PAYS DU GIER

 

 HISTOIRE DES JARDINIERS

 

 

De tout temps, les hommes ont cherché à obtenir de la terre leur alimentation quotidienne. Pour y parvenir, ils défrichent le sol, abattent les arbres qui couvrent une grande partie de leur espace. Les terres  s'épuisant naturellement au fil des années, il faut recommencer, un peu plus loin, en les laissant  à l'abandon, au mieux en jachère, pour quelques années. Le passage de ce nomadisme au sédentarisme se fait progressivement, sur plusieurs millénaires grâce à l'évolution des techniques d'enrichissement des terres, l'alternance des cultures, l'invention d'un nouvel outillage.

Notre pays du Gier ne fait pas exception. Au temps des Ségusiaves, puis des Romains, des Burgondes, des Francs, si de grandes propriétés existent déjà, le nomadisme n'a, pour autant, pas disparu, du moins pour les plus pauvres, à cause notamment, de l'épuisement des sols. A partir des VIe et VIIe siècles, l'appropriation des terres par les seigneurs laïques ou ecclésiastiques permettent aux tenanciers (voir l'Histoire de l'agriculture dans le Pays de Jarez) de rester en place, de construire une maison solide transmissible à leur descendance.2

Le jardin, à l'origine "nourricier" pour le manant, devient aussi source de médicaments et de fleurs, à l'initiative des moines qui transmettent leur savoir à toute la population, notamment aux plus démunis.

Pour les plus riches, les jardins d'agrément, utilisés pour la détente depuis la plus haute antiquité, connaissent un nouvel essor dans notre pays à la Renaissance, sous l'influence toscane. Melchior Mitte de Chevrières en fait profiter largement la ville de Saint Chamond, tant sur le plan architectural que sur le plan végétal. L'adaptation de cette influence aboutit à la création du jardin à la française où règnent symétrie, géométrie, ordonnancement calculé ouvrant sur le paysage voisin et aussi statuaire de pierre ou de bronze. L'eau y joue un grand rôle : forme, hauteur, bruit des jets d'eau font partie intégrante de la composition du jardin. Caché, mais toujours utile, le potager est composé de mélanges de plantes dont les couleurs apportent une touche particulière à chaque carré.

Si le mot jardin est prononcé fréquemment dans les documents concernant le Pays de Jarez, peu de détails nous sont parvenus.

On peut imaginer que les vilains et les serfs exploitent un jardin pour leur propre compte, moyennant quelques redevances à leur seigneur et maître.

En 1289, à la mort de son mari Gaudemar II de Jarez, la châtelaine de Châteauneuf, Béatrice de la Tour du Pin, de Roussillon, dite la Dame du Jarez, fondatrice de la Chartreuse de Sainte Croix en Jarez,  fait don de ses "Terres de Planèze" (230 bicherées) aux plus pauvres de la paroisse de Saint Julien en Jarez. Leur gestion est attribuée à la fabrique (conseil paroissial de l'époque) de cette même paroisse qui partage ces terres suivant les besoins des familles les plus nécessiteuses.2

Dans un monitoire de 1661 faisant suite à l'agression d'un riche bourgeois de Saint Chamond dont la demeure jouxte la rivière Gier, on lit cette ébauche de description : "…Ledit Quidam eschella le jardain dudit Vachon Père, scis au Fort dudit S. Chamond, quoy que les murailles soyent de   l'auteur  de  plus  de  deux  toises. Entra  dans  ledit  jardin  et, de  rage, coupa tous  les  laurier  jassemains, bourdures de buis et autres arbres à fleurs, arracha ou coupa toutes les herbes potagères, qu'il ietta dans la rivière ioignant audit jardin,…4" , jardin nourricier, mais aussi d'agrément.

Les jardins ouvriers sont créés beaucoup plus tard, au XIXe siècle.  Les premiers sont expérimentés à Sedan, par Mme Félicie Hervieu. Dans notre région un père jésuite, le père Volpette,  cherche des terres non cultivées  à mettre à la disposition des ouvriers : moyen pour les aider à faire vivre leur famille, occuper leurs loisirs, et surtout "les détourner du cabaret et des mouvements ouvriers naissants. 2"

Que cultive-t-on dans ces jardins ?

D'abord, des plantes qui permettent de se nourrir. Parmi celles-ci (plusieurs centaines), on peut citer : persil tubéreux (dit de Hambourg, très apprécié par Charlemagne), panais (ancêtre de la carotte qui entre, avec le navet et le chou, dans la composition de la poule au pot ou du pot au feu)3, pois secs, scorsonères, ortie, chénopode blanc, poireaux, arroche ainsi qu'arroche-épinard et mauve pour la constitution de bouillies ; s'ajoute l'oseille, dans la  deuxième moitié du XVIIe siècle. La pomme de terre, arrivée en France au XVIIIe siècle et d'abord regardée avec méfiance, n'est vraiment cultivée qu'à partir du XIXe siècle. D'autres plantes servent d'aromate, de condiment (ail, oignon, persil, fenouil…).4

Pour se soigner, le paysan utilise les "simples" c'est-à-dire des variétés végétales possédant des vertus médicinales : bien souvent, une plante correspond à un type de maladie, à un organe. Elles sont, soit cultivées dans le jardin, soit cueillies, plantes sauvages des prés et des pâtures ou comme mauvaises herbes du jardin : mauve, mélisse, serpolet, bouillon blanc (plantes pectorales) ; armoise, pensée sauvage, achillée millefeuille (à vertu digestive) ; oignon rouge, rue, lavande (bactéricide, antiseptique) ; verveine, arnica, vin de sureau  (sudorifique) ; eau de noix, huile de ricin (maux de ventre)... La liste est très longue. La plupart de ces plantes sont indigènes ou importées dans notre région depuis l'Antiquité. D'autres ne nous sont parvenues que beaucoup plus tard, comme la menthe poivrée (affections gastriques et hépatiques), au XVIIe siècle.1, 5

Enfin, les riches propriétaires terriens, laïques ou religieux, créent depuis des millénaires leur jardin d'agrément. Dès l'époque romaine, on rencontre rose, pavot, narcisse, lis, jacinthe, pervenche, bleuet…A partir du VIIIe siècle, sont mentionnés joubarbe, iris, guimauve, sauge, lis blanc. Au Moyen-âge, apparaissent anémone, primevère, renoncule, pivoine, muguet, œillet, giroflée…Ces fleurs sont souvent importées par les voyageurs : envahisseurs, guerriers des croisades, explorateurs, pirates. Ce mouvement s'intensifie à la Renaissance et surtout au XIXe siècle. Ces plantes interviennent dans l'esthétique du jardin : couleur, mouvement, odeur. Elles ont  aussi un rôle secondaire non négligeable. Rôle médicinal, on l'a vu. Rôle hygiénique avec la saponaire, pour laver le linge. Rôle artisanal avec les fruits de la cardère, pour carder la laine…

Au XXe siècle, l'attrait du jardin  ne fait que croître  pour son aspect nourricier (bien utile en temps de crise) et son rôle décoratif. Les jardineries se multiplient, les variétés aussi, grâce à des passionnés, à des organismes publics ou privés et aux facilités de transport. Le jardin est aussi devenu un lieu de détente, de réflexion, de silence, même si, au fil des années, pour le jardinier, la terre semble de plus en plus basse.

 

 

 

 

 

 

Bibliographie

1      B. Plessy, La vie quotidienne en Forez avant 1914, Ed. Hachette, 1981

2      G. Chaperon, Saint Chamond, Ed. Actes graphiques, 2010

3      J.Lapourré, Histoire de la ville d'Izieux, Imprimerie de la Loire Républicaine 1921, Réédition par Les Amis du Vieux Saint Chamond, Reboul Imprimerie 1990

4      F. Gonon, Notre Vieux Saint-Chamond, Reboul imprimerie, 1944

5      Association PONEMA, http://jmonet.free.fr/Site/fleurd'autrefois.htlm