INSTRUMENTS D'OPTIQUE
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POLARIMÈTRES ANCIENS
Il n'est nullement question de donner un cours de physique sur les ondes électromagnétiques. Nous en sommes incapables. Pour ceux qui voudraient en savoir un peu plus sur la théorie, nous vous proposons quelques liens qui nous ont paru simples, compréhensibles. Si vous avez des précisions à donner, ou, tout simplement, d'autres liens donnant des explications plus abordables pour le profane, n'hésitez pas. Nous nous ferons un plaisir de l'ajouter dans cet article.
Définition : cliquer ici
Polarisation de la lumière et polarimétrie : cliquer ici
Historique : cliquer ici
Nous vous présentons 3 polarimètres anciens. Pour chacun d'eux, nous évoquerons, de façon succincte, l'histoire de leurs concepteurs. Comme pour ceux des microscopes, nous rencontrerons des familles où l'on est opticien de père en fils, d'oncle à neveu, de beau-père à gendre…
1 POLARIMETRE E. HARTNACK
Friedrich Edmund Hartnack est né en 1826. Il suit une formation de mécanicien à Berlin. Il rejoint, à Paris, Heinrich Daniel Ruhmkorff, puis Georg Oberhauser, opticiens avec lesquels il travaille sur la microscopie. Après avoir créé sa propre entreprise (voir "Microscope C. Vedrick"), il est obligé de s'exiler, en 1870, à Potsdam où il meurt en 1891. On lui doit, notamment, l'amélioration de l'objectif à immersion et celle du prisme de Nicol, en polarimétrie. Il a créé ses propres systèmes d'éclairage pour microscope ou polarimètre.
Bien que cet appareil ne comporte que des références à l'entreprise de E.Hartnack, on peut penser qu'il date du premier quart du XXe siècle. Nous avons vu sur internet des polarimètres similaires, mais à chambre optique chromée, donc sans doute plus récents, munis d'un système d'éclairage électrique. Une altération du vernis sur le pied, près du miroir, fait supposer que ce système d'éclairage équipait notre modèle.
Polarimètre E.Hartnac |
Le polariseur, situé au bas de la chambre optique, transforme la lumière réfléchie par le miroir en lumière polarisée.
Cette lumière va traverser le liquide à analyser contenu dans l'ampoule optique (chambre optique fermée, bien sûr : voir 2ème photographie, ci-dessus, à gauche)
Sur l'ampoule, on peut lire : Rohrlange – 100 mm (longeur de la chambre – 100 mm)
Enfin, la lumière va parvenir dans le polariseur analyseur mettant en évidence la rotation d'angle du plan de polarisation à droite (substance dextrogyre) ou à gauche (substance lévogyre) autour de la direction de propagation. L'angle de rotation est fonction de la substance traversée, proportionnel à la longueur de l'ampoule et à la concentration de la substance.
L'extrémité supérieure de la chambre optique comporte trois éléments :
- L'oculaire qui permet de repérer l'angle de rotation. La marque E. Hartnack y figure en toutes lettres, de même que des informations sur l'utilisation de l'oculaire :
Polarisations- Apparat E. Hartnack Optik-Mechanik Berlin-Steglitz |
Scharfstellung (Mise au point du champ vers l'avant ou l'arrière) |
- Une loupe, solidaire de l'oculaire, qui permet d'observer les indications de l'anneau ci-dessous ;
- Un anneau translucide gradué comportant, notamment, une échelle graduée.
D.R.G.M. turning in the left Kreisgrade turning to the right ------------------------------------------------------------------------------------------------ 25 20 15 10 5 0 5 10 15 20 25 Special --------------------------------- Skala 20% 10% 0 10% 20% Eiweiss Zücker Prozente im Harn Per cent in the urine |
Les indications sont libellées en anglais et en allemand. Le sigle D.R.G.M. est l'abréviation de "Deutsches Reichsgebrauchsmuster". Cela signifie que ce polarimètre est breveté pour la totalité du territoire allemand et, donc, non seulement pour la province ou la ville où il a été conçu. Il est ainsi protégé pendant 3 ans, au maximum 6. Cet enregistrement débuta en 1891 et ne prit fin qu'en 1952.
Comme chacun a pu le voir, ce polarimètre était étalonné pour le dosage du glucose et de l'albumine dans les urines.
Quant au mode d'emploi, nous en sommes réduits à des suppositions. Cet appareil étant postérieur au polarimètre de Laurent, il fonctionne vraisemblablement sur le même principe avec une lampe à sodium (voir ci-dessous). Si vous pouvez nous donner des précisions sur la façon de l'utiliser, nous ne manquerons pas de les intégrer dans ce document.
2 POLARIMÈTRE A PÉNOMBRE DE LAURENT
Nous allons remonter, un peu, dans le temps avec ce polarimètre à pénombre qui date de la fin du XIXe siècle, ou tout début du XXe.
Pour commencer, nous vous proposons un petit historique. Pour plus de détails, cliquer ici.
Léon Laurent (1840 – 1909) suit ses études secondaires à Paris. En 1856, il rentre comme dessinateur chez Gustave Froment, fabricant de matériel scientifique. Récompensé à plusieurs reprises pour la qualité de son travail, il épouse en 1870 la fille de Jules Duboscq (voir polarimètre 3). En même temps, il rentre dans l'entreprise de son beau-père. Pas pour longtemps, puisque 2 ans après, il reprend l'entreprise d'Henri Soleil qu'il développe, notamment, par son travail sur les saccharimètres. En 1874, il propose son polarimètre-saccharimètre à pénombre qui améliore sensiblement les performances du saccharimètre-Soleil. Il travaille également sur de nombreux autres appareils d'optique : projecteurs, colorimètres, microscopes polarisants, spectroscopes. Il améliore la qualité des composants de ces appareils, invente des appareils qui permettent de tester ces composants, et, par là, d'en améliorer la qualité. Reconnu par tous les scientifiques de son temps comme le meilleur fabricant et innovateur d'instruments scientifiques, il cède son entreprise en 1892 à Amédée Jobin. Cette entreprise existe aujourd'hui encore sous le nom de Jobin et Yvon, filiale de Instruments s.a.
Léon Laurent est certainement le plus titré et médaillé des chefs d'entreprise de son époque.
Quelle est la différence avec le saccharimètre de Soleil ? Celui-ci utilise une lumière blanche ; l'observateur doit faire correspondre des nuances de couleur entre elles. Dans le polarimètre à pénombre, la solution est traversée par une lumière jaune, polarisée, monochromatique obtenue avec un brûleur à sodium. Dans l'oculaire apparaissent deux zones éclairées différemment. En faisant tourner le polariseur analyseur, on peut provoquer l'égalisation de l'illumination de ces deux zones. L'angle de rotation est reporté sur un disque gradué. On en déduit la concentration en saccharose de la solution.
Polarimètre-saccharimètre à pénombre de Laurent |
Cet instrument nécessite un brûleur à gaz dans lequel on fait brûler un sel de sodium. La flamme devient jaune (caractère utilisé en chimie analytique pour identifier le sodium).
La lumière émise va traverser successivement :
- un polariseur biréfringent constitué par un prisme de Nicol, solidaire d'un petit levier qui permet de régler l'intensité de la lumière à l'autre extrémité du polarimètre, au niveau de l'oculaire ;
- un diaphragme circulaire recouvert à moitié par une lamelle de quartz ;
Prisme de Nicol Diaphragme |
- le tube optique contenant la solution à analyser (absent : voir ci-dessous, saccharimètre Soleil) ;
- un polariseur analyseur solidaire d'un disque mobile gradué ;
- un oculaire.
1 Polariseur-analyseur, avec vis moletée de rotation (a) 2 Oculaire 3 Disque gradué 4 Vernier de précision 5 Loupe 6 Bouton moleté de déplacement du vernier |
Le dosage s'effectue de la façon suivante :
- on allume le gaz et l'on y fait brûler le sel de sodium : la flamme est jaune ;
- on règle, éventuellement, l'intensité lumineuse arrivant dans l'oculaire à l'aide du levier solidaire du polariseur ;
- en l'absence du tube polarimétrique, on fait coïncider les zéros du vernier et du disque ;
- en regardant à travers l'oculaire, à l'aide de la vis moletée (a) de l'analyseur, on amène les deux plages créées par le diaphragme à égalité de luminosité ;
- on met en place le tube polarimétrique contenant la solution à étudier ;
- les deux plages sont à nouveau différentes. On recrée l'égalité de luminosité à l'aide du bouton (6). Le vernier se déplace d'un certain angle (angle de rotation du plan de polarisation). La lecture de l'échelle graduée permet d'en déduire la concentration en saccharose de la solution examinée. Le disque comporte deux échelles : la plus extérieure est en degrés angulaires (100 – 0 - 100 ; vernier 30 - 0 - 30 ) ; celle de l'intérieur est en degré saccharimétrique (200 – 0 – 400 ; vernier : 10 – 0 – 10).
100° saccharimétriques provoquent une rotation de 21,66° du plan de polarisation, dans un tube polarimétrique de 20 cm de long : la solution aqueuse correspond à 162,69 g/l de saccharose.
Cet appareil eut un succès considérable. Entre 1875 et 1886, plus de 1200 exemplaires furent vendus, en particulier à l'Etat Français. Le ministère des Finances en fut le grand bénéficiaire : les taxes à payer sur le sucre dépendaient du degré saccharimétrique de ses solutions.
3 SACCHARIMÈTRE SOLEIL
L'histoire démarre, pour cette autre dynastie, au début du XIXe siècle, avec François SOLEIL qui va œuvrer avec les plus grands physiciens de son temps, de 1799 à 1838, date à laquelle il cède son entreprise à son gendre, Jean-Jacques François. Celui-ci la cède rapidement à son propre gendre, M. Létourneau. On doit à François Soleil l'amélioration des lentilles à échelons utilisées dans les phares (qualité, diamètre, reproductibilité...) et la paternité de … Jean Baptiste Soleil. Celui-ci, né en 1798, suit des cours de physique, reçoit comme apprenti une formation en optique et mécanique. A ses débuts, il travaille avec son père, François, notamment sur la mécanique des phares. En 1834, il présente son propre travail, ce qui lui vaut d'être reconnu par la plupart des scientifiques. Ceux-ci proposent des idées : Soleil les transforme en instruments : la liste est impressionnante. Cela concerne en particulier la polarisation. Son saccharimètre sort dans sa version la plus élaborée en 1848. J.B. Soleil se retire des affaires en 1850. Il cède la section de la fabrication des lentilles à son fils Henri et celle des instruments scientifiques à son gendre Jules Duboscq (1817 – 1886). Henri Soleil n'atteint jamais le niveau de ses grand-père et père. Il vend son entreprise en 1872 à Léon Laurent (voir ci-dessus). Quant à Jules Duboscq, apprenti chez J.B. Soleil, il en devient le gendre, puis le successeur. La qualité de son travail en fait rapidement le meilleur fabricant d'instruments scientifiques sur le plan mondial. La liste des instruments qu'il conçoit est très longue et sort du sujet de cet article. L'entreprise de Jules Duboscq est reprise par son neveu, puis par Philibert Pellin. L'entreprise fusionne dans les années 1940 avec la Société industrielle d'instruments de précision.
Notre saccharimètre est malheureusement incomplet. La rédaction de cet article nous a obligé à voir de plus près cet instrument. La déception a été grande : il manque le polariseur et d'autres pièces ! Il n'en est pas moins rare et date du dernier quart du XIXe siècle. Il porte le N° 436. Malgré ces manques, nous avons décidé de vous le montrer.
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Trépied et support pliés Instrument en place |
Saccharimètre Soleil |
L'éclairage utilise une lumière blanche qui va traverser successivement un premier ensemble optique composé :
- d'un verre légèrement bleuté ;
- du polarisateur (absent) ;
- d'une fine lamelle de cristal de roche taillée en deux.
La lumière polarisée traverse ensuite le tube contenant la solution à examiner :
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Tube polarimétrique L 22,7 (efficace 20) |
Enfin, les rayons lumineux parviennent dans l'oculaire composé d'un certain nombre de pièces :
- une lame de cristal de roche ;
- un assemblage de lames de cristal de roche et de verre (manque), surmonté d'une échelle graduée en ivoire (manque) ; on ne peut voir que le support de cet ensemble, prolongé par la première partie de l'oculaire :
- une lame de quartz ;
- l'analyseur ;
- un cristal de roche reproducteur de la lumière sensible ;
- une lentille ;
On voit, ci-dessous, les composants de cette première partie de l'oculaire. Le rayon lumineux passe successivement en 1, 2 …La bague 5 sert juste à tenir les optiques précédentes.
- le prisme de Nicol (manque) ;
- l'oculaire proprement-dit (manque).
Quant au mode d'emploi, ne pouvant faire l'expérience nous-mêmes, nous conseillons à ceux qui veulent en savoir plus de lire les extraits des "Actualités scientifiques – Saccharimétrie optique, chimique et mélassimétrique par M. L'ABBE MOIGNO".
Nous sommes bien loin des outils de charpentier, de serrurier ou même de bijoutier. Mais ces instruments reflètent tout autant qu'une herminette, une doloire ou même un baille-voie l'ingéniosité de l'homme tant pour suivre l'évolution d'un diabète que pour évaluer des taxes…
Comme pour les microscopes, notre collection de polarimètres est très modeste. Elle a l'avantage de montrer, encore une fois, l'évolution des techniques sur une période très courte et la qualité des instruments d'optique fabriqués par les opticiens français.
FIN
A.R.C.O.M.A. NOS INSTRUMENTS DE MESURE ANCIENS OPTIQUE