PAYS DU GIER
VIE QUOTIDIENNE ou DOMESTIQUE
Dans ce dossier, nous allons évoquer la vie quotidienne ou encore la vie domestique de nos ancêtres, dans le Pays du Gier. Il n'y est pas question d'atelier (encore que …), d'outils. Nous parlerons de l'habitat, du mobilier, des vêtements, de l'alimentation et des instruments nécessaires pour mieux vivre chez soi. Il n'est question que du petit peuple. Nous ne parlerons, donc, pas de la vie seigneuriale et des châteaux qui, d'ailleurs, ont tous disparu depuis 1789.
L'Habitat
Jusqu'à la fin du premier millénaire, on peut penser que nos ancêtres habitent dans des huttes de bois et de branchages, comme partout en ce qui deviendra la France. Elles sont regroupées d'abord en petits hameaux où vivent les paysans cultivateurs, forestiers... L'emplacement de ces hameaux dépend de l'environnement : proximité de points d'eau, ensoleillement, site facile à défendre... La fumée qui se dégage du foyer central est évacuée par un trou percé au centre de la toiture. Le foyer sert à faire cuire la soupe et à se réchauffer. On retrouve cette structure au-delà du Moyen-Âge dans les bois du Mont Pilat où vivent les bûcherons, les sabotiers, quelques journaliers.
A partir du XIe siècle, les guerres, le brigandage vont pousser les habitants à se rapprocher des monastères et des demeures seigneuriales. C'est là l'origine de la plupart de nos villes et de nos villages, et le début d'une vie sociale. De cette stabilité imposée par un environnement dangereux vont naître des maisons en dur : pisé en plaine, pierre en montagne, le gneiss des Monts du Lyonnais, ou le grès houiller et surtout le schiste du Mont Pilat, de couleur gris-foncé, constellée de points blancs de mica (micaschiste) que l'on trouve dans le massif du Pilat. L'origine des habitants influence également l'habitat : depuis toujours, chaque envahisseur garde ses traditions.
Les maisons sont rectangulaires, avec un toit en tuiles, rarement en pierres, en général à deux pentes ; elles sont inspirées de la maison gauloise. Les ouvertures, porte et fenêtres, sont de petite taille : il faut se protéger du froid sur les pentes du Pilat.
Elles sont composées le plus souvent de deux pièces : la pièce commune et la chambre. La première sert d'entrée, de salle à manger, de salle de séjour, de cuisine, de salle de bain. Le foyer central est remplacé progressivement, à la campagne, à partir du XIIe siècle, par une cheminée. La hotte, d'abord de forme conique, est rectangulaire à partir du XIIIe siècle. Elle est souvent de grande taille. Elle est source de chaleur pour les corps et pour la cuisson des aliments. Bien que les forêts soient nombreuses, le charbon trouvé dans le jardin est largement utilisé, avec son cortège de pollutions odorantes et visuelles. C'est ce que l'on perçoit dans cette description de François Paradin, au XVIe siècle : "A Saint-Genis-Terrenoire et à Saint-Chaumond sont des mines de bon charbon de terre ; sy sont aussi à Rive-de-Gier, mais non en telle quantité. Est merveille de voir les habitants de ce pays qui en sont tout noircis et parfumés pour l'usage ordinaire qu'ils en font en leur chauffage, au lieu de bois ; dont il n'y a maison, leur manger, pain ni vin qui n'en soit tout parfumé 10".
La maison d'habitation communique avec l'étable. En hiver, les humains rejoignent les animaux pour profiter de leur chaleur : 2 ou 3 vaches, quelques chèvres ou moutons. Les moins pauvres disposent d'autres bâtiments : un puits dans le pâturage voisin, le four, le fenil, rarement un colombier, toujours un abreuvoir, un clapier, un abri pour la bassecour. Enfin, le suel ou aire à battre va permettre sur plusieurs mois de recueillir les grains de céréales.
Puits dans le pâturage, à L'Horme
A partir du XVIIe siècle, et malgré les impôts écrasants, le laboureur s'enrichit. La demeure s'agrandit et se protège. Habitation et dépendances sont associées en forme de "U" fermé par le portail : c'est la ferme-forte ou maison-forte. Le portail est blasonné, daté, les fenêtres sont à meneaux. Les pièces sont plus nombreuses, sources d'indépendance et d'intimité ; les cheminées sont ornées de cariatides. Dans la cour intérieure, comme sur la place publique, le puits en grès est finement sculpté. A l'abri du toit, un aître, un balcon de bois, permet de suspendre des chazières où sont conservés les fromages frais. On accède à l'étable par un plan incliné. Un hangar permet de stocker le bois et de protéger les outils. Un atelier permet de fabriquer en hiver des clous, des chaises, des brouettes, des paniers, des ustensiles de cuisine en bois ; il accueille le sabotier itinérant qui va chausser toute la famille 4.
Une petite parenthèse sur les puits nous parait intéressante. Ces petites constructions sont source d'eau, mais au XVIIe siècle, elles deviennent, en plus, signes de richesse chez le paysan cossu ou le bourgeois. Elles fleurissent en ce siècle comme l'attestent les dates que l'on peut encore voir sur quelques puits, aux environs de Saint Chamond : 1622, 1632, 1643, 1652, 1660, 1669… Ces dates sont accompagnées d'initiales ou de blasons. Le socle est en général peu travaillé, au contraire de la partie supérieure. Celle-ci est composée d'un demi-cylindre fermé par une porte en bois, prolongé par une coquille ou une demi-coupole qui repose en avant sur deux supports : colonnettes, cariatides… L'avenir de ces puits est malheureusement très compromis. N'étant plus utilisés, ils sont délaissés par leurs propriétaires. Et la nature de la pierre locale, un grès houiller sensible au gel, complique sérieusement leur conservation 13.
Nous vous présentons, ci-dessous, un puits de notre vallée. C'est un puits public situé à Saint-Paul-en-Jarez. Si nous en avons l'autorisation, nous tenterons de réaliser des photographies de puits privés de la même époque pour en montrer la similitude de l'aspect général et la diversité dans le détail.
Puits de Saint-Paul-en-Jarez 1669
Cette parenthèse fermée, nous en ouvrons une autre. A l'entrée de Saint Chamond, en venant de Saint Etienne, existe une très ancienne propriété où l'on trouve quelques éléments du XVIIe siècle : fenêtres à meneaux, plafond à la française, cheminée blasonnée et datée 1611. Dans la cour, un puits orné d'une coquille Saint-Jacques a conservé sa fermeture, un volet en bois de forme demi-cylindrique. Mais la pièce la plus rare se trouve dans le jardin : une glacière, utilisée pour la conservation des aliments. Cette cave souterraine est orientée vers le nord. Un couloir voûté, fermé par une porte flanquée de deux cariatides (malheureusement très endommagées), relie l'extérieur à un couloir perpendiculaire, également voûté. Au bout de celui-ci, une porte permet d'accéder à un petit local où trône un puits d'environ 2,50 m de diamètre et 3,50 m de profondeur. Au-dessus de ce puits, une voûte hémisphérique percée en son centre permet de recueillir en hiver neige et glace. Un "bouchon" en obstrue l'accès. Voûtes et puits sont en brique, parfaitement conservés. Est-ce un cas unique dans notre vallée ? Il y a un hameau nommé "la glacière", près de Saint Chamond. Quelle est l'origine de ce nom ? 14
Revenons à l'habitat, mais en ville.
En ville, il semble que la situation ait été similaire à celle de la campagne. Si la pauvreté, le manque d'hygiène, publique ou privée, sont de mises, la vie reste acceptable. La bourgeoisie s'installe et, avec elle, apparaissent de nombreux petits métiers : repasseuse, femme de chambre, ouvrières dans le textile, porteurs d'eau, artisans du fer, du cuir, du bois, du bâtiment… Il n'y a pas de ségrégation sociale : les hôtels particuliers voisinent les masures des plus pauvres. Pour des raisons professionnelles, des maisons avec atelier sont construites le long des cours d'eau 5. D'autres quartiers regroupent des artisans pratiquant le même métier, comme les bouchers.
A la fin du XVIIIe siècle, à l'arrivée de la Révolution industrielle, les évènements se précipitent pour le plus grand malheur des ouvriers : l'ouverture d'un puits de mine, la création d'une entreprise métallurgique ou textile sont source de nombreux emplois, mais aussi nécessitent la construction trop rapide d'habitations mal conçues, dans la périphérie des villes, près du lieu de travail. Donnons la parole à Pétrus Faure dont la description a été reprise par Bernard Plessy, un enfant de Saint-Paul-en-Jarez :
"Dans les quartiers voisins, la vie était extrêmement dure. Dans des logements mal éclairés, exigus, sans confort, s'entassaient de nombreuses personnes. Des cours étroites, peu ensoleillées, se dégageaient des odeurs nauséabondes. Les eaux de vaisselle non collectées se répandaient le long de la chaussée où s'amusaient les enfants. A chaque coin de rue se trouvait le bistrot où, son travail terminé, l'ouvrier excédé de fatigue oubliait dans l'alcool la misère de sa vie quotidienne. C'est là qu'il laissait une partie de son maigre salaire et finissait d'altérer sa santé.
… Les logements ouvriers étaient extrêmement rudimentaires. L'accès dans les étages se faisait par un sombre escalier de bois ou par une montée extérieure conduisant à un balcon où s'ouvraient des portes. Le logement type était constitué de deux pièces assez spacieuses : une cuisine et une chambre. Le mobilier de la cuisine comprenait une table, des bancs ou chaises, un fourneau, une horloge, un placard. Dans un évier, se trouvaient les ustensiles de cuisine et des seaux nécessaires au transport de l'eau puisée aux puits ou aux bornes-fontaines. Un lit supplémentaire était souvent installé dans la cuisine. Dans la chambre deux ou trois lits en bois, selon l'importance de la famille, un placard ou deux pour retirer les vêtements et le linge, enfin une table et quelques chaises…
Les W.C., initiales anachroniques ! on disait alors les cabinets, les lieux ou les communs, simples fosses recouvertes d'une cabane en bois, étaient installés dans les cours et recevaient également les cendres et les ordures ménagères. Une fois par an, les paysans de la région venaient les curer pour en fertiliser leurs champs.4"
La cheminée a disparu au profit du fourneau qui est alimenté toute la journée en charbon. L'eau chaude est disponible à tout moment dans la bouillotte. En hiver, le poêle, appelé le phare à cause de la lumière qui s'en dégage à travers une fenêtre en mica, apporte un petit supplément de chaleur. Le charbon est stocké à la cave. Tous les jours, il faut en remonter dans un grand seau : c'est la corvée des plus grands enfants.
Sur la table de la "salle à vivre", l'épouse fait le repassage : suivant l'époque, fer à braises, à lingot, plein en fonte, à alcool ou à pétrole.
Il n'en est pas de même pour les familles plus aisées. Les pièces sont désormais séparées, en fonction des activités qui s'y déroulent : cuisine, salle à manger, salon, chambres individuelles pour parents et enfants et, dans les combles, chambres pour le personnel. Par contre, le cabinet de toilette n'est toujours pas une priorité. Parmi les dépendances, une écurie abrite les chevaux devenus nécessaires pour tracter l'équipage 6.
Pour toutes les couches de la société, l'hygiène reste désastreuse. Les fontaines publiques sont rares et mal alimentées. On utilise donc l'eau des puits souvent contaminée par des déjections animales et l'eau des rivières, avant l'ouverture des ateliers de teinturerie, de tannage… L'industrialisation n'arrange rien à ce niveau. L'utilisation du charbon dans toutes les industries métallurgiques en pleine croissance va faire planer sur toute la vallée des poussières qui s'infiltrent jusque dans les maisons.
L'Ameublement
Les meubles sont peu nombreux : une table avec un plateau massif muni d'un tiroir pour ranger le pain du jour, des bancs, des étagères, un coffre où sont gardés les vêtements. Nappes et serviettes sont réservées aux plus riches.
La chambre est la deuxième pièce où se réunit, la nuit, toute la famille. Les lits sont en bois du pays (châtaignier, hêtre, chêne), courts (on dort presqu'assis ; la position horizontale est réservée aux morts), parfois clos et sculpté. Ils sont garnis d'une paillasse, d'un matelas de plumes, de draps en toile de chanvre et de couvertures de laine 3.
Au XVIIIe et surtout au XIXe siècle, une "certaine" augmentation du pouvoir d'achat, l'envie du changement et, surtout, l'utilisation de nouveaux matériaux pour les ustensiles de cuisine va être à l'origine de la création de nouveaux meubles comme le vaisselier ou le buffet en remplacement des simples étagères qui suffisaient à ranger le peu de vaisselle utilisée jusqu'alors.
L'Eclairage
Pour l'éclairage, on profite de la forêt de sapins qui permet de confectionner des torches de résine, les bois-gras : ça éclaire, mais ça fume, aussi. Les chandelles sont à base de suif (encore de la fumée !) ; la cire d'abeille fait souvent partie de l'impôt que le paysan doit payer au seigneur local, laïc ou religieux. Il y a aussi le crachet, un pot rempli de graisse animale d'où émerge une mèche de chanvre. Muni d'un crochet, il est déplacé facilement, jusque dans l'atelier ou la mine 7. Il y a encore des lampes à huile jusqu'à la fin du XIXe siècle, qui seront remplacées par les lampes à pétrole.
Dans un article à venir, nous vous présenterons quelques lampes ou lanternes utilisées dans le cadre de la vie domestique.
L'Alimentation et les ustensiles de cuisine
L'alimentation est constituée par les produits de la terre, de la basse-cour, de la chasse et de la pêche. La soupe contient surtout du chou, des raves, des pois secs, des châtaignes. Le beurre est peu utilisé : il est vendu au marché. Quelques omelettes, le lait, le "serra", fromage à base de lait écrémé sont les sources principales de protéines. Le porc, conservé dans le sel, n'est servi que les jours de fête. Les volailles sont plutôt vendues sur le marché. Le pain est cuit pour 15 jours ou 3 semaines dans le four à pain de la ferme, ou, moyennant finances, dans les fours banaux, propriété du seigneur. La farine de blé est trop chère : on utilise du seigle, de l'avoine ou de l'orge. En période de disette, la farine est réalisée avec des glands ou des racines de fougères. La pâte est pétrie dans un pétrin. Le pain est conservé dans un meuble fermé, le huchier, ou dans un meuble fixé sur le mur en hauteur, à l'abri des souris, la panetière. Une petite parenthèse parait utile dans ce paragraphe pour parler du plat préféré des forgerons de Saint-Martin-la-Plaine, le "saucisson à la mourine". Nous empruntons la recette à Jean Combe : " Pour réussir ce plat si spécifiquement local, il convient de prendre un saucisson de fabrication récente pour qu'il soit tendre et pas trop salé. On habille ensuite soigneusement le saucisson de feuilles de choux et on arrose le tout de ce petit vin de Saint-Martin-la-Plaine qui titre parfois jusqu'à 11 degrés. On enveloppe enfin le tout dans un gros papier de boucherie et on glisse l'emballage et son contenu dans la mourine très chaude (cendre très chaude dans le foyer de la forge). Il faut laisser cuire assez longtemps et surtout prendre la précaution essentielle de ne pas laisser refroidir au moment de servir 9".
Au XIXe siècle, le souci d'économie reste d'actualité. Le porc est devenu la principale source de protéines et de … lipides. Il est accommodé à toutes les sauces : soupe aux choux ou aux poireaux, potée, pâté de tête, grillatons, en salade avec les barabans (pissenlits). Après une réticence de plusieurs décennies, la pomme de terre a, enfin, pris la place qu'elle méritait : quoi de meilleur qu'un bonne râpée, à l'œuf et à la crème, cuite avec de l'huile ou de la graisse ! Le jardin apporte aussi les légumes verts : pois dégrenés (petits pois), carottes (betteraves rouges), racines (carottes), corsenaires (scorsonères), épinards, blettes, oseilles. Le lait a toujours sa place : soupe de lait froid au pain sec en été, et, toute l'année, le fromage : tome ou recuite, sarrasson, rigotte…et autres fromages aux artisons (insectes vivants minuscules). Et si l'homme n'est pas rassasié, un bon matefaim (crêpe épaisse à base de farine de seigle ou de blé noir, délayée dans de l'eau) devrait lui permettre de démarrer rapidement sa sieste, surtout s'il l'avait arrosé avec un petit vin local (ce qui n'était pas rare) 4 !
Les marmites, en terre au temps des romains, sont ensuite, beaucoup plus tard, en cuivre, puis en fonte. Elles sont à fond plat et reposent alors sur un trépied ou sont suspendues à une crémaillère, symbole du foyer, soit directement, soit par l'intermédiaire d'une servante d'âtre. D'autres sont indépendantes, à trépied. Nous verrons que de nombreux autres ustensiles sont nécessaires. Bernard Plessy nous en donne une description savoureuse :
"Attenante à la cuisine, s'ouvre la souillarde où se trouve l'évier ("J'ai une pierre d'évier en fonte" disait une ménagère, sans se douter de la magnifique catachrèse qu'elle proférait), la couêve (le balai) et sur le rayonnage toute la bartassaille : casots (petites casseroles qui vont sur le fourneau), coquelles (marmites en fonte avec ou sans pieds), tupins (marmites et petits pots en terre), tout un jeu de couverts (couvercles), une biche à lait, en fer blanc, le parteret (petite hache à manche court, pour découper la viande), et, par terre, des bertes (jarres en grès ou en terre, largement ouvertes, où l'on conserve la graisse, les œufs, etc.) et des cruches ou des seaux pour le transport de l'eau…4".
Assiettes et couverts sont en bois. La production est locale, au Bessat, dans le Pilat. C'est le gagne-pain de certains paysans, en hiver, quand le travail au champ est impossible, à cause des gelées. On est à plus de 1200 m. d'altitude. Dans la vallée, on trouve quelques forgerons couteliers. Il arrive aussi que les assiettes, immuables, soient creusées dans la table. Le bois comme matière première sera détrôné par l'étain, puis la faïence et la porcelaine, pour certains objets par le fer-blanc. Cela aura pour conséquence, au XVIIIe et surtout au XIXe siècle, la création de nouveaux meubles comme le vaisselier ou le buffet en remplacement des simples étagères qui suffisaient à ranger le peu de vaisselle utilisée. A la Révolution, on trouve également le baril de vinaigre, la salière en bois, les fourchettes et cuillères en fer et en étain 8.
L'Habillement
L'habillement est simple, sans particularité. Les robes des femmes sont en gros drap, de couleur vive. Justin et jupon sont d'une seule pièce ; la jupe est courte, tombant en plis très raides autour d'une taille fort renflée, le justaucorps plus ou moins décolleté, mais toujours serrant beaucoup la poitrine ; tabliers protégeant le corsage et la jupe 2. Un châle sur les épaules tombe en pointe dans le dos et est croisé sur la poitrine : c'est la mode du XVIIIe siècle inspirée par la bergère du petit Trianon, Marie-Antoinette, reine de France. Un bonnet blanc est tuyauté autour du visage avec des attaches sous le menton. Les hommes sont vêtus de pantalons en gros drap vert sombre, bleu ou noir, serré aux genoux avec des boutons, longues guêtres et sabots ferrés. Le visage est rasé. Un chapeau à larges bords protège du froid et du chaud. Pour le dimanche, les plus riches adoptent un costume inspiré de la mode Louis XVI : habit à basques et culotte en droguet, bas de laine avec jarretières rouges, souliers ornés d'une boucle en cuivre2. Contrairement à d'autres régions de France comme la Bretagne, l'Alsace, les habitants du Pays du Gier ne semblent pas avoir fait preuve d'originalité en ce domaine. A noter aussi que les beaux costumes des campagnes sont inspirés par les costumes de la ville et, comme ceux-ci, ils ont évolué avec la mode. D'après Albert Dauzat : "Sous l'Ancien Régime, les paysans avaient des "vêtements de caste plutôt que de région", remarque M. Chassé, les lois leur interdisant le luxe ; ils ont célébré leur émancipation, après la Révolution, en imitant la tenue de leurs anciens maîtres 2".
Ces vêtements sont rangés dans des coffres, puis dans des placards créés dans l'épaisseur du mur. L'armoire indépendante arrive au XVe siècle.
Robert Lacombe, dans ses Recherches Historiques sur la ville de Rive-de-Gier reprend une description du curé Chavannes, de Trèves, sur le Gier, décrivant les habits vers 1830 : "On les [les hommes] voit coiffés d'un bonnet ou d'un large feutre, habillés d'un gros drap tiré de la laine de leur troupeaux, filée par les femmes, tissés par le tisserand du village ; le drap était blanc, quelques fois teint en rouge ou bleu ; la culotte courte était fixée au genou par des boucles d'aciers ou d'argent. Ces derniers ornements figuraient aussi sur leurs chaussures ; la basane ou tablier de peau, jaune la semaine et blanche le dimanche, était un de leurs ornements ; ces vêtements deviennent plus fins et plus élégants à mesure qu'on avance vers notre âge."
"Les femmes portaient chignon, la coiffe montée à la large barbe, ou volants garnis de dentelles descendants vers les oreilles ; la robe de laine blanche et rouge à courtes manches ornées de bracelets d'argent. L'habit des noces servait la vie entière et n'apparaissait qu'aux grandes solennités 11".
Dans ce même ouvrage, l'auteur évoque un curieux anneau auriculaire : "Beaucoup de paysans portaient jadis un anneau d'or aux oreilles ; sur l'origine, plusieurs avis se contredisent : une habitude récente venant du compagnonnage, ou des guerres de l'empire ; les grognards auraient porté de tels anneaux, ainsi que les Cent-Gardes de Napoléon III ; ou, en relation avec la médecine magique, il seraient garants d'une bonne vue : il arrivait qu'un vieillard ne voyant plus bien d'un œil se mette à porter un anneau de ce côté."
Pour terminer, nous reprenons un texte assez proche, de J.B. Chambeyron dans ses Recherches Historique sur la Rive-de-Gier, de 1844. A quelques précisions près, la similitude est assez étonnante. Les deux descriptions se confortent l'une l'autre : "Au commencement du règne de Louis XVIII, on ne portait à Rive-de-Gier que des costumes de forme arriérée. Les hommes se paraient avec une carmagnole très ample. Ceux d'un âge mur exhibaient aux grandes fêtes de l'Eglise leur habit de noce rappelant ce que portait la petite bourgeoisie sous Louis XIV. Ce vêtement durait toute une vie, et même davantage, avec quelques utiles amendements. Les cheveux étaient longs, parfois attachés en forme de queue pour les élégants ou nattés en tresses relevées sur le derrière de la tresse.
Les femmes portaient des robes à manches courtes, laissant tout l'avant-bras découvert ; des corsets et jupes de couleurs souvent différentes, une coiffe montée avec des volants sur les oreilles, rappelant le pyramidal chaperon des cauchoises. Un énorme chignon de cheveux, souvent étranger à la tête qui s'en paraît, s'arrondissait sur la nuque de nos mères ; aucune frisure n'ornait leur front ; leurs cheveux coupés carrément sur les tempes, à la manière dite jacobine, étaient soigneusement poudrées le dimanche ; les femmes de dernière condition paraissaient seules en public, coiffées sans chignon et sans poudre. Toutes se fixaient des bourrelets sur les hanches pour arrondir leur taille qui naturellement pouvait se passer des ressources de l'art, bien mieux que celles de nos modernes beautés. Leurs épaules et leurs seins étaient couverts par un fichu très ample et très hermétiquement clos. Ses coins flottaient sur le tablier les jours de fête et disparaissaient dessous pendant les jours de travail, car dans ce temps-là tout le beau sexe travaillait 12".
Pour terminer, voici un document "émouvant". Il a été rédigé dans la première moitié du XIXe siècle par un laboureur de Doizieux, né en 1789. Il énumère tout ce qu'il possède dans sa ferme dont il est propriétaire. Il réalise cet inventaire avant de vendre à l'un de ses enfants tout ce qu'il possède pour payer ses dettes. Il continuera, tout de même, à vivre dans sa maison et à profiter de ses anciens biens jusqu'à sa mort. L'orthographe n'est pas toujours respectée ; quelques appellations font partie du patois local.
Ce sujet mériterait un développement beaucoup plus important. Nous utilisons essentiellement les documents que nous possédons, sans courir les bibliothèques municipales ou les archives départementales. Nous ne sommes pas des historiens, mais cela pourra, peut-être, donner des idées à des habitants du Pays du Gier. Sans doute, avons-nous tort. C'est juste une question de temps. Alors, comme nous l'avons dit à plusieurs reprises, nous reviendrons peut-être un jour sur ce document… Et si vous avez des précisions à ajouter, n'hésitez pas à nous les transmettre.
Bibliographie
- Lapourré, Histoire de la ville d'Izieux, Imp. De la Loire Républicaine 1921, Réédition 1990 par les Amis du Vieux Saint Chamond Reboul Imprimerie St Etienne
- Albert Dauzat, Le village et le Paysan de France, nrf, Gallimard, 1941
- Gérard Chaperon, Cellieu, Actes graphiques, Saint Etienne, 1999
- Bernard Plessy, La vie quotidienne en Forez avant 1914, Ed. Hachette 1981
- Lucien Parizot, La Révolution à l'œil nu, Val Jaris, 1987
- Gérard Chaperon, Saint Chamond Au fil du temps, Actes graphiques, Saint Etienne, 2010
- Gérard Chaperon, Le bassin minier de la vallée du Gier, Ed. ArtsGraphiques 2004
- Combe, Le Bessat, Editions Dumas, St Etienne, 1969
- Combe, Saint Martin la Plaine, Editions Dumas, St Etienne, 1960
- Gardes, Grande Encyclopédie du Forez et des Communes de la Loire, Editions Horvath, 1986
- Lacombe, Recherches historiques II sur la Ville de Rive-de-Gier, F. Paillart Editeur-imprimeur à Abbeville, 1985
- J-B Chambeyron, Recherches historiques sur la VILLE de RIVE-de-GIER, 1844, Impression offset Imprimerie A Bontemps Limoges réédition 1980
- Gerval n°24, Louis Bernard, Les beaux puits du Jarez, Les Amis du Vieux saint-Chamond, Imp. G. Reynaud 1981
- Gerval n°20, Maurice Champavère, La "glacière" de l'Ollagnière, Les Amis du Vieux Saint Chamond, Imp. G. Reynaud 1980