches ont presque toutes disparu : il en reste quelques' unes sur la commune de Saint-Joseph. Heureusement, on en trouve davantage et en bon état dans le Rhône, en particulier à Mornant, Chaponost, Beaunant… Les parties visibles de ces arches présentent un appareil réticulé, l'opus reticulatum, qui sert de parement constitué de pierres taillées, carrées du côté visible, effilées à l'intérieur et posées en biais sur un angle du carré. L'ensemble a l'aspect d'un filet, ou rets.

On a longtemps cru que cet ouvrage, long de 86 km, avait été construit par l'empereur Hadrien, vers 120 après J.C. La découverte d'une fontaine publique au nom de l' empereur Claude, du début de notre ère, a remis en question la datation de cet aqueduc. Ceci dit, l'importance de cette construction a nécessité la préparation de kilomètres de ces pierres taillées : les carriers et tailleurs de pierre, gallo-romains, devaient être très nombreux. Seul leur travail a traversé les siècles.

Au Moyen-Âge, les carriers et les tailleurs de pierre appartiennent à la corporation des maçons. Sans doute est-ce pour cette raison que certains outils sont difficiles à classer dans l'un ou l'autre métier.

Il faut attendre le XVIIe siècle pour que soient évoqués les tailleurs de pierre et les carrières et ce, uniquement pour la ville de Saint-Chamond.

Le Mouillon, à Rive de Gier, n'est cité que pour ses mines de charbon, alors que les pierres des parements des arches venaient en grande partie d'une carrière de grès houiller située dans ce même quartier. Dans un document de la ville de Rive-de-Gier 5, on découvre que cette carrière fonctionne encore en 1864, date de construction du Pont de l'Hôtel de Ville, qui disparut en 1936 avec la couverture du Gier. On peut penser que de nombreuses constructions utilisèrent ces pierres, comme l'église Notre-Dame, l'Hôtel du canal, devenu mairie de la ville, le canal lui-même qui datent de la fin du XVIIIe siècle, début XIXe

A Saint-Chamond, les carrières sont situées juste derrière l'immense château, sur la colline de St Ennemond qui domine la vallée. On en a une description très courte, datant de 1750, dans le cadre de la présentation de la mine de charbon dite du Parterre : " Cette mine est située sur la hauteur qui domine Saint-Chamond, derrière le château. Un chemin facile y conduit. Le premier objet qui se présente à la vue est une vaste carrière dont le front hors de terre peut avoir 80 pieds d'élévation. En bas, on perçoit l'entrée de la galerie par laquelle on descend dans la mine 2". Nous n'en saurons pas plus : manifestement, elle est à ciel ouvert. On peut la voir encore, au milieu d'un lotissement de la rue, bien nommée, des Carrières qui débouche sur la route de Chavanne.

Très logiquement, les tailleurs de pierre se retrouvent sur cette même colline de St Ennemond comme l'attestent les registres de cette paroisse. En 1670, Antoine Rivaud est installé rue Froide. En 1822, des tailleurs sont signalés rue des Portes. Le recensement de 1841 en compte 17, à Crupisson, 18 en 1852.

La présence de sculptures anciennes prouve, également, l'existence de sculpteurs sur pierre. Dans l'article sur l'Histoire de la vie quotidienne dans le Pays du Gier, nous parlons des puits aux décors multiples, malheureusement en très mauvais état. Le grès houiller est toujours présent ! D'autres sculptures évoquent les métiers, comme cette navette, datée de 1575, sur un mur de la maison Flachat ou encore des fuseaux, des roquets ou navettes gravées dans les dalles de l'église Saint Pierre.

Nous avons cité le quartier de Crupisson, ou Croupisson, selon les auteurs. Ce nom vient d'une famille, une véritable dynastie de tailleurs de pierre installés au pied du château, dès le début du XVIIe siècle. Selon F. Gonon, ils étaient propriétaires de la carrière de pierres. En parcourant un site de généalogie, nous avons remarqué que les Croupisson habitaient sur la commune de Saint-Etienne contrairement aux Crupisson qui sont bien des habitants de Saint-Chamond, du moins la plupart d'entre eux. Les deux familles étaient-elles parentes ? Était-ce simplement une erreur – assez fréquente – dans la rédaction d'un évènement familial : mariage, baptême ou décès ? Quoi qu'il en soit, ce quartier existe, encore, de nos jours et l'orthographe "Croupisson" est restée dans les mémoires. Étant seuls à posséder une carrière, ils ont vraisemblablement fourni toutes les pierres nécessaires à la construction de nombreux bâtiments à cette époque : église Saint-Pierre, église Notre-Dame, couvent des Minimes, aménagements du château, collégiale Saint-Jean-Baptiste, Hôtel-Dieu, de très grandes fermes dans toute la vallée, sans compter les hôtels particuliers que se faisait construire la bourgeoisie locale née des industries textiles, métallurgiques ou minières.

Petite parenthèse : si l'on fait l'historique des églises de toutes les communes du Pays du Gier, on s'aperçoit que plusieurs d'entre elles ont fait l'objet de travaux très importants, et ont été détruites dans la deuxième moitié du XIXe siècle. Elles ont été remplacées par des églises de style néo-gothique, construites encore une fois avec les pierres locales avec les conséquences que l'on pouvait attendre. Pour n'en citer qu'une, l'église Notre-Dame est fermée au public depuis une dizaine d'années. Les travaux engagés ont permis d'améliorer l'aspect extérieur, mais pas la solidité : l'un des deux clochers qui menaçait de s'effondrer sur des maisons voisines a été démonté. Des pierres tombent régulièrement au niveau du portail de l'entrée qui, bien sûr, est condamnée. Un casse-tête pour les élus ! Refermons cette parenthèse.

[A noter que depuis la rédaction de cet article en février 2016, de nouveaux travaux  ont été effectués. Le bâtiment semble désormais sécurisé.]

F. Gonon est, sans doute, l'historien qui évoque le plus souvent la famille Crupisson. Il note l'existence, dans le quartier de la Rive qui précède l'esplanade du château, d'une maison sur laquelle on peut lire "François Crupisson 1628". Il décrit, également, les sculptures que porte le manteau de la cheminée de la maison des Crupisson qui existait encore en 1944. On peut y lire notamment : "Fais ce que tu voudrais avoir fait quand tu mourras", signé "Antoine Crupisson 1668". Les références à cette famille sont nombreuses :

- d'après les archives, toutes les pierres qui ont permis d'édifier la 3ème église Notre-Dame, à partir de 1626, ont été fournies et taillées par Crupisson.

- les pierres des deux clochers de cette église sont fournies par Crupisson, maître-carrier en 1663 et 1667.

- la solidité de ces deux clochers laissait à désirer : le clocher nord s'écroulait avant d'être entièrement terminé. L'église elle-même n'offrait pas de garanties de solidité ; elle fut exhaussée du sol dès 1683 par des charretées de pierres fournies par Crupisson… Les corniches, plinthes et balustres du devant de l'église furent fournies et façonnées par Crupisson et Fouret en juillet 1699 3". Maître carrier, tailleur de pierre, Crupisson était, donc, aussi sculpteur.

James Condamin, dans son monumental ouvrage sur Saint-Chamond, évoque le Marquis de Mondragon, dernier seigneur de la ville avant la Révolution, qui, pour favoriser ses projets de construction, avait déjà fait don de toutes les pierres qui seraient tirées de ses carrières. S'agissait-il d'autres carrières que celles du Parterre ? On peut en douter. Cela laisse entendre que les Crupisson, faute de descendance "compétente", auraient vendu leur carrière au XVIIIe siècle.

Pour l'instant, notre histoire des carriers et tailleurs de pierre s'arrête là.

 

Les ardoisiers-couvreurs appartenaient, comme tous les couvreurs, à la corporation des charpentiers jusqu'en 1314. Devenus indépendants, ils ont leurs premiers statuts en 13216. Nous n'avons trouvé aucune mention de ces artisans dans l'histoire locale, et pour cause : notre région ne dispose pas de carrières d'ardoise. Les toitures sont donc constituées, le plus souvent, de tuiles en terre cuite. Les quelques outils que nous vous présentons viennent, donc, tous d'ailleurs.

 

Les cantonniers n'ont pas plus de chance. Responsables d'un "canton", ils sont chargés de l'entretien des chemins. Le développement des transports en véhicule hippomobile est à l'origine de dégâts considérables sur ces chemins de terre, en particulier par temps de pluie. Il faut donc empierrer le sol et pour cela casser des cailloux. Le marteau est donc l'outil le plus utile, à côté d'autres instruments du monde agricole. Au Moyen-Âge, ce travail fait partie des "corvées" que le paysan doit à son "seigneur et maître".

 

Le paveur n'a dû arriver que très tard dans notre vallée. Le premier à avoir pensé à ce revêtement est le roi Philippe-Auguste (1165 – 1223) à cause de l'odeur pestilentielle qui se dégageait de la boue lorsque passaient des chariots. Charité bien ordonnée commençant par soi-même, il exigea que les rues principales de Paris soient pavées. En réalité, cette idée est beaucoup plus ancienne : les Romains nous en ont laissé de nombreux témoignages.

 

Les rhabilleurs de meule sont ignorés d'Alfred Franklin et du dictionnaire Larousse. [On ne rencontre que les "rhabilleurs", ouvriers chargés d'entretenir les mécanismes d'horlogerie.] Et, pourtant, ils sont nombreux à aller de moulin en moulin. Notre Pays du Gier compte, dès le Moyen-Âge, de très nombreux moulins à farine dans la haute vallée du Gier et la vallée du Dorlay. Le rôle de ces artisans est primordial. Les grains de céréales sont écrasés par la meule tournante, verticale, sur la meule dormante horizontale. Cette dernière perd progressivement son aspect granuleux, ce qui, à terme, peut provoquer un échauffement nuisible pour la farine. Il faut donc le lui redonner en creusant des rayons sur sa surface. Là encore, un marteau est indispensable. Au fil du temps, les meuniers, souvent propriétaires de ces marteaux, se chargent eux-mêmes de ce travail.

 

 

Bibliographie


1 Jean Burdy, L'aqueduc romain du Gier, Imprimerie Bosc Frères, 1996

2 Gérard Chaperon, Saint Chamond Au fil du temps, Actes graphiques, Saint Etienne, 2010

3 François Gonon, Notre Vieux Saint-Chamond, 1944, réédition par les Amis du Vieux Saint-Chamond, Reboul Imprimerie 1992

4 J. Condamin, Histoire de St Chamond, A.Picard 1890 réédition Reboul Imprimerie 1996

5 https://issuu.com/rivedegier/docs/plaquette_patrimoine_les_ponts_sur_

6 Alfred Franklin, Dictionnaire Historique des Arts, Métiers et Professions exercés dans Paris depuis le treizième siècle H. Welter éditeur en 1906 réédition Bibliothèque des Arts, des Sciences et des Techniques, 2004