LAVANDIÈRES ET BLANCHISSEUSES

 

 

Le nettoyage du linge ne date pas de la deuxième moitié du XXe siècle, mais les moyens techniques ont, bien sûr, fortement évolué. Curieusement, si le "lavage" du corps n'était pas indispensable, parfois même déconseillé par les médecins, celui des vêtements témoignait d'un rang social élevé en opposition aux petites gens qui n'en avaient pas les moyens.

Dès l'Égypte ancienne, on retrouve cette préoccupation. Les moyens sont très naturels : eau, sable et plantes saponaires ou à savon et beaucoup d'huile de coude. L'utilisation du sable, un abrasif notable, ne devait pas garantir la longévité des tissus.

Au XVIIe siècle avant notre ère, en Mésopotamie, des foulons utilisent l'urine pour éliminer les taches. Ce procédé sera repris en Grèce et à Rome.

En Asie, battage sur pierre et plantes saponaires étaient utilisés couramment, avec des doutes identiques sur la résistance des tissus.

En Grèce et dans la Rome Antique, l'utilisation de l'urine humaine ou animale comme détergent est donc la règle. Les artisans sont les "foulons", tout à la fois blanchisseurs et, pour certains, couturiers. Mal vus de la population, ils n'en sont pas moins très utiles. La propreté du vêtement est indispensable et un signe de statut social. Dans un premier temps, les linges sont déposés dans des cuves remplies d'eau additionnée de terre à foulon, une argile aux propriétés absorbantes et dégraissantes. Des esclaves, plus rarement le foulon lui-même, piétinent l'ensemble (cela rappelle les fouloirs des vignerons..!). Les linges sont ensuite foulés dans des cuves remplies d'urine provenant d'établissements publics, diluée dans de l'eau. L'urine est utilisée pour éliminer les taches les plus importantes et comme agent de blanchiment. Les vêtements sont, ensuite, essorés, battus, rincés dans de l'eau courante. En cas de taches persistantes, le processus est entièrement recommencé. Le vêtement est à nouveau essoré par torsion ou à l'aide d'une presse, puis placé sur une claie, à l'air, souvent désinfecté par des fumées de soufre. L'urine est source de dégoût et de mépris, mais son importance en fait un produit très recherché, taxé par l'empereur Vespasien (1er siècle de notre ère) et provenant des toilettes publiques créées par le même empereur pour des raisons de salubrité.

Cette technique est utilisée longtemps après la chute de l'Empire romain (476). Comme pour de nombreux autres domaines, les historiens ne se sont guère penchés sur cette question pour la période du haut Moyen-Âge.

Nous avons souvent évoqué par ailleurs la "Taille", l'ancêtre de l'impôt sur les revenus dû par les roturiers. Créée en 1292, elle subit (déjà) des modifications en 1300 et 1313. A. Franklin évoque la présence de 43 "lavandiers et lavandières" à Paris dans celle de 1292. (À noter que ce terme de lavandier était aussi utilisé pour les laveurs de vaisselle, au moins sous Louis XIV). On peut penser que le métier existe dans toutes les grandes villes de France. À cette époque, communautés religieuses et bourgeoisie ont leur propre "buanderie". Les cendres pour la lessive sont produites sur place ou vendues par des marchands ambulants : leur activité provient de détachants naturels, des sels de potassium. La teneur varie suivant l'origine : cendres de fougères, d'arbres fruitiers, de charme, d'orme ; sont exclues les cendres de chêne et de châtaignier riches en tannin susceptibles de tacher le linge.

Une parenthèse pour évoquer ici le métier d'empeseur, ou faiseur d'empois. Vers la fin du XIVe siècle, les coiffures très hautes (voir notre article consacré à l'habillement) nécessitaient l'utilisation d'amidon, de gomme ou de cire. Cette habitude se prolonge au-delà du Moyen-Âge avec les collerettes tuyautées, les fraises godronnées au XVIe siècle avec l'utilisation de farine de riz (Henri III et ses mignons). La raideur ainsi obtenue n'était pas sans conséquence pour la peau : il fallait doubler ses attributs vestimentaires de fine batiste. Fermons la parenthèse. 

Les plus riches font laver leur linge à la campagne, les habitants des villes utilisent les services des lavandières les plus proches. Certains "nez" sensibles à l'odeur de la lessive interdisent l'utilisation une seconde fois d'une chemise lavée ou demandent que le nettoyage soit fait à l'étranger (Hollande) avec des eaux plus claires !

Le travail des lavandières – le métier est essentiellement féminin – n'est pas une sinécure. Et, pourtant, il est exercé par des femmes de tout âge. Pour les grandes familles, riches et donc pourvues d'une lingerie importante (linges divers, draps, vêtements), le nettoyage se fait une fois par an sur 3 ou 4 jours : c'est la grande "buée", d'où l'autre appellation des lavandières, bueresses ou burresses.  Avant de commencer, le linge est trié : le blanc d'un côté, le teint d'un autre. Le premier jour, dit le "Purgatoire", le linge est mis à tremper dans de l'eau courante froide pour éliminer les taches "solubles" : c'est l'essangeage. Le lendemain, le linge, du plus fin au plus grossier, est placé, plié, dans un cuvier rempli d'eau froide et, comme les romains, nos lavandières foulent avec les pieds le linge pour éliminer plus de saletés. L'eau s'écoule par un trou, la pissote, au bas du cuvier ; tant qu'elle n'est pas claire, il faut continuer ce foulage. Le lendemain, dit l' "Enfer", c'est le coulage à chaud. L'eau est chauffée au feu de bois dans un chaudron, puis versée tiède dans le cuvier (une grande seille faite de douelles pouvant atteindre 2 m de diamètre, 50 cm de hauteur et recevoir jusqu'à 400 l  d'eau ; il peut être posé sur un support, la selle)  où se trouve le linge recouvert d'une grosse toile de chanvre sur laquelle a été déposée de la cendre. L'eau de lessive, le lessis ou lissieu (termes locaux ?), est récupérée dans une petite seille, via la pissote, réchauffée dans le chaudron et versée, de plus en plus chaude, à nouveau sur la toile à cendres à l'aide d'une louche ou d'un broc, le vide-buée. Une journée entière est consacrée à cette lessive. Le lendemain, dit le "Paradis", c'est le retirage effectué au lavoir ou dans le cours d'eau le plus proche. La lavandière est agenouillée dans une boîte en bois remplie de paille ou de chiffons, une planche à laver inclinée vers l'eau, devant elle : c'est le temps du battoir - pour éliminer au maximum l'eau de la lessive -  et de la brosse qui ne laissent pas le linge indemne. Vient enfin le rinçage, pas moins fatigant, et le temps le plus convivial où chacune y va de son histoire ou de son anecdote… Le linge est alors essoré par torsion pour en diminuer le poids, transporté sur une brouette en bois ou dans un panier, puis mis à sécher dans des prés, des cours ou, en ville, sur des cordes tendues d'une maison à l'autre, souvent éloignés du point d'eau. S'il n'y a pas de pluie, le linge peut être mouillé pendant 2 ou 3 jours pour être plus blanc. Dans la dernière eau de rinçage, une poudre bleue peut être mise au contact du linge pour le rendre plus blanc ; c'est l'azurage ; à l'origine de cette poudre, le lapis-lazuli, une pierre très chère venant d'Afghanistan dont l'agent actif est synthétisé dès 1831 et toujours utilisé.

 

     
 

          "La lessiveuse" J.F. MILLET Louvre                                               "La lessive"  LÉGÉ   BNF

À gauche : cuvier ou grande seille sur trépied, petite seille de récupération, toile recouverte de cendres, battoir, chaudron dans la cheminée, cruche (vide-buée).

À droite, cuvier, toile recouverte de cendres, chaudron incorporé au sol avec feu latéral (avant 1834).

 

 

 

   
 

                                                                        Ridgway Knight  (1908)

                                   Boîtes à laver sur pied pour s'agenouiller, planches à laver, battoir ou brosse

 

 

   
                                                          Boîtes à laver avec pieds, et porte-savon (à droite)

 

 

     
                        Planche à laver à pieds et boîte à laver                                                      Planches à laver à rayures

     

Au total, un travail harassant et non sans danger : brûlures, vapeurs, hygiène, poids à manipuler…, tout concourt à une précarité sanitaire. Pour des lessives de petits linges, c'est la petite buée ; la seule différence est la quantité à traiter, mais le protocole est le même. On en retrouve un exemple en 1639, avec le contrat d'un Vincent Leure, blanchisseur à la Grenouillère, qui "s'engageait à blanchir pendant un an la Maison du duc de Nemours. Moyennant cent-trente-cinq livres par mois, il devait être lavé chaque jour neuf nappes et quarante-huit serviettes, outre le linge de corps provenant de cinquante-quatre personnes composant la suite du prince". Quant aux pauvres, pas question de réaliser une grande ou une petite buée : ils restent sales avec toutes les conséquences sanitaires que l'on peut imaginer.

Le processus sus-indiqué présente quelques variantes suivant l'auteur, mais le travail et le résultat sont toujours les mêmes : dureté du labeur, résultat discutable et surtout problème environnemental (déjà) majeur au niveau des cours d'eau. Ceux-ci sont pollués par d'autres entreprises – teinturiers, tanneurs, forgerons…- ou par le rejet des égouts. L'utilisation de l'eau est source de dangers pour la santé publique ; à Paris, une succession d'ordonnances en 1666, 1667, 1669, 1777 interdit l'utilisation d'une partie de la Seine "à cause de l'infection et impureté des eaux qui y croupissent, capables de causer des graves maladies". Toujours à Paris, mais aussi dans les grandes villes traversées par des fleuves ou des rivières, nos lavandières peuvent s'installer, dès la fin du XVIIe siècle, sur des bateaux, plats et couverts, dits "de selles" qui ont le long de chaque bord des bancs ou espèces de tables sur lesquels les blanchisseuses lavent leur linge, moyennant un certain droit versé aux propriétaires [hommes ou femmes] des bateaux – Sur la Seine, 60 baux de bateaux à lessive en 1695, 88 en 1789, à raison de 24 lavandières par bateau. Sur la Bièvre, pas de bateaux, mais des tonneaux à blanchisseuses, près de 600 à la fin du siècle ;  il en découle des taxes bienvenues pour les caisses de l'État ! Ces bateaux sont amarrés sur les bords de la Seine, deux par deux. En 1739, la ville de Paris décide que les lavandières laveront désormais les linges dans ces bateaux, moyennant finance. Un an plus tard, cette décision est annulée grâce à un bon avocat. La qualité du travail des lavandières n'est pas toujours appréciée ; la chaux, moins chère que la soude, est utilisé par certaines, brulant le linge et le rendant dur et désagréable au toucher. On a vu que certains aristocrates envoient leur linge en Hollande. Dans les années 1780, d'autres lésinent encore moins sur la dépense, envoyant leur linge à Saint-Domingue. Il faut dire que l'eau et le savoir-faire des habitants de cette île donnent des résultats inconnus en métropole, une blancheur inégalée. Humiliées, les lavandières de Paris veulent faire de même, mais le linge, mal traité, s'use rapidement : "Il n'y a pas de lieu sur la terre où l'on use plus le linge à force de le frotter… elles râpent le linge au lieu de le savonner ; et quand il a été cinq ou six fois à cette lessive, il n'est plus bon qu'à faire de la charpie."

C'est dans cette deuxième moitié du XVIIIe siècle que la profession va évoluer. L'autorité et le savoir-faire féminin vont progressivement disparaître au profit de financeurs, sur fond de découvertes scientifiques, de nécessités hygiéniques, de protection environnementale, de facilitation du travail, à la veille de la Révolution industrielle. Ce XVIIIe siècle est marqué par une forte croissance démographique augmentant mathématiquement les dépenses pour l'habillement tandis que la culture des apparences ne fait que se développer depuis plusieurs siècles (Cf les lois somptuaires). À cela s'ajoute l'apparition de nouveaux tissus, parfois plus légers pour lesquels de nouveaux traitements doivent être recherchés.

Les premiers griefs restent l'hygiène, le bruit des battoirs et l'encombrement des voies navigables. À Paris, dès 1719, un projet, repris en 1760, propose la construction d'un canal réservé aux blanchisseuses, hors de la ville. Une proposition identique concerne les villes de province. Tout cela reste lettre morte, de même que les simples plaintes, les arrêts du Conseil du roi, les ordonnances… La difficulté tient également au fait que le métier emploie de très nombreuses femmes, souvent pauvres, et qu'inversement les besoins de la population sont de plus en plus importants. Au final, la pollution ne fait qu'augmenter entre les rejets des eaux domestiques et de certaines entreprises. Ces eaux malsaines sont utilisées tant pour la consommation que pour le nettoyage des vêtements, avec les conséquences que l'on peut imaginer.

Le grand virage va s'opérer à partir de 1786, avec l'idée de créer de vastes buanderies sur terre ferme où les lavandières – toujours des femmes porteuses du même savoir-faire – pourraient réaliser en un même lieu toutes les phases de la lessive. Le Conseil du roi autorise la création de trois entreprises hors les murs de la ville de Paris : "les entrepreneurs ont pris soin d’affirmer qu’ils veulent mettre en œuvre une pratique du blanchissage moderne, rationnelle, sur le modèle des blanchisseries flamandes et hollandaises, dans de grands établissements fonctionnels, munis d’étuves chauffées au charbon de terre afin de sécher le linge à l’intérieur des bâtiments – et non plus à l’extérieur sur des fils ou des perches – et dont les procédés, importés de l’étranger, éviteraient au linge l’altération qu’il subit de la soude, de la potasse, des mains, des brosses et du battoir des blanchisseuses. De même, tous insistent sur la pureté de l’eau qu’ils mobiliseront mais aussi sur la décongestion du centre, soit en amont de la Ville (Bercy) soit suffisamment en aval (Boulogne et Saint-Denis)." ou encore "Il vient de s’élever un établissement nouveau des plus considérables, c’est une blanchisserie pour le linge de Paris, de Versailles et des environs (…). Le linge y sera blanchi à la manière de Hollande et d’Angleterre par des personnes que l’on a fait venir de l’un et de l’autre de ces pays". Dans cet établissement, ouvert en 1787, la lessive est toujours à base de cendres. Un autre établissement utilise la vapeur. Comme les deux précédents, un troisième, créé la même année, ne survivra pas au-delà de la fin du siècle. La Révolution va freiner les activités de ces entreprises pour le grand bien des blanchisseuses qui, dans le désordre existant, vont augmenter leurs activités sur la Seine et la Bièvre. Toutefois, le "réforme" est lancée, dans l'esprit du Siècle des lumières.

En 1805, suivant les travaux de Chaptal, il est proposé un blanchissage à la vapeur associé à l'utilisation de carbonate de sodium comme lessive. Les blanchisseuses trouvent, moyennant un loyer, dans un même local tout le matériel nécessaire avec les nouvelles techniques, avec désencombrement de leur logement, mais aussi des rues en limitant leurs allées et venues.  Dès ce moment, de nouvelles recherches démarrent : sur les fourneaux à charbon pour produire la vapeur, sur la lessive… Pour celle-ci, le chimiste Berthollet est à l'initiative, en mettant en évidence le pouvoir blanchissant du chlore retrouvé dans la soude artificielle. Des recherches sont effectuées dans l'usine de fabrication d'acide sulfurique, dans le village de Javel, près de Paris. Le chlore est finalement associé à l'hydroxyde de potassium : l'eau de Javel est née. Outre le pouvoir de blanchir, de laver, cette eau désinfecte. Il va de soi que même s'il est question d'intégrer les blanchisseuses dans des structures utilisant ces nouveaux procédés, celles-ci veulent conserver leurs techniques de l'Ancien régime. En 1826, un nouveau projet d'établissement public réservé aux blanchisseuses, utilisant carbonate de sodium et vapeur pour le blanchissage, eau de Javel pour le blanchiment, introduirait la mécanisation pour le brassage du linge, reprenant le principe des dashwheels anglaises : il reste lettre morte.

Finalement, parmi toutes ces nouveautés, la plupart sont critiquées, déconseillées ou abandonnées vers 1830.

Dans le même temps, les autorités s'inquiètent de la santé des blanchisseuses. Il est grand temps. Les risques sont multiples, d'abord bactériologiques à cause des vêtements sales contaminés (tuberculose, en particulier), ensuite du fait des nouvelles lessives utilisées (problèmes respiratoires et cutanés), de l'humidité, des buées chaudes, des efforts physiques continus, de l'oxyde de carbone (chaufferies, repassage), des brûlures … Tout cela est source de varices, de rhumatismes qui portent sur le moral et sont "soulagés" par l'alcoolisme. Certaines précautions élémentaires de nos jours sont à peine abordées : meilleure ventilation, absence de nourriture dans les ateliers, vêtements de travail, paniers différents pour la récupération du linge sale et la livraison du linge propre.

Si les recherches se multiplient chez les scientifiques et les industriels (ou investisseurs), l'information prend un essor considérable au début du XIXe siècle, à destination des particuliers et des industriels par la publication de manuels, de publicités ou d'articles dans des journaux, spécialisés ou non. Dès lors, deux actions sont bien définies : le blanchiment pour rendre blanc les tissus neufs avant d'être teints, le blanchissage pour laver les tissus sales. Par contre, l'appellation "blanchisseuse" semble être utilisée dans les deux cas. Le mot "lavandière" disparaît progressivement. Reste le mot "buandière", aujourd'hui disparu, blanchisseuse de linge fin.

L'information sur l'importance de l'hygiène  concerne donc, aussi, les particuliers et montre l'importance de la qualité du savon. De grandes savonneries voient le jour, comme Procter et Gamble Company, aux États-Unis, en 1837.

En décembre 1850, les députés débattent sur "le projet de loi tendant à ouvrir un crédit de 600 000 francs pour favoriser la création d’établissements modèles de bains et lavoirs au profit des classes laborieuses" initié l’année précédente et présenté le 11 juillet 1850. Un des arguments avancés, en plus de l’intérêt apporté « aux classes laborieuses » – la révolution de 1848 suivie des journées de juin n’est pas loin – est celui de l’hygiène : "…on a rappelé qu’en cas d’épidémie, on trouvait presque là une certitude de diminuer l’intensité du fléau (…) qu’il existait encore des contrées où la saleté traditionnelle engendrait la gale et autres maladies contagieuses". Les bains ainsi créés sont à prix réduit, voire gratuits suivant les villes qui prennent à leur charge les dépenses engendrées. Profitant de cette loi, Alexandre bourgeois d'Orvanne crée en 1856 la Compagnie générale des bains et lavoirs de France. Il présente une documentation sur les progrès nécessaires, notamment l'utilisation de la vapeur avec chauffage au charbon pour le blanchissage et l'élimination des eaux usées. Si ces établissements sont bénéfiques pour l'hygiène des plus démunis, il n'avantage pas les blanchisseuses qui doivent payer la location du matériel mis à disposition : "cuviers en tôle galvanisée pour le lessivage, une chaudière à vapeur désormais essentielle, deux essoreuses, deux réservoirs. Chaque blanchisseuse dispose d’un baquet à savonner, d’un baquet à rincer, une boîte à laver pour ne pas se mouiller, un seau pour prendre l’eau chaude et de la lessive. Des garçons de lavoirs sont commis au portage des seaux".

La même année, ouvre la première teinturerie utilisant des produits organiques, dont un mélange d'alcool et d'essence de térébenthine.

Dès le milieu du XIXe siècle l’essor de la demande de linge propre est alimentée à la fois par les préoccupations hygiénistes, mais aussi par le développement de structures comme les hôpitaux, les casernes, les hôtels, les prisons, les lycées, les internats… Ainsi naissent de grands établissements comme La Compagnie des lits militaires, installée dans plusieurs villes de France, l'Assistance publique de Paris avec 16 buanderies intégrées dans autant d'hôpitaux, La blanchisserie centrale des hôpitaux de Lyon, La blanchisserie à la vapeur de Gironde à Bordeaux, Les blanchisseries des hôtels de Nice et Monaco.

Vers 1850, également, apparaissent les premières lessiveuses. L'eau y est chauffée directement ; arrivée à l'ébullition,  elle remonte par un tube central terminé par une sorte de pommeau de douche ; après avoir traversé le linge, elle descend au fond de la lessiveuse, est chauffée à nouveau… Un véritable soulagement pour la blanchisseuse qui n'a plus à affronter l'enfer, le coulage à chaud.

 

     





 
                                                                   Chaudières pour lessiveuse et lessiveuses
                                            (1890 : À la ménagère)                                                                (1909 : Au Châtelet)
                                                          (voir ci-dessous le principe et la structure interne)

 

     
                      Essoreuse ou presse à linge (XIXe s.)                                        Calandreuse-essoreuse (1909)

 

À la fin du XIXe siècle, les buanderies industrielles sont encore minoritaires, mais se développent conformément à l'industrialisation générale du siècle, la Révolution industrielle. Elles proposent des machines à laver à tambour cylindrique tournant et perforé. Elles peuvent avoir plusieurs compartiments pour être utilisées par deux ou quatre clientes.

                                  

   

 

 

 


Quant au séchage, il se fait soit à l'intérieur à température ambiante, soit à l'air libre sur les toits.

Malgré les progrès réalisés au cours du XIXe siècle, le métier reste très dur. Les blanchisseuses indépendantes manifestent pour obtenir un vrai salaire et non plus un règlement à la pièce. À la fin du siècle, des syndicats regroupent les blanchisseuses dont les revendications concernent surtout leur rémunération, négligeant, à priori, les questions d'hygiène !?

Nous nous sommes surtout préoccupés jusqu'à présent des blanchisseuses professionnelles. Comme on l'a vu plus haut, les plus pauvres faisaient elles-mêmes leurs lessives ou n'en faisaient pas du tout. Pourtant, comme en d'autres domaines touchant notamment à la santé, l'information  sur la nécessité d'une bonne hygiène prend de l'ampleur dès le début du XIXe siècle. À la fin de ce siècle et au début du suivant, voilà ce que l'on peut lire dans l'Almanach Hachette, petite encyclopédie populaire de la Vie pratique, de 1897 :

 

   
                 Une bonne gestion de la maîtresse de maison pour l'entretien du linge confié à la blanchisseuse

 

         

 

Au début du XXe siècle, la sensibilisation à l'hygiène dans les hôpitaux, grâce, notamment, aux découvertes de Pasteur, rend obligatoire la désinfection du linge dans les hôpitaux. Elle est réalisée à l'aide soit d'autoclaves, soit de gaz comme l'ozone ou les vapeurs de formol.

La cendre vit ses dernières années pour le blanchissage, concurrencée par les cristaux de soude, les poudres à laver, le savon, et, au milieu du XXe siècle, les détergents de synthèse. La lessiveuse à champignon trouve vraiment sa place à partir de 1918. La grande buée annuelle n'est plus qu'un vieux souvenir : la lessive est désormais hebdomadaire et réalisée par la maîtresse de maison. À ce propos, les conseils pour réaliser la lessive ne manquent pas. Le "Larousse ménager" illustré de 1926 est très précis sur ce sujet :

                      

   

 

   

 

   

 

   

 

   

 

   

 

   

 

   

 

   

 

     

 

En 1931, le secteur de la blanchisserie concerne environ 110 000 personnes, dont 90 % de femmes ; 45 % travaillent seules ou dans des petits établissements indépendants. Elles sont encore le plus souvent payées à la pièce.

Les "inventeurs", les scientifiques et les investisseurs cherchent depuis le siècle des Lumières à simplifier le travail de nos blanchisseuses. Dans quel but ? Rendre le métier plus facile ? Créer des entreprises spécialisées à but lucratif ? Permettre de créer une meilleure hygiène dans toutes les familles, quels que soient les moyens financiers (ou presque !). Dès la fin du XVIIIe siècle, un américain dépose un brevet pour l'invention d'une machine à laver, à priori sans grand succès. À partir de 1830, de nombreuses machines nous arrivent d'Angleterre, mais elles ne réalisent chacune qu'une partie du travail et l'énergie nécessaire est toujours d'origine humaine. Il faut attendre 1920 pour voir la première machine électrique et 1930 pour une première machine électrique automatique, la Bendix, qui lave, rince et essore le linge. À partir de 1950, un système de chauffage automatique est intégré. Les progrès, comme la programmation de la température en fonction des tissus, la vitesse d'essorage, la possibilité de réaliser plusieurs rinçages… découleront des avancées technologiques réalisées dans l'informatique, la mécanisation, l'automatisme…

Pour évoquer cette évolution, nous vous proposons des extraits de catalogues de Manufrance au cours du XXe siècle. 

 

Catalogue 1910

 

     

 

       

 

         

 

Catalogue 1928

 

     

 

     

 

 

 
     

 

Catalogue 1951

 

   

 

     

 

     

 

   

 

Au cours de ces quarante années, les progrès sont donc manifestes, grâce à la recherche et ... à l'électricité : nouveaux savons, nouvelles lessives et, surtout, un matériel réduisant les dépenses physiques de la blanchisseuse qui, dorénavant, est souvent la maîtresse de maison au grand dam des blanchisseuses professionnelles. À noter, toutefois, que les lessiveuses, brosses, planches à laver… sont toujours commercialisées en cette fin de la première moitié du XXe siècle.

Au cours de ces 25 dernières années, nous avons pu réunir quelques objets concernant la blanchisserie. Ce n'était pas notre sujet principal et la "récolte" est donc très incomplète.

 

 

     
                          Lessiveuse en fonte et fer, avec chauffage au bois intégré et production de cendres
                                                                               Env. h 90  Ø 60

 

  

   



 

 

       
        Lessiveuse "L'INDISPENSABLE", avec robinet d'écoulement et mécanisme de circulation de l'eau chaude.
                                                                             
 Environ h 85  Ø 70/35

 

 

   
                                                         Petite seille (récupération de l'eau)
                                                                                     h 26   Ø 36

 

       
                                 Lessiveuse "LA POPULAIRE" N°6, sans mécanisme de circulation de l'eau chaude.
                                            La planche à laver peut y être placée comme dans une rivière…

   

 

     
                                                                          Bassines

 

 

     
 

                                                Pieds porte-cuves à lessive à 3 (en V) ou 4 pieds (en X)

                               Environ     95 x 70                                                                              57 x 57 x 50

 

 

         
  Lessiveuse, agitateur en laiton ? L'ustensile est placé dans une bassine. Grâce à un mouvement de bas en haut de la tige, l'eau monte dans le récipient central. Un ressort fait remonter la tige ; une nouvelle pression chasse l'eau à travers les trous du récipient, ce qui provoque une agitation de l'eau de la lessive et du linge. Environ 90 cm. Efficacité ?
À noter que nous n'avons pas trouvé de modèle identique dans notre documentation.

 

 

         
                                                                         Planches à laver
                                   h 80  l 45                                                                                              h 88  l 49

 

  

     





 
 

Près de la rivière ou dans la cour, l'étendage pour faire sécher le linge et la boîte à laver, avec poignées, remplie de paille pour adoucir le contact des genoux avec le bois.

                                                                                                                                                      47 x 40 x 26

 

 

     


 
 

                                        Battoirs                                                                                       Pinces à linge

                          1 L totale 35  battoir Ø 16                                                                      1 L 16,5
                          2 L     "    30      "      17 x 15                                                                  2 L 11,5
                          3 L     "    30      "      15 x 9                                                                    3 L 11
                          4 L     "    32      "      20 x 12                                                                  4 L 11

 

On ne saurait terminer cet article sans évoquer la plus célèbre des blanchisseuses, Catherine Hubscher, plus connue sous le nom de Madame Sans-Gêne (1753 – 1835), née à Altenbach, dans le Haut-Rhin. Son surnom, titre d'une pièce de théâtre, lui fut donné par l'écrivain Victorien Sardou en 1893. Repasseuse, puis cantinière et, enfin, blanchisseuse, elle épouse un petit sergent, François Joseph Lefebvre qui devient maréchal d'empire et duc de Dantzig, deux titres, maréchale et duchesse, que Catherine portera sans en faire étalage. Son surnom lui vient de son franc-parler, de ses manières simples. Très appréciée par Napoléon 1er, malgré ses critiques, elle l'est beaucoup moins par la cour. Elle n'oublia jamais ses origines modestes et sut faire profiter son entourage de ses richesses.

 

Ainsi se termine ce nouveau chapitre à la limite de l'artisanat et de la vie domestique. À défaut d'être complet, il montre l'évolution (et la quasi disparition) d'un métier en fonction des progrès techniques. Une grande partie des objets de nos collections a été dispersé dans des musées. Comme pour les autres domaines, nous ferons une copie de cet article pour vous signaler ce qui est encore disponible.

 

 

FIN

 

Bibliographie

- A. Franklin, Dictionnaire Historique des Arts, Métiers et Professions exercés dans Paris depuis le treizième siècle H. Welter éditeur en 1906 réédition Bibliothèque des Arts, des Sciences et des Techniques, 2004
- Catalogue Manufacture Française d'Armes et cycles 1910, Le Manufrance du collectionneur, éditions du Pécari, 2003
- Calalogue de la Manufacture d'Armes et Cycles de St Etienne 1928 , Bibliothèque de l'Image, 1997
- Catalogue Manufacture Française d'Armes et cycles 1951
- E. Chancrin et F. Faideau  Larousse Ménager Illustré, Librairie Larousse, 1926
- Nicole de Reyniès, Le mobilier domestique, Imprimerie nationale Éditions du Patrimoine, 1992
- Almanach Hachette, 1897, 1903, 1908, 1913, 1931

 

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