PAYS DU GIER
HISTOIRE DES GRAVEURS
CISELEURS
Nous avons quelques difficultés pour aborder l'histoire de ces métiers. D'abord, parce que les historiens, une fois de plus, l'ont complètement négligé dans notre Pays du Gier, au profit de leurs confrères de Saint-Etienne. Ensuite, parce que pour une technique de gravure donnée existait une corporation, alors que les ciseleurs ne formaient pas une communauté particulière : orfèvres - surtout -, bijoutiers, armuriers, fourbisseurs, arquebusiers, serruriers, couteliers usaient de cet art, librement. Enfin, ces deux métiers se distinguent par la façon de réaliser la décoration : alors que le graveur enlève de la matière avec burin ou acide, le ciseleur la comprime avec marteau et ciselets ou échoppes.
Alors, que les spécialistes nous pardonnent nos erreurs éventuelles et, bien sûr, qu'ils n'hésitent pas à nous corriger, comme cela fut fait pour le bourrelier.
Pour en parler, nous utilisons des livres anciens numérisés par la BnF et Google, rédigés par Savary, Jaubert et Baudrimont.
Dans son dictionnaire de 1741, Savary nous donne la liste des différents graveurs en fonction du matériau utilisé : graveurs sur pierres précieuses, sur acier, graveurs en taille-douce, en bois, en métal, et graveurs et doreurs sur fer.
La gravure sur pierre précieuse est arrivée tardivement en France et il semble que les premiers essais ont été loin d'égaler ceux des égyptiens ou assyriens, quelques millénaires auparavant. Les maîtres-lapidaires, encore appelés estaliers et pierriers de pierre naturelle, obtinrent leurs statuts en 1290, statuts qui furent remaniés à de nombreuses reprises. En 1584, ils furent établis en un corps de nouvelle jurande, mais ce n'est qu'en 1613 qu'ils purent se libérer de la domination des maîtres-orfèvres. Ils prirent le nom de Maîtres de l'art et métiers de lapidaire, tailleurs de diamants, de rubis, tailleurs de camayeux, graveurs et cristalliers… Avec le temps, ils ont acquis la meilleure des renommées.
La taille est réalisée à l'aide d'un tour de nature variable suivant la pierre à tailler. Pour le diamant, la roue est en fer doux. La poudre de diamant délayée dans l'huile d'olive permet taille et polissage. Pour le rubis, la topaze, le saphir, la roue est en cuivre : une poudre de diamant dans l'huile d'olive sert à la taille ; le polissage se fait à l'aide de tripoli (arbre fossile ou schiste !?) détrempé dans de l'eau. Et une brosse en poils de cochon. Pour d'autres pierres, on utilise encore une roue en plomb ou en bois pour la taille, en étain et tripoli pour le polissage. La taille en creux nécessite des outils en fer ou en cuivre, fixés sur l'arbre du tour : bouterolles, pointes, scies…
La gravure en creux ou en taille douce consiste à graver sur plaque de cuivre, au burin ou à l'eau-forte, des dessins représentant des paysages, des sujets d'histoire, des fleurs… Elle a remplacé la gravure en bois, sauf pour les très grands ouvrages comme les tapisseries de papier. La plaque de cuivre fait d'abord l'objet d'un polissage : sous un courant d'eau, d'abord avec du grès, puis avec une pierre ponce, une pierre à aiguiser, et enfin du charbon de bois de saule ; et pour terminer, la plaque est couverte d'huile et travaillée au brunissoir en acier.
Outre la plaque de cuivre rouge, la gravure au burin nécessite un coussin en cuir rempli de laine ou de son pour soutenir la plaque : a priori, le burin a toujours la même direction ; les courbes sont obtenues en faisant tourner la plaque sur le coussin. Autres outils : une pointe d'acier pour tracer, des burins, un brunissoir-grattoir, une pierre à huile pour affûter les burins et un tampon de feutre noirci dont on frotte la planche pour en remplir les traits et les mieux distinguer. Les burins sont en losange ou en carré, ni trop longs, ni trop courts, parfaitement aiguisés, à pointe jamais émoussée.
Pour la gravure à l'eau forte, les outils sont semblables : pointes, échoppes, pierre à huile et brosse de nettoyage. Après dégraissage au blanc d'Espagne, la plaque, manipulée avec des étaux à main, est recouverte d'un vernis, dur ou mou, étalé sur la plaque de cuivre préchauffée, puis noirci à la flamme de bougie. Baudrimont en donne plusieurs recettes : asphalte, mastic en larmes, cire vierge ou ambre jaune, asphalte, mastic en larmes, cire vierge ou encore asphalte, poix noir de Suède, poix de Bourgogne, cire vierge. Ces mélanges sont sensibles à la température. L'auteur propose sa propre préparation utilisable en été comme en hiver : gomme copal, asphalte, gomme animée, cire. Le dessin que l'on se propose de graver est décalqué sur un papier transparent à l'aide de petites pointes émoussées ou d'un crayon. On renverse, ensuite, ce calque sur la planche vernie, le dessin en dessous, de manière qu'on voie à travers le papier, à gauche ce qui est à droite dans l'original, et inversement. On interpose, entre la planche et le calque, un papier mince dont une face celle qui touche le vernis, est recouverte d'une couche de sanguine en poudre, ou de mine de plomb, ou de vermillon, ou, enfin, de blanc d'argent rendue adhérente au papier par le frottement. Le calque ainsi placé, on passe sur tous les traits une pointe un peu mousse, et ils se trouvent suffisamment marqués sur le vernis. Si celui-ci a été enlevé, à certains endroits, par erreur, il est possible de recouvrir les égratignures avec un mélange noir de fumée – vernis de Venise.
Un bourrelet de cire à border est appliqué sur les 4 côtés de la plaque pour retenir l'eau forte, blanche ou verte (sels de sodium, d'ammoniaque et sulfate de cuivre ou acide nitrique et nitrate de cuivre…), qui est versée sur ce dessin : elle attaque le cuivre à l'endroit où les pointes ont enlevé le vernis. Le temps de contact varie suivant le contraste que l'on souhaite donné au trait. Un mélange de suif et d'huile permet de ralentir l'attaque du métal. La plaque est enfin lavée à l'eau claire, puis chauffée pour éliminer toute trace de vernis.
Dans le cadre de la gravure en taille douce, rentrent d'autres types de gravures : à la manière noire, au pointillé, à l'aquatinte, au lavis, à la roulette…
A l'inverse de la taille douce, dans la gravure en relief ou d'épargne, on enlève la matière qui forme le fond de la planche en épargnant ou en réservant les traits du dessin.
La gravure sur acier concerne la fabrication des médailles, des jetons et des monnaies. A l'aide de ciselets, d'échoppes, de rifloirs, d'onglets, de matoirs, de burins, le graveur cisèle sur un poinçon de fer et d'acier non trempé le dessin en relief qui doit figurer sur la médaille… Lorsque la gravure est terminée, le poinçon est trempé pour accroître sa dureté. A l'aide d'un marteau, il est frappé contre une matrice cubique, appelé aussi carré, en acier, préalablement recuite qui va prendre l'empreinte en creux. Les détails sont affinés avec poinçons, ciselets… Pour contrôler la gravure en creux, le graveur réalise une épreuve soit avec un mélange de cire, de térébenthine et de noir de fumée, soit avec du plomb fondu sur un papier et sur lequel la matrice est renversée - c'est le plomb à la main -, soit avec du soufre fondu suivant le même principe qu'avec le plomb, soit, enfin, avec une carte placée sur le creux de la matrice, recouverte ensuite d'une feuille de plomb qui est frappée au marteau jusqu'à ce que la carte prenne l'empreinte. Lorsque la gravure est parfaite, on trempe la matrice, on la nettoie et on la polit avant de la porter au balancier pour y frapper médailles, jetons ou monnaies.
La gravure en bois consiste à réaliser ce que l'on appelle des cachets, ou, à notre époque, des tampons. Le dessin est donc en relief. Le bois est du poirier ou du buis. Les seuls outils nécessaires sont un canif, des ciselets et des gouges. La gravure peut être réalisée directement sur le bois. L'auteur du dessin peut également réaliser celui-ci, à l'encre, sur un papier aux dimensions de la planche de bois. Ce papier est appliqué sur la planche qui s'imprègne de l'encre et permet, ainsi, de reconstituer le dessin. On utilise ce type de gravure pour réaliser les lettres initiales dans les imprimeries, pour reproduire des instruments, des figures de géométrie, des machines… dans des encyclopédies, des catalogues de vente ou encore des tapisseries en papier, ou des cartes et panneaux publicitaires.
La gravure en métal concerne la fabrication des sceaux, des cachets, des marteaux à marquer le cuir, des marteaux de forestier ou encore de divers poinçons pour les orfèvres, les relieurs sur cuir, les doreurs sur cuir, les potiers d'étain.
La gravure et dorure sur fer et acier, trempé ou non, relève des maîtres fèvres-couteliers.
Nous n'en dirons pas plus : il faudrait une dizaine de pages pour présenter plus en détails ces techniques. Nous espérons que ce résumé permet d'avoir une idée sur la façon de procéder, entre le XVe et le XIXe siècle. Pour les personnes intéressées, nous conseillons la lecture du texte de l'ouvrage de Baudrimont rédigé en 1838. Il va de soi que le métier ne se pratique plus exactement de la même façon : la composition des vernis, de l'eau forte, a évolué avec l'amélioration des connaissances en chimie. Par contre, les outils manuels sont toujours semblables : informatique et robotique ne sont pas encore arrivées à supplanter le savoir-faire humain.
Pistolet de voyage ou de marine du XVIIIe |
Pistolet de voyage du XVIIIe siècle, |
Gravure en taille douce |
Bibliographie
Jacques Savary des Bruslons, Dictionnaire Universel de Commerce, Veuve Estienne, Paris 1741, BnF Gallica.
Abbé Jaubert, Dictionnaire Raisonné Universel des Arts et Métiers, Fr. Didot, Paris 1773, Google Books.
A.Baudrimont, Dictionnaire de l'Industrie Manufacturière, Commerciale et Agricole, Méline, Cans et Compagnie, Bruxelles, 1838,
Google Books.