PAYS DU GIER

 

HISTOIRE

 

DES ARPENTEURS ET DES GÉOMÈTRES

 

 

Comme pour de nombreux autres métiers artisanaux, les arpenteurs et les géomètres n'ont pas attiré l'attention de nos historiens locaux. Nous pourrons trouver quelques noms en consultant les registres paroissiaux des communes du Pays du Gier : un travail titanesque que nous entreprendrons, peut-être, lorsque nous aurons présenté tous les outils, ustensiles, instruments… que nous possédons dans tous les domaines.

Pour l'instant, nous ne pouvons qu'évoquer l'histoire de ces deux métiers depuis que l'homme construit des maisons, délimite des propriétés.

Certains font remonter l'art de mesurer à la préhistoire, un art approximatif mais quasi certain. Nous n'en avons pas la preuve. Nous pouvons, par contre, être sûrs que le mesurage devient nécessaire dès que l'homme construit, cultive, irrigue. C'est le cas en Mésopotamie, en particulier en Chaldée, dès le Ve millénaire av. J.C. : il faut délimiter les terrains entre les propriétaires, construire des maisons privées ou publiques, créer des canaux à partir du Tigre et de l'Euphrate pour irriguer les cultures dans des zones semi-désertiques.

Dans le même temps, la nécessité de mesurer s'impose en Egypte : l'agriculture maîtrisée se développe dès 5000 avant J.C., sur le site de Badari. Vers 3500 avant J.C., on ne peut concevoir la construction des tombeaux royaux, des pyramides, des temples, des palais sans mesurage, même approximatif. Vers 2850, le nom de l'architecte du roi, à Saqqarah, est connu : Imhotep, scribe-arpenteur. Les grandes pyramides de Gizeh nécessitent, à l'évidence, de nombreux calculs, fruits de mesures tout aussi nombreuses, prises à l'aide de cordes - parfois cotées 3, 4  et 5, pour établir un angle droit -, de mires, d'équerres, de fils à plomb, d'archipendules. La géométrie vient conforter le travail de l'arpenteur avec la conception des rectangles, des carrés, des triangles et de l'angle droit. Ces connaissances sont jalousement gardées par les prêtres et les scribes.

Vers 333 avant J.C. , Alexandre le Grand décide de construire une ville à son nom près de l'île de Pharos. Il ordonne à son architecte Dinocrate de tracer un plan coté à partir des mesures du fond de la baie, du sol et de l'altimétrie.

Les crues du Nil nécessitent de redéfinir les limites des terrains pour chaque agriculteur. Celles-ci sont fixées par des stèles considérées comme sacrées sur lesquelles sont indiqués le nom du propriétaire, une description du terrain et la date de la transaction : l'arpenteur est aussi notaire ! C'est ainsi que, dès les premiers temps, l'arpenteur joue un rôle économique capital dans l'agriculture. De l'agriculture à l'astronomie, il suffit de lever les yeux pour prévoir le temps qui va influencer les récoltes : les instruments de mesure sont utilisés pour la terre et pour le ciel.

Qui dit ciel, dit aussi Religion. Des Egyptiens aux Romains, en passant par les Hébreux, les Etrusques, l'art de l'arpentage et de la géométrie appartenait en priorité aux prêtres chargés, notamment, de l'orientation du temple. Platon, interrogé sur ce que faisait le Bien Suprême dans les Cieux répondait "Il Géométrise".

Les connaissances égyptiennes  vont profiter aux civilisations voisines et plus ou moins tardives. Au cours de leur captivité, les Hébreux participent à la construction de l'Egypte ; ils approfondissent en même temps leurs connaissances en matière de mesurage qu'ils réalisaient avec des bâtons, des cordes, des ficelles. C'est ainsi que sont construites l'Arche de Noé et l'Arche d'Alliance. La Bible, à de nombreuses reprises, évoque le mesurage et les dimensions des terrains agricoles, des propriétés, en général, du palais de Salomon, en particulier. La borne y est évoquée et a un caractère sacré. On retrouve également des noms d'unités de mesures linéaires utilisées par les égyptiens : cubitus, pied, palme, condyle, doigt…, mais avec des valeurs en équivalent mètre totalement différentes. Les unités de surface, par contre, sont nouvelles : stade, jugero schène, arure, dodécapède… disparaissent et deviennent beth-cor, beth-letech, beth-ephi…

La civilisation grecque prend naissance dès la première moitié du 3ème millénaire avant J.C. En attestent les constructions de pierre retrouvées à Troie, fondée vers 2700. Tout comme en Egypte, les activités agricoles nécessitent la délimitation des propriétés et donc des mesurages.  Beaucoup plus proche de nous, Thalès, de Milet, (639 – 548 av. J.C.) est à l'origine de la Géométrie pratique. Il découvre, notamment, comment calculer la distance entre un bateau et le port (intérêts militaire et commercial) et la hauteur d'une pyramide. Au siècle suivant, Hippodamos de Milet, aussi, philosophe, politique, architecte, urbaniste crée un nouveau type de ville où les rues se croisent à angle droit, parallèles à deux axes principaux initiaux perpendiculaires l'un à l'autre. Cette conception reprend celle des camps militaires romains, avec les deux axes principaux, le "cardo" du nord au sud et le "decumanus", d'est en ouest qui se coupent au niveau du templum.

En réalité, cette disposition est plus ancienne : elle répond aux exigences des livres sacrés étrusques. Ce peuple évolue au cours du dernier millénaire avant notre ère, au centre de l'Italie. Comme pour la plupart de ces peuples antiques, le mesurage a d'abord pour but l'implantation des temples : il est donc réalisé par des prêtres arpenteurs ou assistés d'arpenteurs. Ceux-ci adapteront leurs activités avec l'évolution de la société, le développement agricole. Autre théoricien et mathématicien grec de ce Ve siècle av. J.C., Pythagore et son école sont à l'origine d'avancées considérables en mathématiques, en astronomie et en géométrie. Et notamment, dans cette dernière discipline, on peut citer les études sur les figures géométriques que sont les triangles et leurs angles internes, les carrés, les rectangles. D'autres essais ont porté sur la quadrature du cercle et la duplication du cube.

Grand géomètre et philosophe grec,  Platon (429 – 347 av. J.C.) met sa science au-dessus de tout. "Qu'il ne pénètre pas sous ce toit celui qui ignore la géométrie " : ainsi accueillait-il ses visiteurs. Il fonde une école où l'on apprend aussi bien la philosophie que la géométrie : Aristote, le "maître de ceux qui savent" sera l'un de ses disciples et sera, par sa forme de pensée, à l'origine de l'œuvre d'Euclide.

Euclide dont la vie est très mal connue est né à Athènes vers 300 av. J.C., mais a effectué ses recherches à Alexandrie en Egypte. Il n'est pas dans notre intention, et encore moins dans notre capacité, d'évoquer l'œuvre de ce mathématicien. Retenons seulement qu'il est à l'origine de la géométrie pratique, reprenant peut-être les travaux de Thalès. Ses ouvrages sont, a priori, le fruit de sa réflexion ; peut-être ne sont-ils qu'un recueil de découvertes antérieures.

A la même époque, Archimède, installé à Syracuse, un Léonard de Vinci avant l'heure, au moins dans le domaine de la mécanique, s'intéresse particulièrement au cercle et à ses figures annexes, la sphère, le cylindre. Il est à l'origine de la reprise du fameux Pi grec, 3,1416…, utilisé pour le calcul de la longueur des circonférences, la surface des cercles, le volume des cylindres… Ce chiffre serait, en réalité, d'origine chinoise, aurait transité par l'Inde et la Perse avant d'arriver en Grèce.

De nombreux autres géomètres se sont distingués, qui se sont intéressés notamment à l'astronomie. Comme les égyptiens, les hébreux, ils créèrent leurs propres unités de mesure, différentes suivant la région. 

Il est impossible de les citer tous, ces "mesureurs de la terre, de la mer et de toutes les arènes", selon Horace.

De ces mesures découlent les découvertes en matière de mathématique et de géométrie qui vont survenir avec le développement de la civilisation grecque. Le rôle de l'arpenteur va évoluer : il intervient dans la construction des palais, des temples, des aqueducs : il devient "architection".

Cette évolution va se préciser avec les Romains. Romulus, dès la création de Rome, va devoir définir des espaces destinés aux dieux, aux dirigeants, au peuple. Il crée les frères Arvali, des prêtres chargés de réaliser ces mesures : là encore, l'arpentage est un art sacré. Au VIème siècle av. J.C., le roi Servius Tullius décide de réaliser un premier cadastre. Les guerres incessantes sont à l'origine de désordres sociaux entre plébéiens, de plus en plus pauvres, et patriciens, de plus en plus riches grâce au rachat à bas prix de terres agricoles. Il s'en suit des remembrements successifs nécessitant, à chaque fois, un nouveau mesurage des terres : c'est le cas en 376, en 342, en 286. Les nouvelles conquêtes supposent également l'intervention des arpenteurs pour répartir les terres entre vainqueurs et vaincus. Quand on regarde l'étendue de l'Empire Romain, on peut se douter que la tâche des arpenteurs est colossale, pendant des siècles. A titre d'exemple, Sylla, au cours du 1er siècle av. J.C. décide de donner des terres à ses soldats, réparties en 120 000 lots. En ce même siècle, l'architecte Vitruve rédige un ouvrage sur l'architecture, De Architectura ; il s'intéresse aux instruments d'arpentage comme le niveau à eau et l'odomètre.

L'arpenteur intervient, également, dans les villes, d'abord pour en établir les plans, ensuite pour en construire les différents éléments : temples, palais, aqueducs, égouts… Pour relier ces villes, il faut construire des routes souvent dallées, avec implantation de bornes milliaires : il nous en reste quelques vestiges comme la via Appia, à Rome. Pour les défendre, il faut établir des ouvrages militaires…

Les connaissances de l'arpenteur romain sont, d'abord, limitées, essentiellement pratiques. Il faut attendre Jules César et Auguste pour que la Géométrie soit enseignée, souvent par des géomètres grecs payés à prix d'or. Elle devient un signe de culture pour les hommes comme pour les femmes, dans les familles les plus riches et cultivées.

Une boulimie de construction, de reconstruction, d'agrandissement envahit l'Empire, ne laissant guère de repos à ces arpenteurs, souvent hiérarchisés en fonction de leur activité. L'arpenteur de base, le mesureur de terres, "l'agrimensores", mesure tout ce qui rentre dans la propriété : la récolte, les réserves, les outils, les animaux…, les esclaves. Il va même se spécialiser en "metadores", délimitateurs, "rectores", recteurs, "censores", censeurs, "inspectores", inspecteurs, "artifices", artisans, "agentes in rebus", agent en toutes choses, "professores", professeurs, "ministeriales imperatorum", ministres impériaux, et "arbitri", experts auprès des juges. Pour certain, la mission prend des mois, parfois des années, notamment lorsqu'il faut délimiter les terrains accordés aux vétérans de l'armée romaine, après expropriation des riches propriétaires. Du 1er siècle de notre ère, il nous reste des stèles à la gloire d'arpenteurs célèbres en leur temps ; on y retrouve les outils utilisés : l'archipendule, l'équerre, le compas, la canne à mesurer, un étui pour réunir les stylets, des tablettes de cire… A cette même époque, sont rédigés de véritables encyclopédies reprenant, dans un langage technique, les connaissances accumulées depuis des siècles

Sous l'empereur Dioclétien (244 – 311 de notre ère) est créé un véritable cadastre servant de base pour l'impôt sur le revenu tiré de ces terres agricoles. Les arpenteurs, au statut de profession libérale, passent pour une grande partie à celui de fonctionnaires, chargés de répéter ces relevés tous les 5 ans, puis, à partir de Constantin, tous les quinze ans : ils ont alors carte blanche. On peut imaginer les différends qui s'en suivent et le nombre d'arpenteurs nécessaires. Ce rôle d'arbitre des arpenteurs est confirmé par une loi de l'empereur Constantin, "De Agrimensore adhibendo". Certains d'entre eux se verront affubler de titres honorifiques, semblables à ceux des principaux personnages de la cour.

A la chute de l'Empire Romain en 476, les Barbares conservent les cadastres établis par les Romains : ils sont à la base du calcul de l'impôt. Quelques érudits vont encore se distinguer dans différentes disciplines comme la géométrie, appliquée ou non à l'arpentage : Cassiodore, Boèce sont les plus célèbres.

Le travail des arpenteurs n'en est pas pour autant terminé. L'Eglise dispose de très nombreux biens fonciers dans une grande partie de l'Europe : les arpenteurs font partie logiquement des administrateurs. Jusque vers la fin du 1er millénaire, les recherches en matière de géométrie ne se font qu'au sein des monastères. Deux moines se distinguent : Isidore de Séville et Bède, aux VIe et VIIe siècles.

L'Europe va dès lors s'endormir, pour plusieurs siècles, que ce soit en sciences médicales (voir notre chapitre sur ce sujet), en sciences mathématiques et plus particulièrement en géométrie. Le relais est pris par les pays arabes qui, en même temps qu'ils prennent le pouvoir dans de nombreux pays, en particulier en Sicile, apportent leur culture et leurs connaissances. Ces connaissances proviennent pour une grande part des grands géomètres de l'Antiquité. Elles sont aussi le fruit de leurs recherches : invention de l'algèbre, utilisation du "zéro" créé par les Hindous, remplacement des chiffres romains par les chiffres arabes, provenant, en réalité des Hindous, en passant par la Perse, encore une fois.

Vers l'an mille, un philosophe auvergnat, du nom de Gerber, va faire sortir l'Occident de l'ignorance en apprenant la géométrie au contact des envahisseurs arabes, en Espagne. Il rédige un livre de géométrie à partir de manuscrits latins traduits de l'arabe. Ces manuscrits reprennent les travaux des grands géomètres, mathématiciens et philosophes, grecs ou persans. Il deviendra pape sous le nom de Sylvestre II, "le pape savant".

Cette flamme du savoir va s'éteindre avec ce savant : l'obscurité retombe sur l'Europe, avec, comme toujours, quelques exceptions. L'arpentage devient grossier et va le rester pendant trois siècles. "Tous les auteurs peineront sur la mesure horizontale, sur la décomposition des terrains en figures régulières mesurables par la géométrie, et s'efforceront de faire tomber en désuétude la mauvaise habitude de mesurer à vue d'œil".

 

Ouvrons ici une parenthèse. Arpenteur, géomètre, architecte, maître d'œuvre, maître-maçon, appareilleur : tous ces qualificatifs sont utilisés les uns pour les autres au fil des siècles. Au Moyen-Âge, on ne sait plus à quel saint se vouer, notamment, c'est facile, dans la construction des cathédrales. Nous avons trouvé dans le livre remarquable de Pierre du Colombier quelques évocations de ces appellations, sans pour autant être capable de dire qui faisait quoi. Premier point, le mot "arpenteur" n'est jamais cité, non plus que celui de géomètre. Tout au plus y a-t-il des références à la géométrie : à propos d'un plan établi par Villard de Honnecourt, celui-ci "fait appel seulement à des connaissances élémentaires en géométrie pratique apprises par le simple maniement de la règle et du compas". En rapport avec le travail de l'arpenteur, on peut lire : "… tracer le plan d'une église sur le sol préalablement nivelé" ou plus loin "on trouve en 1278 mention d'un paiement à des ouvriers pour niveler un emplacement sur lequel le plan du monastère devait être tracé." Cela suggère que les plans sont grandeur nature : "Comme il fallait beaucoup de place, on y procédait sur l'aire du chantier après y avoir étalé un lit de plâtre ou plus simplement de terre argileuse". Il existe bien des plans sur parchemin. Ils sont assez grossiers : l'échelle n'est pas constante, les représentations sont déformées… En réalité, ils n'ont pour but que de donner une idée générale : on avise, ensuite, au fur et à mesure de la construction. Une autre allusion concerne la cathédrale de Milan, en 1391 :"On avait fait venir des architectes de tous les pays, on avait même convoqué un mathématicien, Gabriele Stornaloco, de Plaisance, expert en l'art de la géométrie." Dans un autre texte du XIIe siècle, il est fait mention du "savant Geometras". Dans un autre encore, un maître de la maçonnerie de Paris se dit "grand géométrier et charpentier."

Le mot "architecte" est peu utilisé sous sa forme française "architecteur", mais rencontré un peu plus souvent sous sa forme latine "architectus" ou "architector". Il sert indifféremment pour désigner un maçon, un charpentier, un tailleur de pierre, précédé parfois du mot "maître". L'architecte est considéré comme un ouvrier. Il disparaît des écrits au XIIIe siècle, puis reviendra au XVe avec une signification ambiguë, entre concepteur et entrepreneur. A partir de cette époque, le métier évolue progressivement pour devenir ce que nous connaissons aujourd'hui. Dans un texte du milieu du XIIIe siècle, on peut lire : "Dans ces grands édifices il a accoutumé d'y avoir un maître principal qui les ordonne seulement par la parole, mais n'y met que rarement ou n'y met jamais la main, et cependant il reçoit des salaires plus considérables que les autres… Les maîtres des maçons, ayant en main la baguette et les gants, disent aux autres : Par ci me le taille et ils ne travaillent point et cependant ils reçoivent une plus grand récompense…" ou encore "Il n' y aura jamais de construction noble si l'architecte - architectus - est ignoble."

L'expression "maître d'œuvre" ou "maître des œuvres" ne correspond pas à un métier précis : le personnage peut-être maître de l'œuvre de maçonnerie, de charpenterie ou tout simplement intendant, sans connaissance particulière dans la construction des bâtiments…

Quant à l'appareilleur, il se situe entre le maître et les ouvriers. En Allemagne, il s'appelle le Parlier : celui qui transmet par la parole les ordres du maître. Il remplace parfois le maître : "Il trace les épures et relève sur son tracé les panneaux de tête de douelle, de joints d'extrados avec lesquels il trace sa pierre qui ensuite est épannelée et taillée sur toutes ses faces par les tailleurs de pierre qui sont sous ses ordres." C'est lui qui prépare l'aire nivelée sur laquelle le plan de la future construction est dessiné en taille réelle.

Fermons cette parenthèse qui ne nous a pas vraiment permis de préciser quel était le rôle exact de l'architecte au Moyen-Âge.

 

La charge de Grand Arpenteur de France existe pourtant. Il reçoit des ordres du roi. Les seigneurs ont également le droit de faire appel à des arpenteurs. En 1439, - bis repetita placent - la réalisation du cadastre permet de calculer le nouvel impôt, la taille, en fonction de l'importance des biens fonciers. L'arpenteur est dénommé de différentes façons, suivant la région et en fonction de l'instrument qu'il utilise pour réaliser ses mesures : agrimenseur, arpentier, cordeleur, gauleeur…

Le besoin de la connaissance va réapparaître avec la Renaissance, fin XVe, début XVIe siècle. En réalité, cette période correspond surtout à l'édition de très nombreux ouvrages qui reprennent toutes les connaissances acquises depuis l'Antiquité, et, en particulier, les travaux d'Euclide, de Pythagore. Tous réclament le retour à des mesurages scientifiques et condamnent les "mesures à l'œil". Au niveau du matériel, les uns ne parlent que de l'équerre, d'autres la néglige totalement. Pour le relevé des grandes étendues, certains l'associent à une boussole topographique ou utilisent un tachéomètre de "1ère génération" (vers 1500). Dans l'art militaire où la mesure des distances peut conditionner la victoire, la mesure par la vue et non à vue d'œil utilise tous les reliefs qui peuvent exister alentour, bâtiments ou terrains, en utilisant la similitude des triangles.

Au plan administratif, on note simplement qu' Henri II, en 1554, désigne des arpenteurs en Bretagne, province rentrée depuis une soixantaine d'années dans le territoire français : le contrôle du cadastre local permet de vérifier si le calcul des impôts est exact. Ce cadastre va concerner toute la France, avec l'implantation de nouvelles bornes sur les routes et les chemins.

La véritable révolution technique survient au tout début du XVIIe siècle avec l'invention de la lunette astronomique. Déjà, au début du siècle précédent, un géomètre et astronome italien, Francastoro, avait déclaré : "Celui qui superpose l'un à l'autre deux miroirs [en fait, deux lentilles, l'une concave, l'autre convexe] et regarde à travers ces miroirs verra les objets bien plus grands et plus proches". Qui a inventé cette lunette ? Un hollandais : Hans Lippershey ou Iacob Metius, dès 1608, les véritables inventeurs, ou Galilée en 1609, celui qui sut en décrire le fonctionnement et l'intérêt ?

Sur le plan de la théorie, René Descartes (1596 - 1650) définit les coordonnées x, y et z d'un point dans l'espace, ce qui permet de caractériser une courbe par une équation algébrique. Un hollandais, Willebrord Snellius développe la technique de la triangulation.

Louis XIV, en 1688, supprime la charge de Grand Arpenteur. Deux ans plus tard, il crée cinquante offices d'arpenteurs, priseurs, mesureurs de terres, prés, vignes, héritages, bois et forêts. A noter que le développement de l'artillerie est à l'origine de nouvelles stratégies de combat nécessitant une parfaite connaissance du terrain, d'où la réalisation d'une cartographie de plus en plus détaillée.

Au XVIIIe siècle, les publications se multiplient, sans apporter de réels progrès à la profession. On peut noter la rédaction d'ouvrages sur l'intérêt juridique des mesures de terrains, de bâtiments. Sur le plan technique, un instrument autoréducteur permet de traduire en mesures horizontales les mesures inclinées.

En 1807, est instauré le cadastre parcellaire, dit Napoléon. Une fois de plus, il s'agit d'un travail gigantesque qui se déroule sur 40 ans  et est réalisé par un corps d'arpenteurs "fonctionnaires" qui ont remplacé les arpenteurs-jurés de l'Ancien régime. Ces arpenteurs-jurés étaient assermentés, désignés par le roi ou les seigneurs jusqu'en 1575, date à laquelle Henri III fit dépendre du droit régalien cette profession.

Tout au long du XIXe siècle, grâce à la lunette de Galilée, de nouveaux instruments apparaissent et apportent une précision jamais atteinte dans les mesures. De nos jours, cette précision est, bien sûr, largement dépassée notamment grâce au laser, à l'informatique.

Le "Dictionnaire Historique des Arts, Métiers et Professions exercés dans Paris" rédigé par Albert FRANFLIN, publié en 1906, fait une description relativement brève au métier d'arpenteur. Par contre, il ne mentionne pas le métier de "Géomètre". Jusqu'à la fin du XIXe siècle, le "géomètre" est en réalité un théoricien, un mathématicien. La géométrie pratique est le fait de l'arpenteur. La signification du mot géomètre va évoluer à partir de la fin du XIXe siècle, et surtout au cours du XXe siècle. L'appellation "géomètre-expert" montre l'autorité de son jugement devant les tribunaux. Par ailleurs, la profession se structure aux plans national et international : c'est la création, en 1878, à Paris, de la Fédération Internationale des Géomètres. La formation est beaucoup plus sérieuse, au sein d'écoles spécialisées. L'Ordre des Géomètres est créé en 1946.

 

Bibliographie

1 Evaristo LUCIANI, Histoire des Arpenteurs et Géomètres des origines à l'an 1900, Consiglio Nazionale Geometri  –  
   Roma, 1978.

2 Alfred Franklin, Dictionnaire Historique des Arts, Métiers et Professions exercés dans Paris depuis le treizième siècle H.
   Welter éditeur en 1906 réédition Bibliothèque des Arts,
des Sciences et des Techniques, 2004.

3 P. du Colombier, Les Chantiers des cathédrales, A. & J. Picard – Paris, 1973