PAYS DU GIER

 

HISTOIRE DES MINEURS

 

 


A l'échelon du royaume de France, l'intérêt se porte sur les mines d'or, d'argent, de cuivre et de plomb. Le charbon est un parent pauvre, sans débouchés financiers.

En 1413, le roi Charles VI "couvre de la protection royale les marchands et maîtres de treffons des mines qui font euvrer et les ouvriers qui euvrent…[Les ouvriers sont] quictes, francs et exempts de toutes aydes, tailles, gabelles… péages et autres quelconques subsides ou subventions, quelsqu'ils soient ou ayant cours en nostre royaume 2". Il "perçoit la dixième partie purifiée de tous métaulx qui en icelles mines est ouvré et mis au cler … 4"

En 1548, Henri III confie la concession de toutes les mines du royaume à un seul homme.

En 1601, Henri IV abroge la perception du dixième créée en 1413 pour les mines de charbon de terre.

En 1744, Louis XV soumet l'autorisation de l'exploitation des mines de charbon de terre à l'autorisation préalable du sieur Controlleur général des Finances.

En 1783, Louis XVI est seul à pouvoir donner cette autorisation.


Utilisé par les Gaulois, pour certains historiens, connu des Romains qui lui préfèrent le bois des forêts alentour, le charbon dans le Pays de Jarez, et plus précisément, dans la Vallée du Gier, n'est exploité qu'à partir du XIIe siècle. Et pourtant le filon est au ras du sol, à certains endroits. Cela permet, tout de même, à quelques habiles paysans non seulement de se chauffer à moindre frais, mais aussi de créer leur petit atelier pour leur propre compte ou celui de leur seigneur : avec les Chartes, ils deviendront libres et seront à l'origine de nos artisans forgerons, cloutiers, et autres serruriers.. . 1

L'exploitation raisonnée du charbon débute réellement à la fin du XIIe siècle, sous l'influence des chanoines de Saint Just de Lyon. Avec elle, chaque village voit se développer un petit artisanat spécialisé dans une fabrication particulière : chaînes et semences pour Saint Martin la Plaine, chaudronnerie domestique à Saint Genis Terrenoire. L'expérience acquise transmise de père en fils est à l'origine de la qualité de la main d'œuvre locale.1

En 1187, il est fait mention de perrières de charbon dans des terriers de Saint Genis Terrenoire (Sanctus Genesius in Terra Nigra). 4

Quelques ordres religieux comprennent les bienfaits que l'on peut tirer de ce combustible. En 1267, la Commanderie des Chevaliers Hospitaliers de Saint Jean -aujourd'hui, de Malte- de Chazelles sur Lyon acquiert un clos contenant des perrières de charbon, entre Saint Martin la Plaine et Rive de Gier, près du hameau du Reclus (commune actuelle de Lorette).

Dès le dernier tiers du XIVe siècle, le gouvernement royal commence à s'intéresser à l'exploitation des mines de charbon de terre. La concession de toutes les mines de métal du Forez est accordée à un bourgeois de Lyon. Jacques Cœur, marchand et Grand Argentier du roi Charles VII, s'intéresse aux mines des Monts du Lyonnais. En même temps, les prélats locaux comprennent l'intérêt économique de ce charbon de terre : en 1448, le Chapitre des chanoines de Saint Just de Lyon devient propriétaire du clos du Reclus et de bien d'autres.

A la fin du règne de Charles VI, on peut dire que, dans notre vallée, "en aucune région de France et même d'Europe l'extraction du charbon ne se présente de façon aussi favorable. En effet, on trouve des couches épaisses au ras du sol. Il n'est pas nécessaire de creuser des profondes galeries, mais simplement de retourner la terre pour y trouver un combustible aussi excellent qu'abondant. 1"

D'après Guillaume Paradin, doyen de Beaujeu, au début du XVIe siècle : "A St Genis Terrenoire et à St Chamond, sont des mines de bon charbon de pierre ; sy sont aussi à Rive de Giers, mais non en telle quantité ; c'est merveille de voir les habitants de ce pays qui en sont tous noircis et parfumés pour l'usage ordinaire qu'ils en font en leur chauffage, au lieu de bois ; dont il n'y a maison, leur manger, pain ni vin, qui n'en soit tout parfumé. 3" Curieusement, on retrouve un texte quasi identique sous la plume d'un certain Nicolas de Nicolay, géographe du roi, en 1573. 9 Plagia ou erreur des historiens ?

A Saint Chamond, on exploite ce combustible, mais à une toute petite échelle : pas de puits, mais grattage local pour une consommation tout aussi locale. Le charbon n'est pas de très bonne qualité, riche en mourre. Les filons sont séparés par des roches très dures, les "travers-blancs", renchérissant considérablement l'exploitation. 8

A Tartaras, on exploite des perrières dès 1555. 4

Dans cette suite de dates et d'évènements, il est nécessaire de faire une petite parenthèse. Si les mines de charbon sont à l'origine de l'économie locale, il y eut d'autres découvertes minières, notamment à la fin XVIe siècle. Dans une "Histoire de Henri IV", un certain Pierre Mathieu évoque l'existence d'une mine d'or à Saint Martin la Plaine, près de Rive de Gier. "Elle fut découverte…en une vigne fructueuse. Un paysan qui travaillait en cette vigne trouva un petit caillou tout broché d'or, duquel on prenait assurance infaillible que ce membre présupposait un corps. De Vic, surintendant à la justice de Lyon, eut commandement du Roy d'y faire travailler. La première production fut admirable, en laquelle l'or paraissoit et poussoit comme des bourgeons de vigne…"

L'existence de cette mine d'or a été mise en doute par certains historiens locaux. Et pourtant, les registres paroissiaux mentionnent, en 1625, un sous-prévot de la mine d'or et un travailleur en mine d'or de Sainct-Martin-la-Plagne.

En 1697, l'exploitation est pratiquement abandonnée. Elle est relancée vainement en 1715. En 1745, après un dernier essai et de grosses dépenses, la mine est comblée avec des déblais de pierre. 1

 

Retournons au charbon ! En 1601, dans un édit, Henri IV exonère les mines de la redevance du dixième et institue les horaires des mineurs qui "pourront travailler tous les jours, sauf les dimanches et les jours des fêtes de Pâques, Pentecôte, Ascension, Fête-Dieu, les quatre Notre-Dame, fêtes des douze apôtres, des quatre Evangélistes, Toussaint, Noël et fêtes des paroisses où les mines sont assises. 2" Ce même édit proclame, en vain, le droit régalien attribuant la disposition des mines au souverain.

 

Comment exploite-t-on ces filons jusqu'à la Révolution industrielle ?

D'abord, par simple grattage et puis, en suivant le filon, par creusage au pic de galeries étroites, souvent inondables. De plus en plus longues, ces galeries deviennent couloirs ou "fendues" pour accéder aux lieux d'extraction. 4 Les premières perrières sont ouvertes sans emploi de la puissance de la poudre, soit que les ressources pécuniaires des premiers entrepreneurs ne leur permettent pas de s'en procurer, soit que le gouvernement refuse de leur en livrer, soit que leur inexpérience est assez grande pour ne pas en connaître l'usage avantageux. Ces premiers puits, à section ronde, d'à peine un mètre de largeur, sont ciselés dans le roc ; leur profondeur varie entre 30 et 60 mètres et lorsqu'on creuse le Piro-Jacques qui dépasse de moitié les profondeurs ordinaires, les mineurs disent que "du fond de cette perrière sans pareille, on entend chanter le coq de l'autre monde". Les premiers pereiroux se servent d'outils très défectueux, entre autres des pelles en bois : ils travaillent sur des terres qui ne leur appartiennent pas ; les propriétaires voyant les gains en exigent une partie. Bientôt, les pereiroux deviennent simples ouvriers à gages. 3

Le charbon est sorti de la mine dans des sacs en toile par le porteur ou le sorteur (48 à 70 kg pour les hommes, 50 pour les femmes et 25 pour les enfants…) parfois, remplacés par la brouette ou le traîneau : dans sa journée, le traîneur déplace quatre tonnes de charbon sur l'équivalent de 6 km. On rencontre ces deux modes de portage jusqu'à la moitié du XIXe siècle. L'utilisation des chevaux facilite grandement cette tâche, non sans provoquer une vive réaction des traîneurs qui se retrouvent au chômage.

Les puits verticaux n'apparaissent qu'en 1740. Le boisage n'est pas toujours jugé nécessaire, du fait de la dureté du rocher. L'élimination des matériaux, nobles ou non, se fait alors à l'aide d'un treuil soit à bras, soit à énergie animale (le cheval) si la profondeur devient trop importante.

L'élimination de l'eau, toujours présente et cause de la fermeture de nombreux puits, est réalisée de la même façon. A Rive de Gier, en 1754, sur 53 puits ouverts, 45 ont été abandonnés, noyés. La seule solution, dès cette époque, est la mise en place de galeries débouchant dans le Gier.

Quant à l'éclairage, il débute avec l'utilisation de torches imprégnées de résine : les bois-gras. Le mineur utilise, ensuite, le crachet, pot rempli de graisse animale avec une mèche de chanvre ; un crochet permet de le transporter et de le fixer sur le lieu d'extraction. Dans les années 1750, arrivent les lampes métalliques à réservoir et mèche, semblables, dans le principe, aux "rats de cave" à huile. Au début du XIXe siècle, les ouvriers métallurgistes locaux créent la lampe typique des mines de la région, la rave, ainsi nommée peut-être à cause de sa forme qui évoque le légume. Bien qu'elle soit à feu nu, cette lampe est utilisée dans toute la France et, même, bien au-delà. La lampe de sûreté est inventée en Angleterre en 1812. Après de nombreuses polémiques, notamment sur l'intensité de la lumière, elle est adoptée dans les mines grisouteuses, en 1828. La lampe à acétylène fait son apparition au début du XXe siècle.

Enfin, les mineurs se déplacent à pied, descendent et remontent soit par des échelles en chêne, non sans risques, soit dans des bennes ou cuffats assimilables à de gros tonneaux. 4

A l'origine, en l'absence de voie satisfaisante, le charbon est transporté par de rares charrois, et surtout, à dos de plus de 800 mulets (pour certains, entre 1 200 et 1 500) dirigés par des enfants, vers Lyon, Givors et Condrieu, donnant, en passant, leur nom à quelques lieux : le Crêt Muletier, le Mouillon (du latin mulio : conducteur de mulets). 6 Chaque bête porte jusqu'à 145 kg par voyage. Un contrat est parfois signé devant notaire pour officialiser un accord entre transporteur et destinataire. C'est le cas, en 1614, entre André Trussel, maître bâtier à Rive de Gier et Anthoine Besson, marchand du port de Condrieu, devant le notaire Dufornat. 3  Ce quasi-monopole des muletiers disparaît en 1781 avec l'ouverture du canal de Rive de Gier à Givors, même si ce transport routier perdure jusqu'en 1833, date de création de la voie ferrée.

En 1695, le Parlement autorise l'exploitation des peyrières du Mouillon et de Gravenand : le charbon sert à faire tourner les forges et les verreries. 6

En 1744, l'Etat devient propriétaire du sous-sol et distribue, à sa guise, les concessions.2

Vers 1750, l'exploitation du charbon de pierre dans le bassin de Rive de Gier dépasse, enfin, la consommation locale. La fixation des redevances dépend de la bonne volonté des intéressés. Devant les gains, une compagnie de Lyon, dirigée par le sieur Lacombe, secrétaire de l'intendant lyonnais, obtient en 1759 une ordonnance de concession des mines de Gravenand, du Mouillon et d'une lieue à la ronde, spoliant ainsi les petits propriétaires. L'ordonnance devient exécutoire définitivement par lettres patentes du 12 avril 1765 au profit des sieurs Lacombe, Bertholat et Chambetron. Les propriétaires sont condamnés aux dépends en 1767 de leur démarche auprès du Conseil d'Etat. Ils s'opposent à l'exploitation, mais la troupe les déloge. Sur 42 puits, à Gravenant et au Mouillon, 7 sont utilisés en 1785. La concession en profite jusqu'en 1791. Elle rétrocède, moyennant redevances, le droit d'exploitation de certains puits moins productifs et en abandonne d'autres. L'exploitation reste précaire, sans possibilité réelle de prévoir le grisou et les inondations. 5

En 1761, "la journée du mineur est de 16 heures. L'été, le travail commence à 5 heures du matin pour se terminer à 8 heures du soir. 2"

En 1765, les mines de la Varizelle (commune d'Izieux) sont fermées à cause du grisou. 7

En 1768, le marquis de Montdragon acquiert le marquisat de Saint Chamond et obtient du roi le droit d'exploiter les mines sur son sol. Six puits sont créés et fonctionnent correctement. A la Révolution, les biens sont réquisitionnés. Dès 1802, ses fils cherchent à rentrer en possession de leurs biens. Ils obtiennent gain de cause en 1838, après de nombreux procès. L'exploitation redémarre sans grand rendement, jusqu'à ce qu'une compagnie reprenne l'affaire suivant des normes économiques et industrielles. 8

En 1774 est imposé le premier code minier. Deux concessions sont créées dans la vallée du Gier : d'une part, celle de Saint Chamond, d'autre part, celle de Gravenand et du Mouillon.4

En 1781, l'ouverture du canal de Rive de Gier à Givors donne un sérieux coup de fouet à la production du charbon. Elle fait aussi disparaître le monopole des muletiers. La création de la ligne de chemin de fer en 1833 aura la même conséquence pour la société du canal. Dans les deux cas, l'apparition de ces nouvelles voies de transport est source de procès, de déclarations acerbes, de rivalités entre anciens et nouveaux professionnels, ces derniers agissant sans contrôle sur le prix du transport, et en fin de compte, de faillites.

En 1789, la première machine à feu destinée à élever le niveau des eaux des travaux inondés est placée dans l'un des puits du Mouillon. 3 Elle explose rapidement et n'est remplacée durablement qu'en 1801.

En 1791, si le propriétaire du sous-sol reste l’État, le concessionnaire est tenu d'indemniser le propriétaire du terrain, en argent ou en nature, proportionnellement à la quantité extraite. 2 En cette même année, le décret d'Allarde et la loi Le Chapelier interdisent le régime général d'exercice collectif des métiers ouvriers (les corporations, le compagnonnage) ou paysans. Cette loi se base sur le principe révolutionnaire : "Il sera libre à toute personne de faire tel négoce ou d'exercer telle profession, art ou métier qu'elle trouve bon", sous-entendu avec ou sans diplôme, ce qui n'est pas sans conséquences pour certaines professions (médecin, par exemple). Suivant la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen, cette loi confirme la liberté d'entreprise et d'établissement, seul moyen d'assurer l’enrichissement de la nation et le progrès social. Le résultat est désastreux pour la formation des ouvriers, la qualité de la production. Sur le plan social et juridique, elle interdit les coalitions : les grèves sont dès lors réprimées, de même que les associations de patrons ou d'ouvriers. Celles-ci existent pourtant et sont à l'origine des très nombreux mouvements sociaux qui vont émailler le XIXe siècle. La loi Le Chapelier sera appliquée jusqu'à la loi de 1864, qui abolit le délit de coalition et celle de 1884 qui légalise les syndicats. 6

En 1793, Les mineurs sont obligés de cesser le travail par manque d'huile pour leur crézieu, ce qui entraîne le chômage de nombreux ouvriers par manque de charbon. 7

Le travail est partagé suivant les compétences, les salaires aussi : gouverneur, piqueurs qui extraient le minerai, porteurs ou traîneurs qui transportent le minerai jusqu'au pied du puits, remplisseurs, palefreniers, remblayeurs, boiseurs et réparationnaires qui s'occupent du boisage ; marqueurs qui notent les quantités extraites, toucheurs (souvent, des enfants) qui règlent le mouvement du cheval faisant tourner la vargue, pompiers, receveurs, chargeur, trieurs, forgeurs, grêleurs, benniers, voituriers, garnisseurs de lampes ; le pénitent, capuchonné et habillé de cuir, descend en premier pour enflammer le gaz. 2-4

En 1811, une loi vient préciser celle de 1791 : l'Etat concède et surveille l'exploitation des mines, perçoit un impôt. Les propriétaires de la surface du sol ont droit à une indemnité. 5

En 1838, une loi va, enfin, modifier le système juridique d'exploitation des mines de charbon en rendant obligatoire l'association des concessionnaires. Les capitaux ainsi regroupés permettent d'optimiser la recherche, l'extraction, le transport. Les matériels sont plus performants, l'expérience des hommes est partagée et valorisée. De 300 000 tonnes produites en 1811, on passe à 4 000 000 de tonnes en quelques années. La Loire devient le premier département producteur de houille. 5

L'extraction artisanale est maintenant loin. Les grandes sociétés rivalisent entre elles. C'est l'époque de la création des Houillères de la Loire, Rive de Gier, Lorette, Grand'Croix, Saint Chamond qui finissent par fusionner. Si ces regroupements sont, d'abord, bénéfiques sur le plan de la rentabilité, ils le sont beaucoup moins au plan social. Les premières grèves débutent en 1840, se reproduisent en 1844, 1848, 1849, 1852 pour aboutir à un décret-loi interdisant de réunir des concessions minières sans autorisation. C'est la première mesure anti-trust. Une partie des mines de Rive de Gier est concédée en coopérative ouvrière, "la Mine aux Mineurs" ; elle cessa rapidement toute activité. 6 Dès la fin du XIXe siècle, la production diminue fortement. Les derniers puits ferment définitivement dans les années 1950. Pour une étude très détaillée de la fin des concessions et des puits, l'internaute peut se reporter à l'ouvrage de G. Chaperon, Le Bassin minier de la vallée du Gier qui en réalise une étude exhaustive. Pour notre part, cette période concerne le développement de l'ère industrielle : elle n'est donc que l'aboutissement de la période artisanale qui nous préoccupe.

 

Dans toute cette débauche d'énergie, dans ces luttes incessantes entre ouvriers et compagnies, comment le mineur peut-il vivre, comment peut-il faire vivre sa famille ?

Avant tout, un constat. Il faut distinguer la vie des mineurs -et des habitants, en général- avant le démarrage de l'ère industrielle, c'est-à-dire jusque vers 1760, et pendant le développement industriel. Jusqu'à l'avènement des compagnies, des sociétés…, l'ouvrier mineur travaille pour lui. Il est laboureur, le plus souvent, ou exerce un métier artisanal, mais toujours pour son propre compte. Il n'est pas riche, il est, peut-être même, pauvre, mais il est heureux au sein de sa famille, il gère, à peu près, sa vie. A partir de l'exploitation industrielle des mines tout change. Le mineur travaille pour un autre, avec des horaires de 12 à 15 heures par jour : la vie familiale disparaît, la fatigue et l'impression de ne pas pouvoir s'en sortir l'entraînent vers le trou, pas celui de la mine. C'est l'alcoolisme qui prend le dessus, qui consomme toute la paye, déjà bien mince. Le mineur et sa famille tombent dès lors dans la misère, sans issue. Ceux qui s'en sortent sont ceux qui travaillent, encore, pour leur compte : ce sont rarement des mineurs. 4

La population est avant tout agricole : rien d'original pour cette France du XVe siècle. Le laboureur utilise les durs mois d'hiver pour arrondir ces fins de mois et créer une petite métallurgie locale qui va rapidement trouver un marché dans tout le pays. Les beaux jours revenus, l'artisan, le "Blanc", redevient laboureur. Il en va de même pour les mineurs. Au fil des années et des siècles, ce manque de main d'œuvre saisonnière appelle une main d'œuvre étrangère, venant des contrées limitrophes, mais aussi de Savoie, du Piémont, de Hongrie, de Russie, parfois prisonniers de guerre, anciens forçats… A la fin du XVIIIe siècle, cette immigration concerne essentiellement les villes ou villages dont le sous-sol est riche en charbon de qualité. Elle est corvéable à merci, renvoyée sans difficulté si le travail vient à manquer. Elle fait, aussi, l'objet d'une surveillance étroite de la part des autorités. Et, au sein de la population, elle est souvent mal vécue. 4

Au XIXe siècle, les enfants travaillent aux côtés des adultes, parfois dès l'âge de 8 ans, et de 9 à 15 heures par jour. Un petit nombre fréquente l'école jusqu'à dix ans. D'autres (ils sont rares), fils ou neveux de mineur, peuvent suivre, dès la sortie de l'école primaire une formation spécifique de deux ans. Adultes, ces enfants peuvent devenir chef d'équipe ou "gouverneur". Quant aux femmes, elles occupent des métiers en surface pour éviter tout contact avec les mineurs de fond qui travaillent souvent nus. 4

Pour loger toute cette population laborieuse, on dispose de bâtiments faits de scories, noircis par les fumées. L'hygiène y est déplorable. L'arrivée du canal à Rive de Gier, déversoir de toutes les eaux usées (un terme bien moderne !), est source de maladies infectieuses, sans traitement à cette époque. Les plus chanceux arrivent à se construire une petite maison, avec jardin, sur les versants de la vallée. Souvent, les ouvriers se regroupent dans les quartiers, par métier. 4

A propos de l'hygiène, J. Condamin donne son avis très particulier sur l'intérêt de la pollution des eaux de Saint Chamond par les teinturiers. Le texte vaut son pesant d'or : "Ces eaux, en effet, saturées d'acides et de matières tanniques, sont antimicrobienne au premier chef : à ce titre, elles contribuent, dans une large mesure, à l'hygiène publique. Si les cas de fièvre typhoïde sont si rares à St Chamond, la cause, pour une large part, doit être attribuée à l'action énergique des eaux de teintures sur les eaux d'égout et sur les eaux ménagères. Supposez Rive de Gier avec les eaux de teintures dans son canal, la ville aurait probablement échappé à l'épidémie dont elle a eu récemment à souffrir. J'en dirai autant des fumées de nos forges, laquelle, si elle noircit nos maisons et emplit nos appartements de poussière, sature en même temps l'air d'atomes de goudron dont l'inhalation est bienfaisante à la santé. 9"

Qui parle d'hygiène parle de santé. Du Moyen-Age à la première moitié du XVIIIe siècle, toujours pour les mêmes raisons, la santé du mineur est celle de toute la population ou peu s'en faut. Ensuite, le travail intensif va être source de pathologie bien spécifiques : problèmes respiratoires par silicose à soigner avec "du bouillon gras et des vins généreux", aboutissant à une insuffisance cardiaque, tuberculose, lésions articulaires, problèmes cutanés et une anémie typique chez les mineurs, liée à un parasite, l'ankylostome. D'où vient-il ? Les immigrés italiens sont mis en cause. L'infestation est d'autant plus importante que l'atmosphère est chaude -puits profonds- et humide. A ces problèmes de santé chroniques, il faut ajouter les accidents du travail : éboulements, inondations, poussières de charbon, gaz carbonique -ventilation insuffisante-, explosions dues au grisou, chutes au moment de la descente ou de la remontée -utilisation d'échelles de plusieurs dizaines de mètres-, ruptures de câbles. Les secours s'organisent à partir de 1813, avec l'obligation de tenir à disposition une trousse de secours. Ce n'est qu'à partir de 1832 que sont créés de véritables centres où l'on trouve en permanence médicaments, matériel médical et médecins. Leur fonctionnement sera très fluctuant, suivant les années, amenant l'administration à faire quelques rappels aux concessionnaires. A cette époque, il faut, en réalité, compter surtout sur la solidarité des mineurs, solidarité qui ne disparaît qu'avec la fermeture des puits. 4

Pour parer à des situations de misère inextricables, la création de caisses de secours est évoquée en 1815 : les fonds proviendraient des ouvriers et des patrons, pour un montant identique. Une caisse de prévoyance, créée en 1817 au plan national, est alimentée par le roi, les mineurs, les propriétaires du sol et des dons. Elle intervient en cas de blessure, de décès et attribue une retraite à partir de 60 ans. 2  En parallèle, chaque compagnie crée sa propre caisse de secours. Jusqu'à la fin du siècle, ces caisses sont sources de conflit entre compagnies, entre ouvriers et patronat, même si elles améliorent considérablement les soins et prestations sociales aux malades et aux familles. 4

Le mineur a-t-il l'espoir de se distraire, d'oublier sa fatigue, ses soucis d'argent, au moins pendant une journée par semaine ? L'espoir, il peut toujours l'avoir. Y parvenir, c'est autre chose. Il y a bien sûr les fêtes religieuses : la participation est très importante ; les fêtes laïques sont très nombreuses, commémorant des événements de tous les régimes : monarchie, république, empire. Il y a surtout la fête de la sainte patronne, Sainte Barbe. Après la procession dans la ville, après les discours, c'est le banquet où le vin coule à flots et les mets ne sont pas ceux de l'ordinaire. On s'en revient le soir, content de sa journée : le lendemain est souvent chômé. En dehors de ces fêtes, qui permettent au moins de se reposer, il y a pour l'homme le cabaret (le bistrot) et la bouteille, avec les collègues. On joue au domino, aux cartes et une partie du salaire mensuel disparaît. Pendant ce temps, la femme s'occupe des enfants à la maison. Rien de bien réjouissant et une vie qui ne dépasse pas l'âge 50 ans, en moyenne.

Difficile de résumer en quelques pages l'histoire des mineurs de notre vallée. Elle est certainement peu différente de celle qu'ont vécue les mineurs du Nord, de Lorraine et d'ailleurs. Mais c'est la leur que nous voulons vous faire découvrir. C'est grâce à eux que notre vallée a pu devenir la première région industrielle de France. Parler de leur vie, c'est leur dire que nous ne les oublions pas.



Bibliographie

1      J. Combe, Saint Martin-la-Plaine, Ed. Dumas, 1960

2      G. Chaperon, Cellieu, Ed. Actes graphiques, 1999

3      J.B. Chambeyron, Recherches historiques sur la Ville de RIVE-de-GIER, Limoges, Impression offset Imprimerie A Bontemps, 1844, Réédition 4è trimestre 1989

4      G. Chaperon, Le bassin minier de la vallée du Gier, Ed. ArtsGraphiques, 2004

5      M. Antoine, Histoire du Forez, Ed. de la Grande Fontaine, 1883, Réédition Imprimerie SEPEC, 1999

6      R. Lacombe, Recherches historiques II sur la Ville de Rive-de-Gier, Abbeville, F. Paillart Editeur-imprimeur, 1985

7      J. Lappouré, Histoire de la ville d'Izieux, Imp. De la Loire Républicaine, 1921, Réédition Les Amis du Vieux Saint Chamond Reboul Imprimerie Saint Étienne, 1990

8      S. Bertholon, Histoires de St Chamond, Saint Étienne, SA ImprimerieThéolier, 1927, Saint Étienne, Réédition Les Amis du Vieux Saint Chamond Reboul Imprimerie, 2004

9     J. Condamin, Histoire de St Chamond, A. Picard Editeur, 1890, Réédition Les Amis du Vieux Saint Chamond Reboul Imprimerie Saint Etienne, 1996