À LA SALLE À MANGER
LES ARTS DE LA TABLE
Dans cet article, nous allons évoquer tout ce qui est nécessaire pour s'alimenter en famille ou dans la société : pièce utilisée dans la demeure, linges de table, vaisselle, service... En regard de ce que l'homme a pu inventer, parfois à la demande de la maîtresse de maison ou du chef-cuisinier, il faut avouer que nous ne disposons que de très peu d'objets en ce domaine.
Comme à l'habitude, nous allons tenter d'étoffer cet article avec l'évolution de ces "arts de la table". Encore faudra-t-il distinguer l'origine sociale de nos convives : paysans, ouvriers, bourgeois, aristocrates, ecclésiastiques et ce, au fil des siècles. Il va de soi que le sujet est immense et que nous ne pourrons en donner qu'une petite idée, très incomplète, par manque de documentation… et de temps.
Depuis l'Antiquité, le temps consacré à la nourriture est une activité sociale ou familiale. C'est à ce moment que se prennent des décisions politiques, que s'échangent des idées philosophiques, économiques... pour la première, que se décident des alliances, des avenirs professionnels, que s'établissent des relations intergénérationnelles pour la seconde. De l'enfance à la mort, ce temps privilégié règle la vie du monde.
Ce document devrait comporter 7 chapitres dont la rédaction va s'étaler sur plusieurs semaines.
Chapitre I : La salle à manger
Pour le petit peuple qui ne dispose que de deux ou trois pièces, le repas est pris dans la pièce commune où l'on trouve également la cuisine, la cheminée, des meubles très simples de rangement, parfois même un lit : cette situation va durer jusqu'au XIXe siècle.
Pour les plus riches :
- A l'époque grecque, le repas est pris dans une pièce dédiée. C'est un moment d'échange de pensées, de réflexions auquel seuls les hommes sont conviés. Il se passe en deux temps : d'abord l'absorption d'aliments pour se nourrir ; vient ensuite la consommation de vin coupé d'eau facilitant les débats (sympósium) et évitant l'ivresse.
- Au temps de la domination romaine, le "triclinium" accueille les convives, femmes et hommes. Aliments et boissons sont pris en même temps, souvent sans réserves.
![]() |
D'après le dictionnaire abrégé latin – français F. Gaffiot Ed. Hachette 1936 |
- Avec la chute de l'empire romain, cette pièce spécialisée disparaît. Durant le haut Moyen-Âge (de 500 à 1000), le repas est pris dans une pièce présentant le meilleur confort pour chaque saison. Il en va de même dans le bas Moyen-Âge (1000 – 1500) durant lequel un certain protocole va être instauré. Les repas sont alors servis dans des pièces de réception, voire dans une chambre, une antichambre seigneuriale (pièce qui précède une salle de réception, un bureau…), un cabinet (pièce réservée au travail intellectuel ou dépendant d'une autre). Il faut attendre le XVIIIe siècle pour que la salle à manger devienne une pièce dédiée aux repas, à l'initiative de la bourgeoisie montante. A partir du XIXe siècle, on la retrouve dans toutes les couches de la société. Si les plus aisés la désertent après le repas pour se diriger vers le salon ou le fumoir, les plus modestes l'utilisent comme pièce commune où chacun peut vaquer à ses occupations préférées : lecture, jeux de société, couture, tricot...
Chapitre II : Les meubles
Les meubles présents dans la "pièce où l'on mange" vont évoluer parallèlement. Grecs et romains s'installent autour d'une table ronde ou carrée, couchés sur des divans, position sensée faciliter la digestion et rappelant celle des rois d'Orient. Cette table centrale - parfois remplacée par des guéridons individuels - éventuellement fixe en maçonnerie, disparaît en même temps que la pièce elle-même.
Paysans et artisans disposent d'une table permettant la consommation, mais aussi la conservation des aliments, en particulier le pain. Assiettes, gobelets, pots divers sont placés sur des étagères. Cuisine et salle à manger ne font qu'un. A partir du XVIIe siècle, d'autres meubles vont occuper la pièce, avec souvent plusieurs fonctions. La liste en est très longue. On peut évoquer : les sièges à coffre – tabouret, chaise, fauteuil, banc - pour le sel, la farine, le bois, divers aliments ; les tables-coffres-garde-manger, les tables à fromage ; les coffres à grain – buffet ou vaisselier ; les buffets dressoirs, les buffets-pétrins ; les porte-seaux ; les égouttoirs-buffets, les égouttoirs-armoires à fromage ; les saloirs à saler ; les buffets bas à confiture ; les armoires à pain, les panetières ; les porte-couverts… Tous ces meubles ont été créés progressivement, pour certains dès le haut Moyen-Âge, suivant les nécessités et suivant les régions.
Il n'en va pas de même pour les plus riches : marchands, grands seigneurs, famille royale, ecclésiastiques… A partir du VIIe siècle, la table à manger est ronde, signe d'égalité entre les convives. Elle va évoluer, en même temps que la société, pour mettre en évidence la hiérarchie sociale. Elle est alors constituée d'un plateau rectangulaire sur tréteaux, facile à enlever une fois le repas terminé pour rendre à la pièce utilisée ses fonctions premières. Suivant le nombre de convives, elle peut être en L inversé ( Ί ) ou en U inversé (∩), les places d'honneur au centre et surélevées, dominant l'assemblée. La mise en place de cette table provisoire est à l'origine des expressions "dresser la table" ou "mettre la table" : elle va perdurer jusqu'à la fin du XVIIIe siècle, même si, dès le bas Moyen-Âge, on rencontre des tables fixes – les premières, simples et étroites, dans les monastères - à plateau et pieds sculptés, transportables ou non. Les chaises – parfois surmontées d'un dais, au bas Moyen-Âge -, jusque-là réservées au maître de maison et aux invités de marque – dans ce cas, avec dossier et accoudoirs -, remplacent les bancs et tabourets destinés aux officiers ou aux notables de second rang. Apparaissent des meubles permettant d'exposer l'argenterie, la verrerie, les porcelaines pendant le banquet : dressoir, buffet à gradins, armoire-dressoir, armoire haute, armoire à 2 ou 3 corps, homme-debout, vaisselier, vitrine. Lorsque les convives sont partis, les pièces les plus riches sont entreposées dans un cabinet. Le plus souvent, ces meubles ont pour fonction de montrer la richesse des hôtes. Ils sont richement sculptés. Au XIIIe siècle, les huchiers sont les "faiseurs de meubles". Ils appartiennent à la corporation des charpentiers de la petite cognée qui se consacrent à la fabrication d'ouvrages "menus" [par opposition à la charpente], d'où leur nom de menuisiers. Au XVIIe siècle, ils sont nommés parfois "sçavants menuisiers". Bien que l'ébène soit travaillée dès le XIIIe siècle par le tabletier ou le coutelier, le terme d'ébéniste pour la fabrication des meubles n'apparaît qu'en 1743 dans les nouveaux statuts des maîtres-menuisiers. Les autres meubles servant de garde-manger, plus généralement à conserver les aliments, restent à la cuisine ; en général sans sculpture – il y a des exceptions - ils sont réalisés par des menuisiers, artisans locaux.
A partir de la deuxième moitié du XIXe siècle, sous l'influence d'écrivains comme V. Hugo ou A. Dumas, le style de la seconde Renaissance française, assimilable au règne du roi Henri II, va renaître sous le nom de style néo-Renaissance. Les meubles réalisés par des ébénistes de renom se retrouvent dans les châteaux. L'industrialisation de la fabrication provoque une diminution des coûts permettant à la bourgeoisie naissante de disposer de meubles de style à prix modéré. Les meubles sont lourds, en chêne ou en noyer, souvent de couleur assez foncé et de taille imposante. Quant au style lui-même, il résulte souvent d'un mélange : Renaissance, Louis XIII, Louis XIV, Louis-Philippe, mélange qui aboutit au "style Napoléon III". Débutée vers 1840, cette mode s'éteint progressivement vers 1914. Grâce au mécénat, nous avons pu récupérer quelques éléments de salle à manger.
Buffets à deux corps, de style Henri II ou néo-Renaissance |
Ces deux buffets de style Henri II témoignent des différences que l'on peut rencontrer dans la décoration des meubles. Celui de gauche est simple, sans décor particulier, en dehors des tiroirs et du chapiteau. Il mesure 2,20 m de hauteur. On le trouvait dans la petite bourgeoisie de la fin du XIXe siècle.
A droite, le meuble est beaucoup plus travaillé, avec les sculptures à fort relief sur trois portes, les verres biseautés sur les deux portes latérales supérieures. Il mesure 2,80 m de hauteur. La galerie permet d'exposer des assiettes de "valeur".
Buffet dressoir à tablette |
On retrouve dans ce meuble les éléments de la Renaissance avec ces deux têtes très représentatives de cette époque, une galerie servant à exposer porcelaines ou argenterie, témoins de la richesse du propriétaire et ce plateau de marbre rouge (du Languedoc ?) qui sert à découper le pain ou la viande. Moins imposant que les deux buffets, il ne mesure que 1,80m.
Table de style Henri II |
Le piètement prend la forme de balustres tournées ou de colonnes annelées. Le plateau est en deux parties qui se séparent pour laisser la place à 2 ou 3 rallonges. Certains modèles comportent 8 ou 10 pieds qui se déplient permettant de mettre jusqu'à 8 rallonges. A noter que les chaises sont habituellement recouvertes d'un cuir repoussé ou d'un cannage : celles que nous vous présentons sont plus récentes et n'ont rien à voir avec la table. Nous n'en avons pas d'autres pour l'instant !
Guéridon à pied central, époque Louis-Philippe |
Le guéridon est utilisé pour disposer des plats conservés au chaud en attente d'être déposés sur la table où sont les convives.
Chapitre III : Les linges de table
Nappe et serviettes de table semblent avoir existé dès l'Antiquité : leur utilisation varie d'une culture à l'autre (orientale, grecque, romaine…). Il ne semble pas possible d'en donner une fonction unique comparable à celle que nous connaissons aujourd'hui. Au Bas Moyen-Âge, formée d'une longue pièce de tissu pliée en deux, le "doublier", la nappe est tendue sur la table. Elle a un rôle décoratif pour cacher plateau et tréteaux ; elle est généralement blanche – au début du repas -, en lin, décorée notamment d'armoiries ou de broderies évoquant les mets, la nature. Elle tient lieu également de serviette pour s'essuyer la bouche et les doigts qui font office de fourchette. Sur le bord, côté convive, peut être tendue une autre pièce de tissu, la "longère", qui est utilisée comme serviette. La toaille ou touaille, une bande de tissu tournant en continu sur un bois fixé dans le mur est utilisée par l'ensemble des convives : on la trouve notamment dans les réfectoires des couvents. La serviette individuelle apparaît au XVe siècle. Parfumée à la Renaissance dans les milieux les plus aisés, elle est nouée autour du cou. Les collerettes et les fraises imposantes nécessitent l'aide d'une tierce personne pour en faire le tour, d'où l'expression "avoir du mal à joindre les deux bouts". Au XVIIIe siècle, par son luxe de couleurs, de broderies, elle reflète le statut social donnant naissance à l'expression "on ne mélange pas les torchons et les serviettes". Il faut attendre, encore une fois, le XIXe siècle pour les retrouver dans toutes les couches sociales. Elle fait l'objet de pliages savants, notamment en forme de cygne, d'éventail… A cette époque apparaît le complément indissociable, le rond de serviette, qui permet le rangement et l'identification de l'utilisateur. Il est en argent, en corne, ou simplement en bois. Les plus précieux portent des initiales, des gravures…
Ronds de serviette en argent Mavelot J B S (?) |
Chapitre IV : La vaisselle
Encore une fois, la vaisselle distingue le statut social et la richesse. Grecs et romains utilisent la céramique, le cuivre, le bronze, le laiton, le fer et le bois, , mais aussi l'étain et, plus rarement, l'or et l'argent. "C'est suivant ses moyens".
Les grecs ne disposent pas de verre, de couteau ou de cuiller individuels : tout est partagé.
Il semble que, dès le IVe siècle avant J.-C., on trouve en Gaule des pièces d'orfèvrerie de style grec.
Dès le 1er siècle avant le début de notre ère, l'argenterie prend une place très importante chez les romains les plus riches : un moyen d'émerveiller les invités. L'orfèvrerie atteint déjà une qualité remarquable. Comme les légions romaines, elle va envahir tous les pays conquis, et au-delà, elle est partie intégrante des dons diplomatiques pour les princes barbares. La Gaule ne fait pas exception à cette romanisation soit par l'importation, soit par la fabrication locale dans des ateliers gallo-romains, comme le prouvent les recherches archéologiques (Autun, Alésia, Vienne, Réthel, Graincourt-lès-Havrincourt, Chaourse, Lyon, Thil, Bondonneau…) Les découvertes les plus importantes concernent le IIIe siècle, époque du début des invasions germaniques : les propriétaires cachent leur trésor avant l'arrivée des envahisseurs. Pour les périodes antérieures ou postérieures, quelques pièces – provenant parfois de tombes - nous sont parvenues : sans doute ont-elles fait, pour la plupart, l'objet de fonte en fonction de la mode. Vase à boire (canthare), gobelet sont décorés de frises réunissant divinités et nature. Les plats comportent des évocations de la chasse, de scènes pastorales ou encore des personnages bachiques… La fabrication au "repoussé" va faire appel progressivement à d'autres techniques, le nielle (incrustation décorative d'émail noir), la dorure, la ciselure. Les objets réalisés concernent les boissons (le vin ou la bière), le transport des mets, parfois des offrandes aux dieux. Il n'est pas encore question des couverts, cuiller et fourchette.
Couverts et couteaux
La première cuiller remonte à la préhistoire : c'est le creux de la main qui est très vite remplacé par une cuiller en bois monoxyle, puis, suivant la richesse, en or, en argent, en étain ou en fer. Au Moyen-Âge, le cuilleron ovale s'arrondit, le manche est aussi large que la paume de la main. La mode vestimentaire de la 2ème moitié du XVIe siècle nécessite l'aplatissement et l'allongement du manche. Une même cuiller est utilisée par plusieurs convives. Elle est parfois individuelle à partir de la Renaissance. Ce n'est qu'à partir du XVIIe siècle que chaque convive a sa propre cuiller. A partir du début du XVIIIe et surtout du XIXe siècle, de nouveaux modèles apparaissent, de taille - en général, plus courtes -, parfois de forme (cuilleron plus ou moins pointu) et de fonction différentes : à potage, à bouillie, à ragoût, à œuf, à sauce - gras/maigre -, à dessert, à café, à moka - très petites -, à thé, à médicament…
![]() |
![]() |
XVIIe Cuilleron arrondi XIXe Cuilleron plus pointu bouton en queue de rat bouton arrondi, plus ou moins allongé |
La fourchette est utilisée dès l'Antiquité, mais seulement à la cuisine pour prélever les aliments dans les chaudrons. Elle est en fer ou en bronze. La fourchette de table arrive du Moyen-Orient au XIIIe siècle, à Venise, à l'occasion du mariage de la princesse byzantine Théodora Doukas avec le doge de Venise, Domenico Selvo. Elle traverse les Alpes au XVIe siècle grâce à Catherine de Médicis. Cette "importation" - la plus fréquemment admise - est remise en cause par A. Rowley qui attribue aux catalans l'utilisation, puis la diffusion d'une broche à 2 dents qui permet de placer les viandes sur le tranchoir, et ce, dès le XVe siècle. Commune à plusieurs convives, elle est considérée comme peu hygiénique et instrument du diable car elle pousse à la consommation. Henri III, de retour de Pologne, la découvre à Venise et la rapporte dans ses bagages (!?), sans grand succès auprès de l'aristocratie. Elle obtient son 3ème fourchon en 1640 et son 4ème à la fin du XVIIe siècle. Si Louis XIV met à la disposition de ses invités ce nouvel ustensile, il ne s'en sert pas lui-même, préférant utiliser ses doigts. Ses deux successeurs font de même. Il faut attendre la fin du XVIIIe siècle pour que l'usage se généralise. Comme pour les cuillers, de nouveaux modèles sont créés pour la consommation d'aliments particuliers, à 2, 3 ou 4 fourchons : fourchettes à poissons, à huitres, à crustacés, à escargots, à melons - fourchon coupant -, à desserts, à fruits… Elles peuvent être remplacées ou accompagnées par des pinces : à asperges, à escargots, à côtelettes…
Le couteau est, avec la cuiller, la pièce la plus ancienne utilisée pour porter les aliments à la bouche. Suivant l'époque, la culture, le matériau (pierre, fer, bronze…), il sert à couper, à décortiquer, à piquer, à prélever… Au Moyen-Âge, on le trouve dans tous les foyers, pauvres ou riches. Chez les premiers, il est en fer et propriété du maître de maison : la viande est rare, donc le couteau peu utile pour toute la maisonnée, si ce n'est pour couper le pain : les formes sont variables d'une région à l'autre. Les riches possèdent leur propre couteau, souvent pliant, qu'ils transportent, d'un festin à l'autre, dans un étui fixé à la ceinture. A la Renaissance, il devient objet de prestige : la lame est en or, en argent, en fer, toujours finement ciselé ; le manche est en ivoire, en corne, en os, en faïence, support de décorations évoquant la mythologie, la chasse ou la nature. La lame est pointue, parfois fourchue, et sert à porter l'aliment à la bouche. Ce n'est qu'à partir du XVIIe siècle qu'elle devient vraiment tranchante, permettant de couper la viande : la fourchette sert alors à maintenir le mets en place. La pointe est utilisée comme cure-dent : afin d'empêcher cette pratique, et par édit royal, la pointe du couteau doit être obligatoirement ronde !
A la même époque, les manches sont en argent, massif ou fourré, facile à sculpter, à souder. Pour peu de temps, du moins : les guerres coutent cher et l'aristocratie est obligée, par ordonnances royales - en 1689 et 1709 - de faire fondre 25 tonnes d'argent pour soutenir le royaume. Cela explique que les pièces de cette époque sont rares. Les manches sont alors en porcelaine, en cristal de roche. L'argent revient sous la Régence, moins guerrière, mais disparait à nouveau sous Louis XV, pour les mêmes raisons (guerre de 7 ans). Au XIXe siècle, les manches sont en ivoire, en corne, en nacre (pour les couteaux à dessert), en ébène, en pierre dure, en argent fourré ou bourré, ce dernier utilisé pour les manches volumineux, constitué de résine ou de cire recouverte d'une épaisse couche d'argent.
A partir du XIXe siècle, le couteau rejoint fourchette et cuiller pour former ce que l'on désigne improprement "couvert" - en réalité, ce terme correspond à l'ensemble fourchette/cuiller - d'après une pratique née au Moyen-Âge et qui perdurera jusqu'à la fin du XVIIe siècle, qui voulait que l'on couvre, avant le repas, cuiller, fourchette, couteau - suivant l'époque - pour éviter tout empoisonnement ou, plus prosaïquement, pour une présentation plus luxueuse… Ce couvert est fabriqué en petites séries dès la fin du XVIIIe siècle, et prend son essor au XIXe, à partir du règne de Louis-Philippe, dans des ménagères allant jusqu'à 100 pièces et plus, symboles de la bourgeoisie qui s'enrichit grâce à la Révolution industrielle. Elles sont présentées dans des écrins garnis de velours avec logement pour chaque ustensile.
Si l'argent massif - qui contient, en réalité, du cuivre suivant des titres réglementés : 95,833 % à Paris jusqu'en 1797, 79,1 – 77,1% dans certaines villes de l'est ; aujourd'hui, 92,5 à 95 % d'argent ou 80 % - reste de mise dans les foyers les plus riches, le concept de "couvert" se retrouve chez les moins favorisés, avec des ustensiles en fer, en acier ou en étain.
L'argent peut être recouvert d'or pour donner le vermeil. Pour cela, on utilise une poudre d'un amalgame 2/3 de mercure – 1/3 d'or. Sous l'effet de la chaleur, le mercure s'évapore ; l'or est ensuite poli avec un brunissoir (voir l'article sur le ciseleur, dans les métiers d'art).
Jusqu'au milieu du XVIIIe siècle, fourchette et cuiller en argent sont fabriqués par martelage du lingot qui donne un "flan". A partir de cette plaque d'argent, l'orfèvre va créer, à l'aide d'un marteau, le fourchon qui sera découpé, ou le cuilleron creusé à l'aide d'une bouterolle, puis la tige, éventuellement à agrafe dans sa partie supérieure, et enfin la spatule qui pourra prendre la forme "violon", avec ou sans épaulement. Le bouton évolue également, de la forme queue de rat, puis arrondie et arrondie-allongée. Le décor est réalisé en creux à l'aide d'échoppes et en relief avec des matrices qui dessinent perles, rinceaux, coquilles… A partir du milieu du siècle, les pièces sont fabriquées à l'aide de moules en acier martelés pour en reproduire les sculptures. Les finitions se font à l'échoppe. Pour réaliser les cuillers à sucre, les orfèvres utilisent la technique du "repercé", nécessitant burins, poinçons et… une grande adresse. Les décorations sont très variables suivant l'époque, les modes, les goûts. La plus sobre est dite uni-plat : aucune décoration ! Viennent ensuite filet (à partir de 1720, du bouton à la pointe), coquille (à partir du début du XVIIIe siècle, au niveau du bouton ou de la pointe), rocaille (entre 1730 et 1750)… isolés ou réunis. Elles correspondent aux styles Louis XV, Louis XVI, Empire, Restauration, Art nouveau, Art déco…
L'argent peut être recouvert d'or pour donner le vermeil. Pour cela, on utilise une poudre d'un amalgame 2/3 de mercure – 1/3 d'or. Sous l'effet de la chaleur, le mercure s'évapore ; l'or est ensuite poli avec un brunissoir (voir l'article sur le ciseleur, dans les métiers d'art).
Vient, enfin, la marque d'identité du propriétaire : l'armoirie familiale ou le monogramme (initiales) ou encore le mavelot (monogramme entrelacé imitant une armoirie ; de Charles Mavelot, écrivain et graveur du XVIIe siècle). C'est le travail du graveur-ciseleur. Si l'emplacement est toujours sur la spatule, le sens de lecture des armoiries peut varier. Sous l'Ancien Régime, la spatule est tournée vers l'intérieur de la table : la position (haut/bas) des couverts est inversée par rapport à celle que nous connaissons aujourd'hui. Cela pourrait s'expliquer par la prise en main à partir du haut de l'assiette ou encore de l'intérieur de la table vers l'extérieur contrairement à ce que nous pratiquons à notre époque, de l'extérieur de la table vers l'intérieur. Autre hypothèse liée à la forme de l'écusson, plus large en haut qu'en bas (couronne, par exemple), qui s'intégrerait mieux dans la base de la spatule, plus large. Quant au mavelot, il n'est pas toujours simple de le lire, lorsque les deux lettres sont tourmentées et entremêlées. Dernière remarque : en France, ces marques sont gravées sur le côté extérieur de la spatule, les fourchons reposant sur la nappe. En Angleterre, elles se trouvent sur le côté intérieur, les fourchons étant tournés vers le haut.
L'évolution des connaissances en chimie permet ensuite de créer des matériaux intermédiaires, moins couteux que l'argent, mais plus résistants. C'est le cas du métal argenté où, comme son nom l'indique, une couche d'argent est déposée sur un métal. Des alliages naissent dès le XIXe siècle imitant l'argent. C'est le cas du métal blanc, ou alfénide, alliage de cuivre, de zinc, de nickel, ou encore du maillechort qui contient, en plus, de l'étain. A noter que la composition de "l'alliage métal blanc" est très variable suivant l'auteur : on peut ajouter du plomb ou du fer. Ces deux alliages sont utilisés comme base du métal argenté, en remplacement du bronze.
Comme nous le décrivons dans l'article sur les mesures de volume en étain, ces pièces d'orfèvrerie reçoivent des poinçons qui ont évolué suivant la date de la création.
Pour les plus anciens - avant 1750, très rares, et entre 1750 et 1789 -, ils indiquent l'époque, la région de prise en charge par le fermier général (A couronné pour Paris, modifié à chaque changement de fermier général), le poinçon de jurande (confirme le titre du métal ; lettre de l'alphabet ; changé tous les ans), celle de la pièce finie (poinçon de décharge : couronne, trèfle, soleil, tête d'oiseau, caducée…, au total 19 entre 1703 et 1789) et la marque du maître-orfèvre (initiales et emblème appelé "différent"). Ils sont placés bien en évidence au revers et sur le haut de la tige. En général, ils sont au nombre de 4 pour Paris, de 3 pour la province
Pour les pièces créées entre 1798 et 1838, trois poinçons subsistent : celui de garantie dit au coq ou Michel-Ange, celui de recense et celui du maître-orfèvre.
A partir de 1838 (les pièces sont alors dites "modernes"), pour le vermeil, l'argent massif, l'argent fourré, il s'agit d'une tête de Minerve dans un poinçon octogonal, (1er titre ou 2ème titre ; associée depuis les années 1980 à une lettre de l'alphabet : A, B, C…), à côté d'un poinçon d'orfèvre losangique. Pour le métal argenté, on ne dispose que d'un chiffre chiffre - 84, 60, 18 : voir la légende des photographies ci-dessous - représentant le poids d'argent pour faire un objet ou une série de 12 pièces identiques - 12 fourchettes ou douze cuillers… -, le tout accompagné d'un poinçon d'orfèvre carré.
La lecture d'ouvrages spécialisés sur les étains nous a permis de découvrir l'importance de ce métal depuis des temps très anciens. Il nous paraît intéressant de rajouter une parenthèse sur ce matériau qui était encore utilisé au XIXe siècle.
Le minerai d'étain se trouve à faible profondeur. La température de fusion basse du métal permet de l'extraire avec un seul feu de bois. Sans doute fut-il utilisé à la fin de l'Âge de la pierre pour réaliser des bijoux ou des récipients n'allant pas sur le feu ! Pour la vaisselle, l'étain a l'avantage de ne pas s'oxyder et donc de ne pas donner des dérivés toxiques. Dès les premiers siècles de notre ère, il rentre dans la fabrication des miroirs. Son seul défaut est de ne pas supporter le froid ou, plus exactement, une température inférieure à 13,2°C : de blanc, il devient gris et pulvérulent. Suivant l'auteur, on est en présence de la "peste" ou de la "lèpre" de ce métal. L'étain est le plus souvent allié à du plomb dans des proportions définies dès le Moyen-Âge du fait de la toxicité du plomb. Suivant les proportions, on distingue ainsi l'étain fin (moins de 5% de plomb), l'étain commun (moins de 10 %) et la claire-étoffe (jusqu'à 50 %) interdite pour l'alimentation.
Au début du I millénaire av. J. – C., l'étain fait l'objet d'un commerce important qui va enrichir Chaldéens et Phéniciens. Ces derniers n'hésitent pas à aller le chercher en Inde, puis, après la découverte de mines importantes dans les îles Cassitérides (de cassiteros en grec : étain), plus connues aujourd'hui sous le nom de Grande-Bretagne ! Les Grecs s'en servent pour décorer leurs boucliers à cause de sa brillance. Les Romains développent ce commerce à travers la Gaule et ce qui deviendra l'Italie. Ce métal est travaillé par les orfèvres tout comme l'or et l'argent : on le retrouve dès cette époque dans les arts de la table, notamment pour la conservation des vins et des confitures. Médecins et apothicaires en font un grand usage pour la conservation des médicaments, mais aussi, plus tard, pour la fabrication des clystères, des seringues (voir nos articles sur les métiers de la santé et de l'hygiène). Du IVe au VIIIe siècle, les historiens n'évoquent guère ce métal. Il faut attendre le IXe pour le voir réapparaître dans les … monastères : seuls les moines ont conservé le savoir des anciens ; les objets touchant au sacré doivent être en or, en argent ou en étain. Avec l'enrichissement des monastères, on passe progressivement de l'étain, à l'argent et à l'or. Mais dans la plupart des églises campagnardes, l'étain est le métal de choix pour réaliser ciboires, calices, boîtes à saintes huiles. Il trouve également sa place dans des ustensiles domestiques : écuelles, cuillers, pichets, gobelets, salières qui sont adoptés progressivement par la bourgeoisie naissante, voire même l'aristocratie, hors les princes, et les ecclésiastiques. A partir du XIIIe siècle, la corporation des potiers d'étain a ses propres statuts à Paris ; ceux de la province sont peu différents. Ils sont autorisés à produire la vaisselle (assiettes, plats divers), mais aussi bassins, flacons, aiguières, calices, gobelets, cuillères, salières, pots à eau auxquels viendront s'ajouter progressivement, dans d'autres domaines, seringues, lampes, boutons, jouets…
La façon de travailler l'étain varie : à Paris, jusqu'au début du XVIe siècle, il est martelé, forgé d'une seule pièce, ce qui interdit le travail de nuit (!) ; en province il est fondu et coulé dans des moules en pierre, en fonte de fer ou en bronze. Contrairement à une assiette, un pichet nécessite un moule pour chacune des pièces qui le compose et qui sont soudées à la main. Ces moules, très chers, font partie du patrimoine de la famille et sont à l'origine de véritables dynasties de potiers.
Au XVIe siècle, par un enrichissement souvent lié au commerce, les acheteurs deviennent plus exigeants. Graveurs, ciseleurs parviennent à embellir aiguières, bassins, cimarres… comme le font les orfèvres avec l'argent. Ces artisans ne sont pas eux-mêmes des potiers d'étain : ils travaillent à la demande. Le plus célèbre d'entre eux est François Briot dont la renommée dépasse nos frontières. Au XVIIe siècle, l'aristocratie elle-même se tourne vers l'étain : l'histoire nous dit que Henri de la Tour d'Auvergne, plus connu sous le nom de Turenne, qui deviendra maréchal de France, est obligé de vendre sa vaisselle d'étain pour payer les soldes et la nourriture de son régiment d'infanterie, vers 1635. Les nécessités financières liées aux guerres entreprises par Louis XIV provoquent la fonte des vaisselles en or et en argent. L'étain a désormais une place de choix. D'abord de forme très sobre, à bord finement mouluré, assiettes et plats vont présenter des bords festonnés sous Louis XV, suivant le style rocaille. Du moins en province. A Paris, la faïence, puis la porcelaine vont dominer le marché. La province reviendra à un style plus sobre, mais très fonctionnel, jusqu'au XIXe siècle.
Fermons la parenthèse et revenons aux couverts. Pour illustrer ce chapitre des couverts, nous vous proposons quelques photographies d'objets qui nous ont été donnés, parfois prêtés. Ces photographies ont fait l'objet de retouches : l'esthétique n'est pas toujours parfaite mais les ciselures et décorations sont mises en évidence. Les annotations correspondent aux poinçons. Nous tentons également d'indiquer le style : cela est loin d'être facile pour un non expert ; comme toujours des avis éclairés seront les bienvenus. On peut considérer que la plupart des objets présentés datent de la fin du XIXe siècle aux années 1930. Enfin, et sans diminuer l'intérêt des dons, nous ne disposons que de pièces en étain ou en métal blanc argenté : ni or, ni argent !
Couverts et couteaux utilisés à titre individuel
Couverts en étain, à filet, de style Louis XV transition |
Moule en bronze pour la fabrication d'une cuiller en étain |
METAL Alliage BLANC 60G BOULENGER [1810 – 1938] 84 |
Ces deux couverts seraient de style Louis XV - rocaille.
METAL GM BLANC 60G LIONNEL FRANÇOIS 60 |
E ( ) L [Lisak Emmanuel 1902] 10G ERCUIS (Sagittaire ?) Art Déco ? |
UNION LEAGUE CLUB CHICAGO REED & BARTON |
L'Union League of America a été fondé en 1862 pour soutenir Abraham Lincoln pendant la guerre de sécession. Sa première assemblée générale eut lieu la même année, à Chicago. Elle fut renommée Union League Club of Chicago vers 1880, avec une action évoluant du politique, à l'économie et au social.
Cuillers à soupe 1 CHRISTOFLE C (balance) C Mavelot Ͻ E Ϲ
2 METAL BLANC N . W 72 3 S * F 84 4 ALFENIDE G (cheval) H N.W pour Wisonne, Nochin 1908 ; S*F pour Saglier (frères et Cie) |
|
Cuillers à café S * F 60 Cuillers à café METAL Alliage BLANC 18G * * * |
Cuiller à café en métal argenté |
Ménagère DUROUSSEAU Poinçon DUROUSSEAU & RAYNAUD Style Louis XV fabrication vers 1930 |
1 & 2 ALFENIDE G H 84 1 & 3 C (soleil) B CAILAR, BAYARD 1921 3 & 4 S * F 84 2 METAL Alliage BLANC 18 * * * |
C (soleil) B CAILAR, BAYARD 1921 Cuillers à sauce
( ) STERLING GALT & BRO Déc. 25,1902 Cuiller à sauce 2 : Origine anglaise : le cuilleron est tourné vers le haut pour que l'on puisse voir le mavelot. |
Couteaux à manche en bois VERITABLE |
Ets Chabanne-Brossard créés en 1790.
Couteaux à manche en ébène (caravelle) |
Couteaux "Christophe COLOMB" à manche en résine |
Couteau de style Louis XVI (?) à manche en laiton (?), en vermeil (? très peu probable) ; poinçon : 18 (?) Sur la lame : ACIER FONDU GARANTI |
Ces quelques couteaux nous posent question quant à leur origine ou aux matériaux dont ils sont faits.
Plus récents (années 1960), ces couteaux "PRADEL" ont une lame en acier inoxydable, une virole en argent et un manche en os.
Couteaux à viande et à fromage PRADEL |
Accessoires indispensables pour les aliments durs ou pour les convives édentés, deux ustensiles permettent le broyage de certains mets.
Mâche-croûte (fin XIXe siècle) |
Mâche-croûte du Dr C…inand |
Le mâche-croûte sert à "broyer la croûte de pain, partie la plus nourrissante de cet aliment, mais dont la mastication n'est pas toujours possible à tout le monde" (Manufacture française d'armes et de cycles, 1910).
Masticateurs |
Sert "à couper, broyer en une sorte de pulpe, sur l'assiette, au moment de manger, la viande, les légumes et autres aliments. Le masticateur remplace la meilleure mâchoire et rend les plus grands services aux personnes dont la digestion difficile exige une mastication parfaite" (catalogue Manufacture française d'armes et de cycles, 1910).
Ustensiles pour servir ou se servir
Louche en étain Style Louis XIV (?) L 32 |
Louches en forme "à baguette" 2 ALFENIDE (tête de cheval) |
|
Service à hors d'œuvre en métal argenté. Style Louis XV Pelle à beurre, pelle à thon, cuiller à olives, |
Fourchette de service à poisson STERLING R.E.BRIGHAM Mavelot NF |
Fourchette d'origine anglaise : les dents de la fourchette sont tournées vers le haut pour que l'on puisse voir le mavelot.
Fourchette et couteau à découper de style Louis XVI Manche en argent fourré VOLTAÏC FRANCE |
|
Couvert à salade. Epoque et style Napoléon III (ou Louis XVI fantaisie ?) Fourchons et cuillerons en bakélite, manche en argent fourré. |
.ONN (lyre)
Saupoudreuse à sucre en vermeil |
Service à gâteau (pelle et fourchette) en vermeil Manche en résine bleue. Style Art-Déco. |
Service à fraises : pelle et saupoudreuse en vermeil Manches en argent fourré. Style Louis XVI (?) |
Ciseaux à raisin en acier |
Utilisés pour couper les tiges des grappes de raisin présentées sur la table.
Casse-noix autrefois appelés truquoises |
Pompes pour boissons gazeuses en laiton et bois (fin XIXe siècle) |
Le tube terminé par une vrille pénètre le bouchon : la bouteille peut être vidée complètement sans perte de gaz. Pour les eaux minérales gazeuses, mais aussi le champagne…
Pince à sucre en métal blanc (aucun poinçon) Style Napoléon III (?) |
Verre à boire
Le mot "verre" a l'inconvénient de désigner un matériau et un récipient. On retrouve ce même problème dans d'autres langues. Cela ne facilite pas la rédaction de ce chapitre car le "verre à boire" peut être fabriqué en divers matériaux : bois, céramique, fer étamé, étain, métaux précieux, verre. Ce n'est que la forme qui permet de différencier des types différents : gobelets, verres à pied, verres spécifiques de certaines boissons… Nous ferons pour le mieux.
Le verre (matériau) remonterait à plus de 6 millénaires d'après les fouilles archéologiques : sa fabrication involontaire résulte du chauffage de terres siliceuses. Utilisé par les Egyptiens pour la réalisation de bijoux, mais aussi de vases, de coupes de fruits, de verres (récipients) à eau ou à vin, il semble ne pas concurrencer la céramique chez les Grecs qui ne disposent que d'un récipient pour plusieurs convives, le canthare, en terre cuite. Le verre soufflé, enfin transparent, apparaît au 1er siècle avant J.-C. en Syrie et est adopté par les Romains les plus aisés - en particulier, pour la parfumerie, la pharmacie : voir notre article sur ce dernier métier. Par contre, le peuple doit se contenter de gobelets en bois, en céramique ou en métal. Comme l'argenterie, le verre franchit les frontières grâce au conquérant : des ateliers s'installent du nord au sud de la Gaule, à l'est, près des forêts. L'invasion barbare va mettre sous silence cet artisanat de luxe. Bien que l'on ait retrouvé des ateliers de verrerie dans la Gaule devenue France, on peut considérer que, entre le Ve et le Xe siècle, la production de gobelets, plus ou moins allongés, est très faible. Nobles et ecclésiastiques qui détiennent pouvoir et finances préfèrent se tourner vers le Moyen-Orient où ils trouvent les prestigieux verres de Damas, accessoirement de Byzance.
A la fin du 1er millénaire, le commerce maritime rapproche l'Orient et l'Occident. Venise domine ces échanges qui se concrétisent notamment par la venue d'artisans verriers de Byzance. La chute de Damas en 1401 permet à Venise de devenir le centre méditerranéen, puis européen de la verrerie d'art. Le verre acquiert ses lettres de noblesse sur l'île de Murano, à partir du XIIIe siècle : il est appelé "cristallo" du fait de sa ressemblance avec le cristal de roche ou quartz hyalin transparent. Sa très faible épaisseur empêche d'utiliser la meule pour le décorer ; l'artisan utilise le diamant et une bonne dose de savoir-faire.
"Les ustensiles de table en verre étaient encore rares au XIVe siècle. Jean de Garlande, qui, au milieu du XIIIe, donne une énumération des vases à boire alors en usage, mentionne comme matière première, l'étain, le madre, le platane, le houx, l'érable, le tremble, etc , et il ne cite point le verre. Quant aux bouteilles, nous savons d'autre part qu'elles étaient en argent ou en cuir, le verre n'apparaît que par exception".
Il est un vase à boire particulier : le hanap. Soit de forme hémisphérique (coupe, tasse) et peu décoré, soit très haut (40 à 50 cm), muni d'un couvercle et richement décoré. Il est en cuivre, en étain ou en matériau précieux comme le cristal de roche, le vermeil, auquel on peut ajouter une matière végétale comme une noix de coco qui sert de récipient (!). Dans le deuxième cas, la forme générale pourrait faire penser à un calice. Il est placé sur la table devant le maître de maison.
Si le gobelet est en bois chez les plus pauvres, il peut être comme le hanap en matériaux précieux, muni d'un couvercle non moins précieux en cristal de roche ou en marbre.
Comme la cuiller, le verre à vin n'est pas personnel : il est utilisé par plusieurs convives. Il n'est pas sur la table, mais sur une desserte, rempli et apporté à la demande par un valet et, après avoir été vidé, remporté immédiatement sur la desserte.
Erasme (vers 1466 – 1536) donne son avis sur l'utilisation de cet ustensile : "Commencer un repas par boire est le fait d'ivrognes qui boivent, non parce qu'ils ont soif, mais par habitude. C'est non seulement inconvenant, mais mauvais pour la santé. Avant de boire, achève de vider ta bouche et n'approche pas le verre de tes lèvres avant de les avoir essuyées avec ta serviette ou avec ton mouchoir, surtout si l'un des convives présente son propre verre ou si tout le monde boit dans la même coupe. Ecarquiller ses yeux en buvant pour regarder n'importe où est malséant, tout comme se renverser le cou en arrière jusque dans le dos, à la manière des cigognes, pour ne pas laisser une goutte au fond du verre."
Il ne devient individuel qu'à partir de la fin du XVIe siècle. Le gobelet, forme haute ou basse, est alors le plus utilisé. Le verre à pied n'apparaît qu'au XVIIe siècle : il est composé de 3 parties, le pied, la jambe et la coupe ou paraison. Sa raison d'être : le tenant par le pied, le valet ne peut plus y introduire de poison (!).
Au début du XVIIe siècle, les verriers de Bohème utilisent un quartz local très pur. Le produit obtenu, du verre et non du cristal, donne des reflets lumineux particuliers et son épaisseur permet une taille profonde, contrairement au "cristallo" de Murano. Bien qu'il ne contienne pas d'oxyde de plomb, il est appelé couramment, à tort, cristal de Bohême.
Le véritable cristal apparaît en Angleterre, en 1676, dans l'atelier de G. Ravenscroft, par apport de charbon et d'oxyde de plomb (au minimum 24 %) au mélange habituel de silice et de soude ou de potasse.
Italie, Bohême, Angleterre. La France n'a pas retrouvé la place qu'elle occupait plus de mille ans auparavant. Il faut attendre la deuxième moitié du XVIIIe siècle pour qu'un prélat, Louis de Montmorency Laval, évêque de Metz, propriétaire de nombreuses forêts en Moselle, obtienne l'autorisation de Louis XV de créer une verrerie : nous sommes en 1764. La cristallerie de Baccarat est née. Quelques années plus tard, en 1767, une autre verrerie installée dans les Vosges, datant de la fin du XVIe siècle, qui avait dû arrêter ses activités du fait de la guerre de Trente ans, revient au 1er plan : la Verrerie royale de Saint-Louis. En 1781, c'est dans ses ateliers qu'est enfin découvert le processus de fabrication du cristal. Dans le même temps, à l'initiative de Louis XVI, est créée la Cristallerie de la Reine (Marie-Antoinette). Installée d'abord à Sèvres, elle est transférée au Creusot, près des houillères de Montcenis : silice, charbon, oxyde de plomb sont extraits sur place. Au cours du XIXe siècle, par leur innovation dans le style, la diversité de leur production du verre au luminaire en passant par les arts de la table en général, leur créativité, notamment du cristal coloré…, les deux manufactures Baccarat et Saint-Louis acquièrent une renommée mondiale, toujours d'actualité, grâce aux meilleurs ouvriers de France qui y exercent leur art à la perfection. En principe, les objets qui sortent de ses ateliers portent le nom de l'entreprise : "Cristal Saint-Louis France" ou "Baccarat France".
Il convient d'ajouter à ces deux entreprises la cristallerie de Sèvres, don de Louis XV à Madame de Pompadour, en 1762.
D'autres, depuis la fin du XIXe siècle, ont également acquis une réputation sans égal dans l'art de la table, mais aussi la décoration, les luminaires, les vases…, comme Lalique et Daum, avec un style et des matériaux qui leur sont propres.
La Révolution industrielle du XIXe siècle modifie la fabrication des verres qui passe du mode artisanal ou mode industriel. La qualité n'est pas la même, le coût non plus ce qui entraine la fermeture de nombreux établissements artisanaux. A l'inverse, le verre, devenu bon marché, se retrouve dans toutes les couches sociales. Le département de la Loire en profite, notamment la ville de Rive-de-Gier : nous en retraçons l'histoire dans les métiers… du bâtiment (!) : les entreprises concernées fabriquent des objets pour la table, des bouteilles, mais aussi des vitres.
C'est à partir de ce siècle que les verriers innovent et créent des verres propres à chaque boisson : verre à eau, à vin rouge, à vin blanc, à vin d'Alsace (coloré), à champagne, à porto, à liqueur, à cognac, à whisky, à orangeade… L'inventivité humaine et commerciale n'a pas de bornes !
En ce même siècle, à côté du verre - matériau -, des verres - récipients - sont fabriqués en métal et notamment en laiton, moins cher que l'or, l'argent, voire le métal argenté : ils servent surtout pour la consommation des liqueurs.
Nous vous proposons quelques photographies de verres qui nous ont été donnés ou, pour les plus remarquables, prêtés pour l'illustration de ce site.
Gobelets en étain
2 h 7,5 |
1 |
2 |
1 h 10 2 h 8,3 Gobelets en étain ETAIN (Etoile) (R M Sapin dans écusson) |
Et pour les nourrissons :
Biberons en étain |
Pour voir d'autres biberons, notamment en verre, se reporter au "chapitre IV Pédiatrie" de la rubrique "Santé et hygiène".
Service de verres à pied Baccarat |
Les progrès techniques ont permis de réaliser des services de verres dont le prix est abordable pour le plus grand nombre. C'est le cas du cristal d'Arcques dont la production industrielle automatisée débute en 1968 : le matériau de base est, alors, du cristal contenant plus de 24 % d'oxyde de plomb. Des problèmes financiers font interrompre cette production en 2008. Le cristal est remplacé par un verre qui ne produit pas ce son cristallin auquel on s'attend avec le vrai cristal. Un autre verre à la sonorité plus proche de celle du cristal est utilisé aujourd'hui.
Service de verres à pied A l'avant, verre à eau : h 16,7 Ø col 8,4 ; à vin rouge : h 13 Ø col 7,2 ; A l'arrière, un verre à champagne de la collection Longchamp par Cristal d'Arcques Paris : h 20,6 Ø col 5,2. |
Ces verres ne sont pas signés. La sonorité n'est pas cristalline ; le verre est relativement épais.
Comme nous l'avons vu plus haut, des verres "spécialisés" arrivent sur le marché dès le XIXe siècle.
Verres à pied, pour vin du Rhin. Baccarat |
Gobelets à Porto VB Gobelets à whiskey VILLEROY & BOCH |
Ces deux séries appartiennent à la même collection de Villeroy et Boch. Cette entreprise a été créée en Lorraine, en 1748
Verres à orangeade. Daum |
Verres à Cognac ou Armagnac Sèvres |
Verres à pied à liqueur Saint-Louis |
Gobelets à liqueur, en laiton |
Gobelets à liqueur, en acier 1 h 4,5 Ø 3,2 Souvenir d'un concours
2 h 4,8 Ø 3 |
Plats et assiettes
Les récipients pour le service et la consommation des aliments, ce que nous appelons aujourd'hui de façon restrictive "plats ou assiettes", se multiplient et évoluent dans leur forme au fil des siècles.
Les Grecs utilisent essentiellement l'or et l'argent, parfois l'étain, dans les maisons royales, et plus généralement, la céramique peinte et, pour les plus pauvres, une céramique brute ou simplement une tranche de pain comme assiette individuelle. L'osier est utilisé depuis l'Antiquité pour réaliser des corbeilles à fruit.
Les Romains adoptent les mêmes matériaux. La céramique, souvent rouge, est décorée de motifs en relief : c'est la céramique sigillée que l'on retrouve dans le monde romain au fil des conquêtes. Le verre est aussi utilisé pour la fabrication d'assiettes.
Dans la deuxième moitié du 1er millénaire, la vaisselle royale est toujours en or ou en argent, parfois en serpentine (pierre ollaire = roche métamorphique tendre). Ce peut être le cas pour l'aristocratie et les ecclésiastiques, suivant les moyens financiers. Mais la céramique domine : fine ou grossière, inspirée de la céramique sigillée romaine. Les cruches, les pots, les écuelles prennent d'abord une forme carénée (deux cônes opposés) puis globulaire qui traversera les siècles. Le verre est rare, utilisé pour la réalisation de coupes ou de vases. Pour les plus pauvres, gobelets, bols et écuelles sont en bois ; les carafes et les plats sont en céramique grossière.
Dès cette époque et pour 2 ou 3 siècles encore, chaque convive dispose, outre d'une écuelle pour les aliments liquides (soupes, bouillies), d'une planchette rectangulaire, carrée ou ovale en bois, en verre ou en métal (or, argent, étain), le tranchoir ou tailloir. Ces ustensiles reçoivent deux ou trois tranches de pain sec sur lesquelles sont placées les viandes avec leur sauce. Celle-ci imprègne le pain qui est distribué aux pauvres après que le convive a découpé et consommé la viande. Le tranchoir des moins riches est une simple tranche de pain, utilisée lorsqu'il y a de la viande au menu, c'est-à-dire rarement.
Au XIe siècle, on rencontre, toujours dans les milieux les plus aisés, laïcs ou religieux, mais très rarement, des récipients en verre. Les objets en métal précieux (or et argent) sont surtout exposés, utilisés exceptionnellement pour impressionner les invités. Parmi ceux-ci, on peut en citer deux qui prennent naissance à cette époque :
- à partir du XIVe siècle, la nef, une sorte de coffre en forme de nef (bateau), le plus souvent en métaux précieux, réalisée par des orfèvres. D'origine religieuse, servant de reliquaire ou de tabernacle, elle est placée devant un personnage important. Fermée à clef pour éviter tout empoisonnement, elle contient le sel, le sucre, les épices, parfois les "épreuves", ensemble de substances sensées déceler un poison : cornes de licornes, langues de serpents, crapaudine, serpentine, ces deux dernières pierres accrochées par des chaînettes à un "languier". Les modèles les plus importants prennent le nom de caraque, du nom de vaisseaux de fort tonnage. La dernière nef connue fut offerte à Napoléon 1er par la ville de Paris à l'occasion de son sacre.
- au même siècle et au siècle suivant, les objets d'art de la table se multiplient. Ils ont un rôle décoratif, comme le surtout d'entremets (orfèvrerie, verrerie, statuette) ou servent de présentoir, comme le fruitier ou le surtout de dessert (assemblage de coupes sur pied), pour les fruits confits, les confitures, les confiseries très prisées à cette époque. A la fin du XVIIe siècle, le surtout atteint son apogée sur la table de Louis XIV. Il s'agit d'une pièce décorative d'orfèvrerie pouvant être composée de plusieurs éléments, parfois très complexes : "Le surtout peut être constitué d'un élément de grandes dimensions en forme de baldaquin, de corbeilles, de coupes ou de vases, couverts ou non, portés par différents éléments en consoles ou volutes posés sur un plateau d'où partent des branches de lumières. A cet élément principal peuvent s'ajouter des objets fonctionnels tels que des salières, saupoudreuses, des boîtes à épices et plus tard des huiliers et vinaigriers… Le surtout peut encore être constitué de combinaisons d'éléments purement décoratifs, de personnages et d'animaux pouvant composer des scènes… Des éléments naturels tels que l'eau (sous forme de jets d'eau, bassins, fontaines, miroirs d'eau), fleurs, plantes, feux d'artifices pouvaient aussi composer le surtout". Ces pièces d'apparat survivent jusqu'à la fin du XIXe siècle avec des réalisations parfois surprenantes comme ces aquariums où se délassent poissons rouges et tortues.
Moins imposant et plus fonctionnel, le plat servant à apporter les aliments solides pour l'ensemble des convives apparaît aussi au XIVe siècle, de même que les cloches en argent pour les couvrir.
Pour les couches sociales les plus défavorisées, le matériau de base pour la vaisselle reste le bois et la céramique. Pour trois siècles encore, le paysan doit se contenter d'une écuelle en bois ou même d'une assiette creusée dans la table.
L'assiette plate qui existe depuis l'Antiquité est en or, en argent, en étain, en faïence, en poterie, voire en bois, suivant le statut social. Elle n'est utilisée qu'à partir du XVIe siècle. En ce même siècle, la porcelaine de Chine rentre dans les demeures des plus riches. Il faut attendre le XVIIe pour que l'étain s'impose par force dans toutes les couches sociales, du moins dans les plus aisées. Comme nous l'avons vu plus haut, toute la vaisselle en or et en argent est saisie et fondue par l'Etat pour financer les guerres. L'étain, beaucoup moins couteux, acquiert désormais toute sa place sur les tables de l'aristocratie et de la haute bourgeoisie. La malléabilité de l'étain permet aux potiers d'étain de réaliser des œuvres d'art : aiguières, pots et pichets, surtouts, couverts… L'assiette se présente sous différentes formes ou tailles suivant le mets consommé : assiette creuse dite à soupe, assiette à dessert.
C'est toujours pour un problème de prix de revient, mais aussi de faciliter de production industrialisée que ce métal va laisser sa place à la faïence, puis à la porcelaine au XVIIIe siècle et au métal argenté, au XIXe siècle (voir le paragraphe "couteau").
Toujours en cette même période de la fin du Moyen-Âge, début de la Renaissance, la faïence arrive en France, après 3 millénaires d'existence. L'Egypte pharaonique semble l'avoir découverte. A la fin du 1er millénaire de notre ère, des faïenceries de Bagdad et de Fostat (le Caire ancien) font évoluer la technique de fabrication, en réalisant, notamment, des faïences stannifères pour concurrencer la porcelaine chinoise. Grâce au commerce maritime, ces procédés parviennent d'abord en Espagne, puis en Italie, entre le XIIIe et le XIVe siècle. Motifs et couleurs sont sensiblement distincts : l'influence mauresque est particulièrement nette en Espagne où les couleurs se réduisent au vert et manganèse ou au bleu sur fond blanc alors qu'en Italie la polychromie s'impose avec la technique de la majolique. C'est de ce dernier pays, de la ville de Faenza, que naîtra le nom de faïence.
En France, des fouilles archéologiques, en particulier dans la vallée du Rhône, permettent de retrouver des carreaux du XIVe sans que l'on sache s'ils proviennent d'une fabrication locale de travailleurs français ou étrangers, ou encore d'une importation. Si les potiers sont espagnols ou italiens, l'esprit français modifie le style et les motifs importés. La production concerne essentiellement, à cette époque, des carreaux, des vases, des pichets ; on trouve également en quantité moindre des plats et des assiettes qui ne sont pas encore utilisés couramment. Deux siècles plus tard, la faïence française se développe enfin, notamment grâce aux potiers italiens (carreaux pour la décoration des châteaux), aux arts de la table (plats de service et assiettes individuelles) et aux… apothicaireries (albarello, chevrette). Les faïenceries se développent ainsi à Lyon, proche de l'Italie : l'immigration est liée à l'existence de trop nombreux ateliers provoquant concurrence et donc baisse des prix. Autre centre, Nevers accueille des artisans italiens qui imprimeront de leur style la production de cette ville jusqu'au milieu du XVIIe siècle. Narbonne bénéficie d'immigrés musulmans venant d'Espagne, suite aux persécutions religieuses. Marseille, Nîmes, Montpellier… mais aussi Rouen subissent une influence italienne. La liste est très longue et s'allongera encore au XVIIe siècle. Nous aurions dû citer les noms des artisans les plus importants qui sont parfois à l'origine de véritables dynasties, mais cela nous emmènerait trop loin et serait, sans doute, fastidieux à la lecture.
Or, argent, étain, bronze, cuivre, fer, bois, faïence… Mise à part la faïence, la plupart de ces matériaux a quasiment disparu aujourd'hui dans l'art de la table : la porcelaine est arrivée. Elle nous vient de Chine : sa découverte remonte au début de notre ère, confirmée vers le VIIIe siècle de notre ère, à travers une description poétique : "bols blancs comme la neige et qui résonnent comme le jade". Blancheur, sonorité auxquelles il convient d'ajouter dureté, translucidité. Le composant essentiel est une argile fine, réfractaire et blanche, le kaolin, extrait d'une colline chinoise nommée… "Kaolin" et qui, mélangé à une pierre dure, opaque et fusible, le pétuntse, chauffé vers 1200°C, donne la porcelaine. Ces deux matières premières locales sont à l'origine de recherches pour égaler cette substance. Au XIe siècle, une céramique proche, siliceuse et translucide, voit le jour en Perse. Au XVe siècle, le commerce maritime - portugais - va permettre de connaître la porcelaine à travers des objets consacrés surtout à l'art de la table. En fondant la Compagnie des Indes, les Hollandais, suivis par les Français… développent ces importations. Leur coût élevé incite des artisans à les reproduire. Les premiers à s'en rapprocher sont les florentins, au XVIIe siècle ; la composition est proche de celle des objets perses. Il s'agit d'une fritte de verre mélangée à du kaolin de Vicence. Le terme de porcelaine ne s'applique vraiment qu'à partir du XVIIe siècle pour la production française. Deux techniques sont utilisées pour obtenir la porcelaine dite soit tendre soit dure.
Dans le premier cas, le mélange de base pour obtenir la pâte est composé d'une matière vitreuse, la fritte (sable, soude, sel marin, alun, gypse…), mêlée à de la craie et à une argile ou une marne calcaire. L'objet est façonné, puis cuit, enduit d'un émail ou couverte d'une substance à base d'oxyde de plomb et de sable, cuit à nouveau et, enfin, décoré et recuit. Les premières cuissons se font entre 850 et 1100°C ; la température est plus basse pour fixer le décor. La production française de cette porcelaine tendre débute petitement à Rouen dans l'atelier Poterat, vers 1673. La première véritable entreprise se situe à Saint-Cloud, dans une ancienne faïencerie, dès la fin du XVIIe siècle : lambrequins en camaïeu bleu, ornementation sans couleur par effets de reliefs, dorure, polychromie. Vers 1725, une autre fabrique s'installe à Chantilly : les décors sont d'inspiration sino-japonaise. Installée d'abord à Paris, une autre fabrique est déplacée à Mennecy en 1748 : les premiers décors sont inspirés de la céramique japonaise dite d'Imari, puis de style français avec fleurs, oiseaux, paysages… La fabrique de Sceaux est fondée en 1748 : le style est proche de celui de Mennecy. Mais la plus renommée est certainement la fabrique de Vincennes-Sèvres qui s'installe en 1738 dans le donjon de Vincennes. Des problèmes financiers vont provoquer à plusieurs reprises le changement des propriétaires. Soutenue financièrement par le roi, elle obtient un privilège de 20 ans à compter de 1745, avec notamment "le droit exclusif de fabriquer de la porcelaine façon Saxe peinte et dorée et à figure humaine". Elle devient Manufacture royale et se déplace à Sèvres en 1756. Elle devient propriété de Louis XV en 1759 : les artistes et les techniciens qui y travaillent sont parmi les plus renommés de l'époque. Leurs inventions décoratives, notamment en matière de couleurs, de dorure, mais aussi de sculpture (biscuit), placent la manufacture au premier rang dans toute l'Europe. Le procédé d'obtention de cette porcelaine tendre est à l'origine de fabriques au Danemark, en Suède, en Suisse, en Angleterre, en Italie, en Espagne.
Nous venons de le voir : cette porcelaine n'est pas constituée des mêmes matières premières que la véritable porcelaine de Chine, d'où les appellations de porcelaine frittée, porcelaine tendre artificielle, porcelaine vitreuse. Dès la fin du XVIIe siècle, des recherches analytiques et géologiques sont entreprises, d'abord en Saxe, à Meissen et, surtout à Aue d'où est extrait le premier kaolin européen tant recherché et le feldspath. Kaolin, quartz, feldspath, craie, une cuisson à 1300°C : la porcelaine dure est née ; nous sommes dans les années 1720 – 1730. Des manufactures sont créées à Vienne, à Fürstenberg…, à Berlin et à Strasbourg. Celle-ci est contrainte de s'expatrier dans le Palatinat à cause du privilège de la fabrique de Vincennes-Sèvres ; elle ne revient à Strasbourg qu'à l'extinction du dit privilège, en 1766. En Lorraine, une autre manufacture réalise à partir de 1735, comme celle de Strasbourg, des statuettes polychromes. La proximité des gisements d'Aue et de Passau, en Bavière, a largement contribué au développement de ces deux manufactures. La recherche de gisements de kaolin s'accélère en France : c'est à Saint Yriex, près de Limoges, que l'on découvre en 1768 cette argile. Le gisement devient propriété du roi en 1770 ; la manufacture de Sèvres démarre aussitôt sa fabrication de porcelaine dure. En 1771, un ancien faïencier crée la manufacture de Limoges qui deviendra en 1784 propriété du roi et Manufacture royale des porcelaines de France, annexe de Sèvres. A son actif, des services à bouquets de fleurs et à filets d'or. D'autres manufactures spécialisées dans la porcelaine dure naissent durant la deuxième moitié du XVIIIe siècle : La Seynie, Orléans, Marseille, Lunéville, Etiolles, Lille… et Paris où les nombreux ateliers se contentent parfois de la décoration des objets transmis par Limoges. La mode de la porcelaine dure s'empare de la plupart des pays européens : Angleterre, Italie, Belgique, Hollande, Danemark, Russie.
Au cours de ce bref historique, nous avons cité quelques objets utilisés pour le service et la consommation des aliments. Il en est bien d'autres, en relation avec la créativité humaine et l'évolution des mets. En voici quelques' uns :
- assiette calotte, montée, à compartiments, à artichaut, à asperges, à œufs, à huîtres, à rôti, à bain-marie…; serviteur muet : la plupart sont en faïence.
- beurrier, cloche et plat à fromage, fromager, boîte à épices, confiturier, coquetier, bonbonnière, drageoir (à partir du XIVe siècle), glacière ou rafraîchissoir (à verres, à bouteilles), moutardier, œufrier, pot à crème.
- jatte à crème, à fruits, compotier, légumier, soupière, marronnière, melonnière.
- plat à l'italienne ou cardinal, plat égouttoir, à ragoût, à venaison, à asperges, à gâteau, à poisson, à rôti, plat-réchaud, présentoir à huîtres ; poêlon de table ; chauffe-plat, réchaud de table, réchaud-veilleuse.
- ravier, saladier ; corbeille, bannette, plateau, présentoir ; salière, saucière ; pot à sucre, sucrier, sucrier saupoudreur ; huilier. Porte-couteau, porte-cure-dents, porte-serviette, porte-menu, porte-nom, rond de serviette.
- aiguière trompeuse ou en casque, service à thé ou à café, cafetière, théière, chocolatière ; bouteille, carafe, broc, pichet, cimarre, cruche de table, fontaine de table, gourde, pot à lait, pot trompeur, tasse.
Nous ne pouvons pas vous montrer de services en or ou en argent : la générosité des donateurs et nos moyens ont leurs limites ! Nous ne sommes guère plus riches en objets plus simples faits de terre (argile) ou de bois.
Bois
Plateau en bois décoré Ø 27 |
Ce plateau est de la première moitié du XXe siècle : pour les fruits ?
Coquetiers en bois |
L'appellation de coquetier apparaît à la fin du XVIe siècle. Celui de gauche est associé à une coupelle qui permet de mettre la coquille du "chapeau" ou des mouillettes.
Verre
Plateau en cristal de Bohême Ø 31 épaisseur 0,7 |
Les sculptures sont très profondes. Le poids est assez conséquent. Beaucoup plus récent, il peut servir également pour présenter des fruits.
Panier à fruits, bonbons … Compotier |
Beurrier Cloche à fromage |
Ces objets en verre moulé proviennent vraisemblablement des verreries de Rive-de-Gier, dans le Pays-du-Gier. Le verre est épais, lourd. A défaut d'être beaux, ils sont fonctionnels et peu chers grâce à une production industrielle.
Étain
Soupière en étain, XIXe siècle |
Nous verrons plus loin que le potage ou la soupe est l'aliment de base depuis très longtemps, quelle que soit la classe sociale. Elle peut être consommée à toute heure : elle cuit tranquillement dans une grande bassine en fonte. Pour la consommer, on utilise une écuelle à oreilles. Cet ustensile est sans doute très ancien, déjà présent au Moyen-Âge. Sa fabrication ne nécessite qu'un seul moule. La préhension est facilitée par la forme des anses, plates, ajourées ou décorées en relief. Le couvercle n'apparaît qu'au XVIIe siècle, "à la façon argent" pour les classes les plus riches : d'abord plat, il devient bombé, muni d'un bouton central plat. Il fait l'objet de décorations plus ou moins marquées suivant les moyens financiers et la ville d'origine (notamment Paris, Lyon, Bordeaux, Strasbourg…).
Ecuelles à oreilles en étain |
1 L tot. 29 |
2 L tot. 15,5 Ø 10,5 h 7 |
Ange / Fleur de lys ETAINS DE LA FONTAINE |
L'écuelle n'est remplacée par l'assiette creuse qu'à la fin du XVIIIe siècle. Elle est massive, sans décoration particulière.
Assiette creuse en étain Ø 23 |
L'assiette dite plate évolue avec les mets. Au début du XVIIe siècle, elle est… plate (!), peu profonde, à bord large et plat sur lequel figurent les armoiries pour seul décor. C'est le style "Louis XIII" très épuré qui ne fait que reprendre le style des siècles antérieurs. A partir du milieu du même siècle, le bord est moins large, incliné vers le centre : l'arrivée des sauces explique ce dernier changement. Une moulure périphérique sert d'ornement. Les armoiries sont toujours présentes, mais plus petites. C'est le style "Louis XIV".
Ce style plait, mais son coût relativement élevé est à l'origine de simplifications et d'une qualité moindre : l'assiette est plus petite, les bords sont encore plus étroits, la moulure périphérique plus simple, l'étain utilisé est commun et non plus fin. Ce type perdurera jusqu'à la fin du XVIIIe siècle du fait de la modicité de son prix d'achat par rapport à celui de la faïence et de la porcelaine.
A partir de 1730, nait le style Louis XV "à la façon argent". Le bord est festonné, parfois godronné. On retrouvera ce style avec les nouveaux matériaux : faïence et porcelaine.
Sur le bord supérieur Dessous Assiette en étain, style Louis XIV |
Assiettes en étain, Style Louis XV Ø 23 (écusson couronné) |
A noter le poids élevé de ces assiettes : 680 g l'une, ce qui suppose une proportion importante de plomb et une destination plus décorative qu'alimentaire.
Parmi les plats, le modèle le plus remarquable est le plat dit "cardinal" du fait de sa ressemblance avec le chapeau des cardinaux au XVe siècle. Si dans la plupart des cas, fond et bord sont plats, certains modèles présentent un bord incliné vers le centre ou une moulure périphérique, tout comme les assiettes.
Le style des plats suit globalement celui des assiettes. On trouve également des modèles peu couteux qui seront encore utilisés au XIXe siècle.
Plat à l'italienne ou cardinal, en étain Ø 32 |
Le marli horizontal est frappé d'armoiries. Utilisé aux XVIIe et XVIIIe siècles, c'est avant tout un plat d'apparat.
Petit plat en étain, style Louis XIV L 21 l 12,7 (ange) |
La petite taille de ce plat n'en fait pas vraiment un objet destiné à l'alimentation : plateau utilisé dans des célébrations religieuses (plateau à burettes) ?
Plat en étain, style Louis XV L 31 l 22 (2 fleurs couronnées) |
A côté des assiettes et des plats, de nouveaux ustensiles sont nés pour répondre aux exigences des habitudes culinaires qui évoluent dans le temps (voir ci-dessous chapitre VII).
Salière en étain, style Louis XVI |
Moutardier en étain, avec sa cuiller |
Saucière en étain |
Beurrier en étain |
Sucrier en étain |
Bonbonnière en étain |
L'objet suivant ne fait pas vraiment partie des arts de la table. On peut penser qu'il n'était pas inutile après le départ des convives pour rejoindre sa chambre après un repas bien arrosé.
Bougeoir en étain |
Eteignoir/étouffoir à bougie, en étain |
Les éteignoirs peuvent également être en fer forgé, en métal argenté.
Eteignoir/étouffoir à bougie, en fer forgé |
Eteignoir/étouffoir à bougie, en métal argenté L 14 |
Autre ustensile plus radical utilisé pour éteindre la bougie : la mouchette qui permet de couper la mèche et de la recueillir, suivant le modèle, dans un réceptacle, fermé ou non, fixé à une branche des ciseaux.
Mouchette à réceptacle ouvert |
Mouchette à réceptacle fermé |
Autres métaux : cuivre, métal argenté
Chauffe-plat à bougie, en cuivre |
Chauffe-plat à bougie, en métal argenté |
L'entreprise CHRISTOFLE a été fondée en 1830 par Charles Christofle. Elle est à l'origine du métal argenté que l'on retrouve sur les plus grandes tables : en tout premier Louis-Philippe et Napoléon III. L'entreprise n'a cessé de s'agrandir, de produire des objets concernant les arts de la table et bien d'autres domaines.
Pour en savoir plus, cliquer ici .
Coquetier en métal blanc argenté |
Coquetiers en métal blanc argenté |
Bonbonnière en métal blanc (dés-)argenté |
Faïence et porcelaine
Déjeuner en porcelaine Ancienne Manufacture Royale Limoges France |
Petits bols de déjeuner |
Le mot "bol", d'origine anglaise, apparaît à la fin du XVIIIe siècle pour remplacer les appellations coupe à boire ou creusequin.
Assiettes creuses |
L'assiette creuse a été importée par Mazarin, d'où son autre nom d'assiette à la Mazarin. Celles-ci, en porcelaine de Mehun-sur-Yèvre, dans le Cher, était commercialisées en Suisse, à Genève, par le magasin Francelet & CIE.
Assiettes creuses |
Nous n'avons pas trouvé le porcelainier de Limoges LS & S. Par contre, le magasin américain Rudesill & Mead, spécialisé dans la vente de vaisselle, était installé à Charleston à partir de 1900.
Assiettes creuses |
Nous n'avons pas pu identifier le porcelainier à l'hirondelle.
Assiette-réchaud ou assiette bain-marie |
Comme de nombreuses porcelaineries, R. Leclair ne réalisait pas ses assiettes de base, blanches : il était décorateur dans les années 1950. Comme la décoration le laisse supposer, ces assiettes permettaient de garder au chaud la bouillie de bébé. Le bouchon en forme d'oiseau rappelle le dessin.
Coquetiers en porcelaine |
Compotier |
Ce plat sert à présenter des compotes, des fruits, des aliments sucrés, éventuellement des tasses à glace, ou encore des fleurs décoratives.
|
Jatte, compotier …? En faïence de Longchamp |
Les lettres R et C au centre de l'estampille sont les initiales de Robert Charbonnier et se retrouvent sur la production de 1880 à 1912.
Sous-coupes de tasses à café |
GDA, pour GERARD DUFRAISSEIX ABBOT, était fabricant et décorateur en 1900. L'entreprise a été créée en 1797 (voir Musée d'Orsay).
A côté de ces pièces disparates, nous disposons d'un service "presque" complet de Frédéric Legrand, porcelainier à Limoges. Vous ne le connaissez pas ? Et pourtant, vous utilisez encore la production de son entreprise. Dans un tout autre domaine…
En 1865, deux marchands de bois fondent un atelier de porcelaine de table à Limoges, aux bords de la Vienne. L'entreprise est rachetée en 1904 par F. Legrand, C. Alary et J. Joquel, mais prend le nom de LEGRAND, puis à partir de 1924 LEGRAND et Cie. Dès 1919, Legrand s'associe avec un fabricant d'interrupteurs électriques en porcelaine et buis, Jean Mondot. Jusqu'en 1949, porcelaine de table et instruments électriques sont fabriqués de concert. A la suite d'un incendie qui ravage les ateliers, "LEGRAND et Cie" se spécialise dans la production d'appareillage électrique et abandonne définitivement les arts de la table. Etonnante histoire !
Notre service date vraisemblablement des premières années de la société LEGRAND et Cie, soit entre 1924 et 1930 : 1924 correspond à cette nouvelle dénomination de l'entreprise, 1930 d'après les descendants des propriétaires de ce service dont nous avons fait l'acquisition.
Assiettes plate, creuse, à dessert |
Mise en place des couverts : A la Française. |
Mise en place des couverts : Mise en place des couverts : |
Assiette montée |
Soupière |
L'appellation "soupière" apparaît à la fin du XVIIIe siècle et remplace progressivement les termes de "pot à oille" et "terrine" utilisés pour le service de plats à base de viandes et de légumes.
Saladier |
D'abord ustensile de cuisine au XVIIe siècle, il devient plat déposé sur la table de la salle à manger au XVIIIe siècle.
Ravier |
Sans doute le plus petit plat, le ravier a de nombreuses autres appellations qui montrent les différentes utilisations que l'on peut en faire : plat à hors d'œuvre, jatte à hors-d'œuvre, bateau à hors-d'œuvre, bateau-citrons, bateau à raves, ravier-bateau, plateau à raves, hors-d'œuvrier.
Saucière |
Pot à jus, pot à sauce…, la saucière prend cette forme allongée au XVe siècle, en remplacement d'une bouteille.
Service à café : cafetière, pot à lait, sucrier, tasses |
Chapitre V : Ustensiles destinés au transport et à la distribution des liquides.
Pichets : 1 céramique plombifère ; 2 en grès |
Pichet en fer blanc |
Pichets en céramique et en fer blanc se retrouvent dans les classes les moins favorisées.
Petit pichet en étain |
Ce petit pichet est une curiosité. Malgré une contenance minimaliste, ses proportions sont remarquables, ses décorations simples mais efficaces. Faisait-il partie d'une série ? A-t-il un but décoratif ? S'agit-il d'un ustensile utilisé dans une église (burette) ?
Pichet en étain à balustre |
A noter pour ce pichet les initiales BM et le chiffre 3. Sans doute faisait-il partie d'une série. Sa forme est atypique, à rapprocher de celle des pichets à balustre, retrouvée notamment dans la production du Languedoc.
Série de pichets à épaulement en étain |
Les séries de pichets étaient des ensembles servant d'unités de mesure du vin. Sans doute existaient-ils au Moyen-Âge. Les formes et les volumes varient d'une région à l'autre. Au XVIIIe siècle, on distingue 3 groupes : les pichets à épaulement, les plus fréquents ; les pichets tronconiques ; les pichets à balustre, à panse arrondie ou plus ou moins sphérique. Ils sont également utilisés comme pots de cabaret et, en fin de soirée, comme "armes de combat, après boire", ce qui explique les nombreuses bosses que l'on voit sur certains d'entre eux. La Révolution uniformise ces pichets qui deviennent tous cylindriques, avec des dimensions très précises (voir notre article sur les instruments de mesure de volume).
Aiguière en étain h 17 Ø base 7,5 (lion debout) 95% |
Aux XVIe et XVIIe siècles, l'aiguière est associée à un bassin pour se laver les mains. A cette époque, la fourchette n'a pas encore trouvé sa place ; on porte les aliments à la bouche avec les doigts. La toilette postprandiale est donc indispensable. Il en existe deux modèles : l'un à corps ovoïde, gorge étroite ; l'autre, plus simple, à corps cylindrique, et muni d'un couvercle. Les deux font l'objet de superbes décorations en relief, une façon de montrer sa richesse. Si le deuxième modèle conserve sa destination première, le premier va être utilisé à table pour le service de l'eau et du vin ; au fil du temps, le décor s'allège, mais la forme évolue dans sa partie supérieure et prend l'aspect d'un casque à l'envers.
Bouteille à vin en étain |
Nous n'avons pas retrouvé dans notre documentation une bouteille de ce genre à bouchon vissé et de forme sensiblement tronconique. Sur le fond extérieur, on peut observer plusieurs lettres disposées curieusement, un écusson indiquant le pourcentage d'étain, un cartouche avec les initiales G T, et enfin une date 1760. Nous constatons, nous n'en déduisons rien…
Carafes en verre soufflé et gravé |
Ces carafes sont en verre soufflé : malheureusement, elles ne proviennent ni de Saint-Louis, ni de Baccarat !
|
Bouteilles en verre soufflé |
Ces deux bouteilles en verre soufflé sont vraisemblablement de la fin du XIXe siècle, tout début du XXe. Le verre contient des bulles dans son épaisseur et aucun raccord de deux moitiés moulées n'est visible contrairement aux bouteilles courantes actuelles. La bouteille en verre telle que nous la connaissons a été inventée en Angleterre en 1632. En 1723, la production débute à Bordeaux. Avec le verre de vitre, la bouteille était la spécialité des verreries de Rive-de-Gier durant le XXe siècle. Celles-ci ont aujourd'hui toutes disparu.
D'autres récipients annexes sont également utilisés :
|
Seau à glace en étain h 15 Ø 16,5 ETAIN 95 % |
Porte-huilier en bois, aux dragons |
Huiliers en métal poli nickelé |
L'huilier apparaît dans la deuxième moitié du XVIIIe siècle. Il comporte deux flacons pour l'huile et le vinaigre, avec, éventuellement, deux supports circulaires pour les bouchons et 2 ou 3 autres pour le sel, les épices.
Réchaud-veilleuse |
Appelé aussi réchaud-tisanière, veilleuse-théière, veilleuse à tasse…, il fut de plus en plus utilisé après la découverte de la porcelaine dure.
Ensemble cafetière, théière et sucrier sur plateau |
Après le café, quoi de meilleur qu'une petite prise de tabac ou un bon cigare dans le fumoir ou la bibliothèque.
Tabatière, avec le tabac d'époque (fin XIXe siècle) |
|
Coupe-cigare DONATUS SOLINGEN |
Ce coupe-cigare date des années 1950. Il était utilisé dans un grand restaurant étoilé de la vallée du Rhône.
Le tabac est importé en France vers 1550 par Jean Nicot, ambassadeur de notre pays au Portugal. Il en vente les valeurs thérapeutiques, notamment contre les fistules et les nausées. Il est consommé alors sous forme de poudre à priser préparée à partir de longues carottes moulinées. A l'image de rois et de reines du XVIIe siècle, la cour en fait une importante consommation. Pour son transport, les orfèvres et les tabletiers créent une petite boîte, la tabatière, qui devient un signe de bonnes relations sociales qui se passe de main en main et, surtout, une distinction de fortune et de savoir-vivre. Elles sont faites d'or, d'argent ornées de pierres précieuses, ou encore de bois, d'ivoire, de cornaline. Les formes sont très variées : géométriques ou rappelant des légumes, des fruits. Elles sont parfois le moyen de cacher des portraits ironiques ou amoureux. Devenues populaires après la Révolution, elles disparaissent avec l'apparition des cigares et des cigarettes. De son importateur, il nous reste la "nicotine" et, bien sûr, un produit de grande consommation toxique.
Et pour finir la soirée, une rasade de whisky sortie d'un récipient individuel.
Flasque à whisky en étain |
Chapitre VI : Mettre le couvert. Bienséances.
Il est temps de passer aux choses sérieuses : il faut d'abord "mettre la table" (tréteaux et plateau), puis "mettre le couvert" (argenterie, verres, décoration).
Comme on a pu le deviner dans les pages précédentes, la vaisselle de table n'est pas très diversifiée tant chez les Grecs que chez les Romains. Souvent commune à plusieurs convives, elle est composée essentiellement de gobelets pour boire, de plats à servir dans lequel chacun "pioche" allègrement avec ses doigts, éventuellement "pique" avec son couteau. Des écuelles individuelles permettent de consommer les bouillies, les potages toujours prêts dans le chaudron fréquemment consommés à tous les niveaux de la société : fermes et surtout châteaux ne sont pas bien chauffés. Disposer ces quelques ustensiles n'est donc pas soumis à un réel protocole.
Au Moyen-Âge, l'art de la table va commencer à se complexifier : tranchoir, gobelet et cuiller plus ou moins individuels, hanap et nef pour l'invité de marque ou l'hôte, avec coupes pour le sel, les épices…
Ensuite, chaque objet va occuper une place bien précise qui, au fil de siècles, deviendra le signe d'un certain savoir-vivre, notamment au niveau de la bourgeoisie du XIXe siècle qui ne fera que copier les us et coutumes instaurées aux XVIe et XVIIe siècle, précisées dans les dernières décennies de l'Ancien Régime. C'est ainsi que la fourchette se place à la gauche de l'assiette, pointe vers le bas en France, vers le haut en Angleterre : les armoiries et initiales gravées (dessus ou dessous, selon l'interprétation de chaque pays) sur la spatule sont ainsi visibles de part et d'autre de la Manche (même principe que la conduite à droite ou à gauche, avec un volant à gauche ou à droite !). Attention s'il y a plusieurs services : la fourchette de l'entrée se place à l'extérieur, celle du poisson, au milieu, celle du plat principal, près de l'assiette. Couteau, lame contre l'assiette, et cuiller sont placés à droite. Suivant les plats, l'ordre est le même, la cuiller étant toujours à l'extérieur. En cas de difficulté dans le choix, partir de l'extérieur vers l'intérieur ! Couteau, fourchette et cuiller à dessert tourne de 90° vers le centre de la table, donc en haut de l'assiette. Comme nous l'avons écrit plus haut, sous l'Ancien Régime, fourchon, cuilleron et lame pouvaient être orientés vers l'extérieur de la table et non vers l'intérieur, comme à notre époque. Ceci était dû soit à la position des armoiries, soit à la façon d'utiliser les couverts.
Les verres ont aussi chacun leur place, de droite à gauche : verre à vin blanc, verre à vin rouge, verre à eau légèrement décalé vers le centre de la table. Derrière, entre verre à vin rouge et verre à eau, le verre à Champagne. Au centre de la table, le surtout, la nef, les décorations qui évoluent au fil des siècles pour ne devenir qu'une décoration florale (voir plus haut) ou un chemin de table.
Détenir une belle vaisselle sur la table ou dans ses armoires, dressoirs ou autres meubles n'est pas suffisant. Il faut aussi du savoir-vivre, il faut savoir respecter des conventions, un certain protocole et ce, quel que soit l'âge… Là encore, l'évolution est frappante. Si les grecs étaient "sages", prônaient la modération tant pour les aliments solides que pour les boissons alcoolisées, il n'en était pas de même pour les Romains dont les repas se terminaient souvent en orgie. Au Moyen-Âge, tout change, sans doute sur plusieurs siècles. Dès le début du XIIIe siècle, des règles écrites sont enseignées aux jeunes nobles sur le comportement de chacun à table : écrites, cela veut dire qu'elles sont antérieures et le fruit d'observations, de relations humaines évoluant, de respect envers l'autre. Quelles sont les origines de ces nouvelles notions ? L'anthropologie seule peut répondre (ici, nous appelons à l'aide …). Nous empruntons quelques lignes d'un ouvrage de Danielle Buschinger : "Par exemple, quand on commence le repas on ne doit toucher des doigts rien d'autre que sa nourriture ; il ne faut pas manger de pain avant que soit servi le premier plat ; il ne faut ni parler ni boire la bouche pleine ; il ne faut pas regarder autour de soi pendant qu'on boit ; il ne faut pas se hâter de prendre dans le plat ce que son voisin a choisi ; si on a un voisin de table à sa droite il faut manger de la main gauche et vice-versa ; il ne faut pas mettre sa main dans le plat en même temps que son voisin". Si cela est évident à notre époque (encore que…), ce texte prouve que cela ne l'était pas au Moyen-Âge. Toujours dans le même ouvrage, l'auteur nous donne des extraits d'un manuscrit de 1393. Nous en reproduisons ici une toute petite partie :
- ne pas utiliser la même cuillère que le voisin pour puiser dans un même plat,
- ne pas faire de bruit avec la bouche,
- ne pas remettre dans le plat commun un morceau qu'on aurait entamé,
- ne pas se moucher dans la nappe, ne pas boire la bouche pleine,
- quand on coupe le pain ne pas appuyer la miche sur le ventre ou la poitrine comme une faible femme,
- ne pas souffler sur les boissons ni sur les plats,
- s'essuyer la bouche avant de boire,
- ne pas mettre le doigt sur la lame du couteau en coupant, ne pas se coucher sur la table,
- ne pas se curer les dents à table,
- ne pas se moucher à table et surtout ne pas s'essuyer le nez avec la main,
- ne pas saucer le plat commun avec du pain,
- ne pas se servir dans un plat en même temps qu'un autre,
- il vaut mieux avoir encore faim que de trop manger, ne pas trop boire.
… (voir le lien dans la bibliographie).
Ces prescriptions semblent avoir été respectées tant bien que mal, en fonction de l'origine des convives, de l'environnement familial, du lieu et de la cause des banquets…
En 1703, J.B. de la Salle (1651 – 1719) rédige un ouvrage décrivant "Les règles de la bienséance et de la civilité chrétienne".
L'auteur : prêtre et théologien, à l'origine des Frères des Ecoles Chrétiennes, il s'inspire, notamment, des Ecritures : " La vraie politesse naît d’un cœur respectueux de la dignité des autres".
Le livre de 200 pages : Véritable best-seller, il fait l'objet d'une trentaine de rééditions durant le Siècle des Lumières avec quelques évolutions. La dernière édition, la 126ème, date de 1875. Tous les domaines du comportement humain en société y sont abordés : maintien du corps (de la pointe des cheveux aux ongles des pieds, en passant par les dents, les genoux…), l'habillement, l'hygiène…et, bien sûr, la façon de se tenir à table. Il serait difficile de résumer les 45 pages consacrées à ce dernier sujet et nous conseillons le lecteur intéressé à se reporter dans la bibliographie virtuelle, de cliquer sur le titre du livre (édition posthume de 1736 - téléchargeable) et de découvrir ce véritable chef-d'œuvre de la bienséance, tout-à-fait valable encore de nos jours, même si nos modes de vie ont fait évoluer (à tort ?) certains points. Pour donner une idée de l'étendue de ces conseils, voici tout de même les têtes de chapitre :
Chapitre IV : De la nourriture
Art. I Des choses que l'on doit faire avant que de manger, du laver des mains, de la bénédiction de la table & de la manière de s'y asseoir.
Art. II Des choses dont on doit se servir lorsqu'on est à table.
Art. III De la manière dont on doit inviter, demander, recevoir, ou prendre à manger lorsqu'on est à table.
Art. IV De la manière de couper & de servir les viandes, & de servir soi-même.
Art. V De la manière de manger, pour le faire honnêtement.
Art. VI De la manière dont on doit manger le potage.
Art. VII De la manière dont on doit servir, prendre & manger le pain & le sel.
Art. VIII De la manière dont on doit se comporter à l'égard des os, de la sauce, & du fruit.
Art. IX De la manière dont on doit demander et recevoir à boire, & boire lorsqu'on est à table.
Art. X De la sortie de table, et de la manière d'y servir et desservir.
Que peut-on demander de plus, même si certains aliments aujourd'hui très appréciés, ne sont pas évoqués ?
Toutes ces recommandations concernent l'adulte. Le Larousse ménager de 1926 pense qu'il ne faut pas attendre et que, dès l'enfance, il faut acquérir de bonnes manières : " Il est indispensable de les acquérir dès le jeune âge. On apprendra, par exemple, aux enfants à se servir adroitement de leurs couverts, à mastiquer sans bruit, à ne pas boire la bouche pleine, à ne répandre ni potage, ni sauce, ni boisson sur eux ou sur la nappe. On leur dira également de ne rien casser avec les dents, de ne se servir du couteau ni pour rompre le pain, ni pour manger poissons et légumes, de ne pas saucer leurs assiettes, ne pas ronger les os etc."
La table est prête. Les hôtes ont revêtu leurs plus beaux habits. Les invités arrivent. Il est temps d'appliquer ces bonnes recommandations pour un repas servi par les domestiques. Là encore, ce service va évoluer au fil des siècles : c'est le sujet du prochain chapitre.
Chapitre VII : Le Service
Ce chapitre concerne les personnes habilitées à servir les mets et la façon de présenter ces mets. Nous décrivons ici des règles générales, suivies avant tout à la Cour de France : rentrer dans le détail est impossible tant les auteurs s'ingénient à donner des précisions sur toutes les questions concernant ce sujet. En province, elles n'arrivent que plus tard et ne sont pas toujours appliquées à la lettre.
Chez les Grecs et les Romains, le service est effectué le plus souvent par des esclaves. On peut penser que certains d'entre eux pouvaient être affranchis, mais rester au service de leur maître.
On retrouve cette double origine au haut Moyen-Âge. L'esclave est devenu serf. Celui-ci, par son comportement, ses qualités, ses dons voit évoluer ses rapports avec son maître. A terme, le serf peut être affranchi et devenir son propre maître dans divers métiers, notamment dans le service de la table : on retrouve là en bien des cas l'origine des métiers artisanaux. Dans les Grandes Maisons, surtout royales, le responsable du service est le sénéchal. L'étymologie de ce mot est germanique : il signifie "serviteur le plus âgé". Il fait partie de la noblesse. Suivant le lieu, ses fonctions sont variables : militaires, financières, voire judiciaires. Au XIIe siècle, il est aussi serviteur de la table du roi, responsable du ravitaillement et du service. Viennent, ensuite, l'écuyer tranchant chargé de découper les viandes, l'échanson tenu d'approvisionner et de servir le vin, le personnel des cuisines, queux ou maître-queux, cuisiniers de second rang, valets ou laquais.
En ce Moyen-Âge, "on corne l'eau" : les invités sont ainsi sollicités pour se rendre à table. Après s'être lavé les mains avec, de préférence, une eau de rose contenue dans une aiguière, ils "se mettent à table". Les places sont préétablies et tiennent compte de l'importance - sociale surtout, financière aussi…- du quidam. Lorsque tous les convives sont installés, vient le défilé, ordonnancé par le sénéchal, des cuisiniers, des valets qui présentent les mets entiers dans des plats. La présentation joue un grand rôle : "Ainsi, la tourte parmérienne, un hachis de porc (ou de mouton) et de poulet fortement épicé et parfumé aux raisins de Corinthe, se présente comme un château fort crénelé, les cuisses du poulet formant les tours, les armoiries du convive ou sa bannière dorée couronnant le tout" (A. Rowley). Les oiseaux, en particulier le faisan, le paon, le cygne sont servis tantôt cuits "reconstitués", tantôt vivants - les faisans ! - sous une pâte dont ils sont libérés devant la tablée ravie. Les plats sont ensuite remportés en cuisine pour la découpe des rôtis qui peut aussi se faire sur une desserte devant l'assistance. Chacun peut alors se servir suivant la préséance, avec son couteau ou ses doigts : les derniers ne sont pas toujours servis et s'ils ont tout de même cette chance, le plat n'est plus très chaud.
Les festins son souvent accompagnés de divertissements : ménestrels, troubadours du sud, trouvères du nord, musiciens et conteurs, jongleurs, danseuses, mais aussi, après le repas, jeux de dés, d'échecs, danse en couple ou collective (bassedanse, carole, ductia, estampie…). Si le rythme de ces danses est connu par les partitions retrouvées, on ignore généralement les mouvements que devaient effectuer les danseurs.
Cette présentation théâtrale, à table et sur la scène, perdure au XVIe siècle, même si la découverte du nouveau continent et l'imprimerie permettent de nouveaux échanges, tant au niveau des "matières premières" que de la façon de s'en servir. Le véritable changement se produit au XVIIe siècle grâce à l'évolution des goûts. Le défilé des volailles et autres gibiers disparaît au profit d'une décoration de la table à l'aide de sculptures pérennes ou provisoires : nef, surtout, rafraîchissoir en tôle, cuivre ou céramique, jardinière, mais aussi sculpture en sucre.
Le sénéchal qui devient le "maistre d'hostel" est le véritable organisateur ou, mieux, ordonnateur du banquet : il compose les menus, choisit le personnel, gère les finances, approvisionne au meilleur rapport qualité-prix garanti pour au moins 1 an, auprès de fournisseurs attitrés. Dans certains cas, il peut même désigner les invités qui auront le droit de consommer tel ou tel plat. Ces responsabilités font qu'il est plus payé que tous les autres membres du personnel de la table. On connaît l'histoire de François Vatel, maître d'hôtel du prince de Condé qui, en 1671, préféra se suicider plutôt que de ne pouvoir servir à l'heure des fruits de mer qui n'avaient pas été livrés à temps. Par son geste il gâcha "une fête de cinquante mille écus" !
"Il est tres-necessaire que le Maistre d'Hostel voye ce qui se passe dans les grands Festins, afin qu'il controle en son particulier, ce qu'il trouvera ne se pas accorder à son sentiment; & aussi qu'il y apprendra toûjours quelque nouveauté. Pour l'ordre qu'il doit tenir en la dépence, il scaura la volonté de celuy qui veut traitter, & ce qu'il voudra dépencer ; et reglera si bien son affaire, qu'il faut que les pièces de Viande que le Rotisseur fournira, ne se montent à plus haut prix d'Argent, que le tiers de tout le Festin ; et surtout il sera soigneux de faire des memoires bien au net, et qui s'expliquent bien, ainsi que j'ai dejà dit ci-devant". (Nicolas de Bonnefons, Les délices de la Campagne, 1654).
La table peut être rectangulaire, ronde ou ovale. Le centre est occupé par une décoration (voir plus haut). A partir de celle-ci, les plats sont disposés de façon symétrique : potages différents, rôtis différents, légumes différents, poissons différents, mais toujours placés de part et d'autre du centre de la table. Le repas comprend plusieurs services, de 3 à 8 ou 9 et plus suivant les moyens de l'hôte. Chaque service est subdivisé en séries de plats, là encore en nombre variable. A chaque service arrivent donc simultanément de 15 à 20 plats qui ne restent qu'une vingtaine de minutes sur la table ; l'ordre d'arrivée a été établi par le maître d'hôtel qui en surveille l'exacte réalisation. Chaque plat vide est immédiatement remplacé. A chacun de faire son choix pour en goûter 2 ou 3, encore à peu près chauds. Pour ceux qui sont un peu éloignés du plat désiré, leur voisin ne manque pas de leur faire passer le plat convoité : la courtoisie est de mise. On est là en présence du "Service à la française" qui s'impose dans toute l'Europe.
"Le Maistre d'Hostel observera plusieurs sujettions nécessaires; En premier lieu, il servira toujours du costé droit, s'il se peut, à cause de la commodité de la main qui pose les Plats; En second lieu, il luy faut un aide pour desservir de l'autre costé, lequel ne lèvera qu'à mesure qu'il servira, & ne lui laissera que quatre places de vuides; En troisième, il ne posera jamais un bassin chargé de grosses viandes devant les personnes plus considérables, à cause qu'il leur boucheroit la veuë du service & que cette personne seroit obligée de dépecer pour présenter aux autres; Et en quatrième lieu que les Plats soient si bien disposez, qu'il y en ait des forts & des foibles, d'un costé et d'autre, à distance égalle, autant qu'il se pourra, meslangeant si bien son Service, qu'il semble qu'il n'y ait pas de Plats doubles, par éloignement l'un de l'autre et par le changement de costé."(Ibid.)
"Le Maistre d'Hostel donnera ordre que l'on change le Assiettes au moins à chaque Service; et les Serviettes de deux en deux. Pour desservir, il commencera à lever par le bas bout; & à mesure, son Second levera les Assiettes, les Sallieres, & tout ce qui sera sur la Table, à la Nape près; finissant par le haut bout, où il donnera à laver, pendant que son Second jettera la Serviette, & il descendra jusqu'au bas bout, rechangeant de Bassin si il est trop plein". (Ibid.).
La fréquence des changements peut varier suivant l'auteur : A chaque mets, assiettes et couverts sont changés car "il n'est pas honnête de présenter à son voisin une assiette sale pour lui demander d'un plat".
Le service ne peut être fait que par des gentilshommes. L'écuyer tranchant a la lourde tâche de découper devant les convives volailles et rôtis qui ne l'ont pas été en cuisine. Les valets sont chargés d'enlever les assiettes salles et de les remplacer par des propres pour le mets suivant. Les boissons, le vin en priorité, parfois la bière, sont apportées de la cave par le sommelier ; le groumet les goutte ; l'échanson les sert. Les femmes n'ont pas leur place dans ce service : elles ont juste un rôle de petites mains dans les cuisines. Il faut attendre le XIXe siècle pour les voir acceptées au service des maîtres de maison, essentiellement dans la bourgeoisie née de la Révolution industrielle.
Le maître d'hôtel a également pour charge l'organisation des divertissements pendant et après le repas : musique de chambre qui perdure jusqu'au début du XIXe siècle, spectacle de danses - Le Roi Soleil et quelques nobles accompagnent des professionnels.
A la fin du repas, les convives se lavent à nouveau les mains : même si les doigts ont été essuyés à l'aide d'une serviette après avoir saisi les mets, ce passage par le bassin et l'aiguière est indispensable. L'utilisation de la fourchette supprime cette ultime étape.
La soirée se termine par une pièce de théâtre, des jeux de société (jeux de carte, d'argent, trictrac, jeu d'improvisation poétique, de conversation…), des danses en couple ou collective des convives et ballet (branles, bourrée, courante, gavotte, menuet, pavane ; quadrille des lanciers à partir de 1868, quadrille américain en 1877 à 4 couples…), feux d'artifice, promenade dans les parcs.
La Révolution française de 1789 va modifier considérablement ce type de service. Nombre de maîtres d'hôtels et de cuisiniers vont s'exiler ou plus simplement travailler pour eux-mêmes en ouvrant des restaurants où chacun pourra manger à sa guise et selon ses moyens. Le service à la française n'est pas compatible avec ces établissements, simplement pour un problème de facturation. Par ailleurs, le grand nombre de plats servis en même temps dans ce service nécessite de grandes tables : il n'est pas rare que les convives soient obligés de tenir leur assiette ou de la poser sur leurs genoux.
Le "service à la russe" venu, semble-t-il, d'Outre-Manche va s'imposer : les plats ne sont plus tous disposés sur la table au même moment, mais apportés au fur et à mesure de leur consommation. Quelle que soit sa place, tout convive est sûr de goutter chacun d'eux. Leur nombre est en forte diminution : santé et hygiène obligent dans ce nouveau siècle. Ce service permet aussi de revenir aux présentations médiévales des mets avec une mise en scène programmée sur un guéridon : présentation, découpe, flambage sont un spectacle. Il semble s'installer définitivement dans les années 1870 (Almanach Hachette). Depuis le XVIIe siècle, chacun dispose d'un verre. Le vin se sert à droite et le cru est nommé. Quand on ne décante pas dans des carafes les bouteilles de vin vieux et de grand cru, on les couche dans une petite corbeille d'osier pour qu'elles conservent leur position horizontale et que leur dépôt ne se mélange pas (AH 1897). "Si l'ordre des comestibles est des plus substantiels aux plus légers, l'ordre des boissons est des plus tempérées aux plus fumeuses et aux parfumées… Prétendre qu'il ne faut pas changer les vins est une hérésie ; la langue se sature, et après le troisième verre, le meilleur vin n'éveille plus qu'une sensation obtuse." (Brillat-Savarin)
Tout ce que nous venons de voir concerne essentiellement la classe dirigeante : aristocratie, clergé près du pouvoir, bourgeoisie. Qu'en est-il du petit peuple ? A vrai dire, les historiens ne se sont pas vraiment penchés sur cette question. Il semble qu'au fil des siècles, le service n'a guère changé, au détriment des femmes, "destinées" au service des hommes. Elles mangent après les avoir servis, restent souvent debout, en retrait. C'est l'image que l'on tire des nombreux tableaux réalisés jusqu'au XIXe siècle (Lhermitte, Millet, Caillebotte, Pissaro, Courbet…). Encore faudrait-il faire la distinction entre les familles des villes et celles de la campagne. A quoi attribuer cette domination masculine ? Nous sommes incapables de répondre en quelques mots à cette question : les motifs sont certainement très nombreux et relèvent, pour certains, d'une tradition paysanne très ancienne (mais pas seulement, car on la retrouve malheureusement en bien d'autres domaines). Les véritables changements n'apparaîtront que dans la deuxième moitié du… XXe siècle. Etait-ce très différent en ville ?
En ce qui concerne les divertissements à l'issue des repas, l'iconographie nous donne là encore quelques renseignements (en particulier, Brueghel l'ancien). On retrouve la musique (souvent du violon) et la danse : branle, bourrée, courante et surtout farandole. Les couples sont beaucoup plus enjoués, moins empruntés, plus vivants que les aristocrates. Les jeux de dés et de cartes sont également utilisés. Finalement, riches ou pauvres, les distractions sont sensiblement les mêmes. Mais comme nous le verrons dans le prochain chapitre, malgré quelques points communs à certaines époques, les aliments ne sont pas comparables suivant le niveau social.
Chapitre VIII : Les mets
Nos lointains ancêtres vivaient de la chasse et de la cueillette consommées crues avant la découverte des bienfaits du feu. Leur alimentation change avec leur sédentarisation : on passe à l'élevage et à la culture, en quelques milliers d'années. Ne tenant compte que des civilisations qui ont fortement influencé notre culture, nous voilà arrivés chez les Grecs et les Romains qui n'hésitèrent pas à prendre ce qui était bon dans d'autres pays, notamment au Moyen-Orient. Suivant la situation géographique, près de la mer ou de la montagne, région ensoleillée ou froide, cette alimentation change bien évidemment. D'où la difficulté d'en parler en quelques lignes.
Les Grecs font 3 repas, matin, midi et soir. Le matin : pain, olives, fromage, fruits, avec un vin dilué ; à midi, des fruits, des olives ; le soir, le repas est plus consistant, mais variable suivant le niveau de richesse. Les viandes consommées sont des volailles ou des oiseaux (poules, canards, oies, perdrix, pigeons..., du gibier (chevreaux, lièvres) ou encore des animaux d'élevage (porc, mouton, voire chèvre ou bœuf...). Chez les moins favorisés, il faut se contenter du produit de la chasse ou du braconnage, les jours de fête. Saucisses et boudins se trouvent plus ou moins fréquemment sur toutes les tables. Les œufs proviennent de la basse-cour et sont consommés seuls ou dans des plats. Autre apport de protéines : le poisson tantôt mangé comme substitut de la viande, tantôt mets de choix. Toutes les espèces sont consommées de même que les crustacés et autres produits de la mer. L'accompagnement est constitué de légumes frais : choux, oignons, ail, laitue ou secs : lentilles, fèves, pois chiches…, présentés en bouillie ou purée, arrosés d'huile d'olive, de vinaigre, décorés par quelques olives, parfumés par des plantes aromatiques du soleil (thym, origan, basilique…). Le pauvre se contente de glands. Les modes de cuisson sont très variés : bouillies, grillades, fritures, brochettes… : le XXe siècle n'a rien inventé ; seul les ustensiles ont changé.
Le lait est consommé liquide par les paysans ou transformé en fromage par tous, souvent avec de l'huile d'olive ou du miel. Figues, raisins, pâtisseries amandes terminent le repas. Derniers éléments à la base de la nourriture grecque : les céréales (blé, orge, épeautre) présentés en bouillie, en pain ou en galette. L'eau est la boisson la plus consommée, parfois additionnée de miel qui joue le rôle du sucre, mais le vin est bien présent, surtout les jours de fête. Nous en reparlerons.
Pour en terminer, il faut noter que les Grecs sont généralement sobres, ce qui ne les empêche pas forcément d'être en état d'ébriété avancé.... Femmes et hommes mangent séparément, dans des pièces ou à des heures différentes. Les banquets sont offerts aux dieux, Zeus ou Dionysos, "dieu de la vigne, du vin et de ses excès", ou aux militaires vainqueurs. Ils se déroulent en deux temps : d'abord, la consommation des aliments proprement dits, puis la consommation de vin dilué dans de l'eau durant le sympósion où s'activent acrobates, danseuses et courtisanes.
Cette modération et cette relative sagesse des Grecs vont disparaître avec les Romains. Ceux-ci prennent également trois repas par jour, le troisième étant le plus important, commencé en milieu d'après-midi. Les aliments de base restent à peu près les mêmes. Une terre plus fertile et moins sèche permet de cultiver d'autres légumes : poireaux, bettes, concombres, panais accompagnées de sarriettes, de coriandre, de fenouil, de câpres et d'autres encore très utilisées de nos jours. Outre les plantes aromatiques, les Romains utilisent le garum comme condiment : une préparation à base de poissons et d'entrailles de poisson, à odeur très prononcée et très appréciée dans tous les plats, salés ou sucrés… Les viandes sont chères donc rares, mais identiques à celles des Grecs, servies surtout au cours des fêtes publiques ou religieuses. Le porc et l'agneau ont une place prépondérante chez le particulier riche : déjà à l'époque, on peut dire que dans le cochon, tout est bon, et, de fait, toutes les parties sont consommées. Volailles, oiseaux de basse-cour et gibier (lièvres, sangliers, loirs) font l'objet d'élevages très lucratifs, de même que le foie gras d'oie. Après les conquêtes, les animaux exotiques trouvent leur place sur les tables romaines : girafe, ours, autruche, flamant rose…Les escargots sont très appréciés. Les œufs sont consommés à la ferme ou vendus à la ville. Les aliments frais sont rares. La conservation des viandes, mais aussi des légumes, se fait, tant bien que mal, par salage, fumage, séchage, marinage : les condiments, les herbes sont là pour masquer les odeurs. Les produits de la mer ne font leur apparition que tardivement, chez les plus riches : poissons, mais aussi crustacés, huîtres, oursins. Laitage (chèvre ou brebis), fromage salé ou parfumé à l'aide de plantes aromatiques sont consommés sur place par les paysans. On retrouve le même attrait pour les céréales (bouillie pour les plus pauvres, agrémentée de fromage de chèvre et de légumes ; surtout, le pain vendu dans de nombreuses boulangeries), l'huile d'olive et le miel qui constituent la base de l'alimentation quotidienne. Avant notre ère, les fruits sont ceux des pays méditerranéens, en particulier les figues et les dattes, mais aussi poires, pommes, raisins, prunes. Citron, abricot, pêche ne viennent que plus tard. Quant aux pâtisseries, elles sont souvent à base de fromage, de miel, de graines de pavot. L'eau est consommée en priorité, mais le vinaigre dilué et surtout, le vin, celui de Naples ou de Rome, ne sont pas dédaignés. Pour faire vieillir celui-ci au plus vite, on le conserve au grenier. Une autre boisson à base de plantes (sureau, menthe, thym) a leur faveur dans la journée.
Si le Romain est devenu gourmet, il ne néglige pas pour autant la présentation : pâtés de viandes, de poissons, de fromages, pâtisseries prennent la forme des moules entreposés sur les étagères de la cuisine. Femmes et hommes partagent le même repas dans le triclinium. Les esclaves participent aux repas. Le tout dans une abondance de vins. Le sympósion existe : il est devenu le "comissatio" (= partie de plaisir, orgie !). Tout cela, bien sûr, chez les plus riches. Le petit peuple prend ses repas quand son ventre crie famine : saucisse, pois chiche achetés chez le marchand ambulant. A noter, enfin, que de la création de Rome au début de notre ère, l'alimentation ne change guère. Elle évolue vers plus de finesse et de variété à partir de la fin du 1er siècle, sans doute au contact de certains des peuples conquis.
A la chute de l'Empire romain d'Occident, en 476, les envahisseurs venus de l'Est adoptent le mode de vie des peuples gallo-romains avec, toutefois, une évolution au niveau de l'alimentation qui va s'opérer sur plusieurs siècles. Si les mets sont sensiblement les mêmes sur le plan qualitatif : légumes suivant la région, viandes, laitages, fruits et miel, il semble que la consommation des viandes (le porc en priorité, le lard mangé de préférence cru ; basse-cour ; gibier : la chasse est autorisée pour tous jusqu'au IXe siècle) et des poissons soit beaucoup plus importante, surtout pour les hommes d'armes. Le beurre a désormais une place prépondérante au niveau du petit peuple. Les gouts ne sont pas toujours les mêmes : le bouilli est préféré au rôti ; les deux modes de cuisson peuvent être combinés : les viandes sont bouillies, puis rôties ! Et pour l'aromatisation, on utilise poivre, clous de girofle… De nouvelles recettes apparaissent : sauce mousseline, mayonnaise, sauce tartare, crème anglaise, œufs à la neige, quenelle soufflée, mousseline de brochet… Ces recettes sont données par un médecin grec, Anthime, dans un livre de diététique, et un certain Vinidarius, ostrogoth d'origine, dans un livre de recettes : nous sommes à la fin du Ve siècle, début du VIe. Paradoxalement, le bœuf et la vache ne sont pas particulièrement appréciés : ils servent surtout aux travaux agricoles et sont consommés par le petit peuple sous la forme de bouillon lorsqu'ils ne sont plus actifs. Le vin est mélangé avec du miel ou des épices. La cervoise, une bière sans houblon, devient la boisson préférée. C'est à la fin de cette époque que le pain prend toute sa place et va reléguer au second rang la viande, du moins dans les milieux les plus pauvres : seigle, avoine, épeautre au nord, orge, mil au sud. Le pain blanc est réservé aux riches. Le plus courant est le pain de méteil (blé et seigle) ; d'autres sont à base de farine de glands.
Du Ve au Xe siècle, on peut considérer que la cuisine romaine a été assimilée par les envahisseurs qui ont su, cependant, apporter certaines de leurs habitudes alimentaires comme l'alimentation carnée, la cervoise et la position assise, non plus couchée, pour manger. Cette alimentation est variée, les cuisiniers sont inventifs, le petit peuple mange de façon équilibrée. L'arrivée dans le deuxième millénaire s'accompagne d'un comportement bien différent, au détriment des moins favorisés. Certaines recettes disparaissent complètement : on ne les retrouvera qu'au XVIe, voire au XVIIIe siècle.
Commune aux riches et aux pauvres, la soupe est prête à toute heure et tous les jours. Sa composition varie en fonction de la saison et des moyens financiers : oignons, orties, fèves, haricots dans un bouillon de volailles ou simplement de l'eau, le tout versé sur une tranche de pain, blanc ou noir.
La religion chrétienne joue en ce Moyen-Âge médian une grande importance dans le comportement alimentaire : un jour sur trois est jeûné ; la viande n'y a pas sa place et est remplacée par le poisson, parfois les œufs. Pour les plus riches, un ordre croissant est établi pour les aliments à partir des 2 premiers éléments fondamentaux : terre (sous-terre/sur-terre), air (plantes plus ou moins hautes ; oiseaux). A côté de la qualité, il y a la quantité. De même que les meubles et la vaisselle sont des signes de richesse, de même la quantité de mets absorbés reflète l'importance du convive, au détriment, comme nous l'avons déjà dit, des moins élevés dans la hiérarchie qui n'ont pas toujours de quoi se restaurer.
Comme nous l'avons découvert dans le chapitre précédent, le repas est constitué d'une suite de services, eux-mêmes comportant plusieurs plats. Le premier est composé de fruits, de beignets, de saucisses, de boudins arrosés de vin doux ou aromatisé. Le deuxième service correspond aux potages, c'est-à-dire aux mets cuits dans des pots : porc, volailles, gibiers avec sauces et légumes. Le troisième comporte des viandes grillées : de la volaille de basse-cour au grand volatile en passant par le gibier… Le quatrième est réservé aux viandes mijotées et aux poissons toujours accompagnés de légumes, de céréales, de purées. Le repas se termine avec fromage, certains fruits, compotes, tartes, oublies… Epices d'Orient (gingembre, cannelle, clou de girofle, safran, poivre, graines de paradis) et plantes aromatiques (thym, laurier, ciboulette, estragons, romarin…) sont largement utilisées, apportant goûts et couleurs aux plats en sauce.
Cuisinier de talent, Guillaume Tirel, dit Taillevent, dès le XIVe siècle, indique la façon d'accommoder les mets dans son livre Le Viandier. Le Fait de Cuisine, rédigé au début du XVe siècle par Amiczo Chiquart, est le premier (et peut-être le seul) livre à décrire le meilleur des banquets à cette époque, à l'usage des cuisiniers des grandes maisons d'Europe. De cette époque, on connaît également le Ménagier de Paris qui comprend tout ce que doit connaître et faire une jeune épouse pour le bien-être de sa famille, y compris quelques recettes de cuisine. Ces documents et quelques autres vont aboutir progressivement à une internationalisation de la gastronomie. Des maîtres-queux vont passer de cour en cour, apportant leur savoir, enrichissant leur savoir. C'est ainsi qu'en France, au XVe siècle, avec quelques décennies de retard, les cuisiniers commencent à utiliser le sucre pour atténuer le goût acide de certaines sauces.
Pour les plus pauvres, le pain devient l'aliment de tous les repas en lieu et place de la viande : avoine, seigle, millet, sarrasin, suivant les régions. Avec les légumes, il constitue les deux tiers des repas. Le pain noir (seigle) est généralement trempé dans la soupe de légumes (toujours les mêmes, frais ou secs). Il peut être remplacé par des châtaignes. Le poisson, frais ou plutôt salé, fumé (anguille, carpe, saumon ; hareng et morue près des côtes) est toujours consommé les jours de jeûne ; il peut être intégré dans la soupe. Suivant la saison, quelques fruits et plantes herbacées sauvages viennent compléter ce repas frugal. Pour les moins pauvres, les volailles de la basse-cour, les tranches de lard, les œufs, le fromage sont invités à table, surtout les jours de fête : le porc est sacrifié entre la Toussaint et Mardi-gras lorsque la bête ne trouve plus sa pitance sous les chênes ; le froid permet aussi une meilleure conservation. Les morceaux les moins nobles et moins énergétiques sont consommés frais ou salés durant ces mois d'hiver. Lorsque les travaux des champs reprennent, les meilleurs morceaux sont sortis du saloir, consommés ou vendus sur le marché. Le braconnage permet d'améliorer l'ordinaire. Et pour terminer le repas, quelques fruits frais (pommes, poire) ou secs (noisettes, noix, pommes tapées) alternent avec de rares pâtisseries (confiture au miel, tartes). A l'initiative des moines, le vin revient sur les tables. Le cidre et le lait, caillé ou non, sont très appréciés. L'eau est souvent contaminée, source de maladies infectieuses. L'alimentation est déséquilibrée, mais permet de travailler aux champs. Un dernier point : en ce Moyen-Âge, le monde paysan est soumis plus que tout autre à l'environnement : les guerres nombreuses et non respectueuses des récoltes, les intempéries à l'origine de disettes ou de famines, les épidémies de peste ou de choléra, les impôts démesurés… Il n'est pas au bout de ses peines et il faudra attendre la deuxième moitié du XXe siècle pour que son sort s'améliore vraiment (et encore, on peut avoir parfois des doutes !).
Le Moyen-Âge se termine, vive la Renaissance. En matière de gastronomie, si les grands principes sont conservés, (du moins au début du XVIe siècle : abondance, services très nombreux, premiers mélanges salés/sucrés en France …), des découvertes vont ouvrir de nouvelles voies aux grands cuisiniers. L'imprimerie permet la diffusion des idées et des expériences ; l'exploration des Amériques (entre autres) apporte à l'Europe des mets jusque-là inconnus ; l'inventivité autorise de nouvelles préparations qui engendrent une modification des goûts. C'est ainsi que le Viandier, s'il est imprimé à plusieurs reprises, est modifié d'une édition à l'autre pour tenir compte de ce changement (le sucre a plus d'importance, parfois trop ; épices et plantes aromatiques ne sont plus utilisées en excès), de l'apparition de nouveaux légumes (des cucurbitacées comme le concombre ou le potiron), d'un certain esprit scientifique qui impose de nouvelles modalités de cuisson (durée, pesée et proportion entre les aliments, mode de chauffage…). Ces changements sont à l'origine de livres de recettes dès la deuxième moitié du XVIe siècle. Ils sont également source de polémiques entre cuisiniers, entre médecins : c'est le cas, notamment, pour le sucre conseillé par les uns pour son rôle dans la digestion, honni par les autres qui en font un poison. On peut désormais parler de diététique. La conséquence en est une diminution relative de la quantité au profit de la qualité ou plutôt de la finesse des plats proposés. La décoration ne se retrouve pas au niveau des mets (oiseaux reconstitués…), mais sur la table avec argenterie, surtout, nef (voir plus haut). Autre grande nouveauté : le beurre acquiert petit à petit ses titres de noblesse. Jusque-là, il n'est utilisé que par les paysans, moins cher que l'huile d'olive et plus facile à obtenir à la ferme, surtout dans le nord de la France. Des rivalités religieuses entre catholiques et protestants vont faire changer l'appréciation de ce produit laitier auprès de l'aristocratie qui, dès le siècle suivant, ne voudra plus de l'huile, non plus que du saindoux, pour faire cuire la plupart des aliments.
Le Grand Siècle va réserver des surprises et de grands changements. Grand Siècle, il le fut pour la littérature, la peinture, la musique, les sciences… Pour la gastronomie, il eut "ses hauts et ses bas", suivant les années, suivant le niveau social.
Les "bas" concernent le petit peuple : le pain reste toujours l'aliment de base, mais les disettes et les famines du Moyen-Âge sévissent toujours provoquant une hausse des prix incompatible avec les revenus des paysans, des artisans, des ouvriers. Pas de froment et de pain blanc : seigle, millet, orge, riz, avoine, châtaigne donnent des farines nourrissantes. Le pain noir est accommodé avec des œufs, de la moelle, du fromage ou simplement du beurre. Le vin et la bière accompagnent ces maigres repas, faisant oublier pour un temps la faim et donnant du courage à l'ouvrage. Quant aux nouveaux légumes rapportés d'Amérique au XVIe siècle par les conquérants, ils n'inspirent pas confiance : la pomme de terre est sensée propager la lèpre, la tomate engendrer des troubles gastriques.
Les "hauts" se retrouvent tout au long du siècle dans les classes aisées. Encore que…! En réalité, les goûts changent. On ne cherche plus à consommer de très grandes quantités d'aliments (tout est relatif, en ce siècle et en cette matière !), on cherche à retrouver le goût grâce à des cuissons plus courtes, à une préparation sans ajout d'épices qui dénaturent la saveur originelle (on retrouve ici certaines aspirations de nos grands chefs du XXIe siècle !). Les services restent toujours hors de proportions par rapport à nos habitudes alimentaires actuelles : plus de 15 plats pour un service n'a rien d'étonnant ; il s'agit, en réalité, d'offrir un choix à chacun qui n'en déguste que 2 ou 3. Ces plats ne sont mis à disposition que quelques minutes, ce qui permet de les manger chauds. Quant aux restes, ils ne sont pas perdus pour tout le monde et sont à l'origine des métiers de regrattiers et de pourvoyeuses de restes qui revendent ces "regrats" à bas prix aux moins favorisés. A noter que si le maître de maison ou l'hôte de marque est placé de telle façon qu'il a accès direct à tous les plats, il n'en est pas de mêmes pour tous les convives. Les plus éloignés d'un plat désiré doivent compter sur la courtoisie de leurs voisins. L'ordre des services est également changé : on commence par le salé pour finir, après le fromage, par le sucré des fruits ou des entremets. Les maîtres-queux s'obligent à tenir compte de la saison, du lieu pour s'assurer de la fraîcheur des produits (déjà …!). Au milieu de ce XVIIe siècle, deux français résument ce besoin de renouveau de la gastronomie : le cuisinier François-Pierre de la Varenne, dans "Le cuisinier françois", et l'agronome Nicolas de Bonnefons, dans "Le jardinier françois", suivi par "Les délices de la campagne". En marge de cette évolution vers le naturel, l'esthétique garde toute sa place tant dans la manière d'utiliser les mets, surtout les mets sucrés (fruits confits, confitures, pâtes de fruits…) pour construire palais ou jardins miniatures que dans la manière de décorer la table à l'aide de pièces d'argenterie et de plantes plus ou moins exotiques.
Au XVIIIe siècle, celui des Lumières, la révolution culinaire est lancée par Vincent La Chapelle, cuisinier du comte de Chesterfield et écrivain. Dans son livre, "Modern Cook" de 1733, qui deviendra "Le cuisinier moderne" en 1735, complété en 1742 pour devenir une véritable encyclopédie des arts de la table, il se tourne vers une nouvelle cuisine tout aussi nourrissante, mais beaucoup plus légère et subtile où graisses et sucres ne sont plus utilisées qu'en petite quantité et à bon escient. Cette cuisine résulte de l'expérience du cuisinier, de son inventivité. Cette cuisine ne satisfait pas tout le monde. Notre écologiste de l'époque, Jean-Jacques Rousseau, s'insurge contre cette sophistication et préfère les mets simples, naturels, consommés au moment où ils poussent localement (encore…!). C'est à cette même époque que la femme va enfin obtenir sa place au même rang que l'homme. Bien sûr, pas auprès des grands seigneurs, mais dans les demeures bourgeoises. Jusque-là subalterne, tout juste bonne à éplucher les légumes, à plumer les canards et à alimenter la cheminée ou, à la rigueur, chargée de la gestion de l'approvisionnement, elle est la cible de nombreux ouvrages où sont décrites dans le détail de nombreuses recettes tout en préservant l'économie du ménage (on dirait aujourd'hui "un bon rapport qualité/prix").
La Révolution politique de 1789 influence les français jusque dans leurs assiettes. Les maîtres-cuisiniers employés par les aristocrates se retrouvent au chômage, leurs employeurs s'étant, au mieux, exilés. Certains créent leur propre entreprise, des restaurants, où chacun, suivant ses moyens, ses origines, trouve le moyen de se sustenter correctement : cette question dépasse largement le sujet de notre article. D'autres sont embauchés par la riche bourgeoisie naissante, trop heureuse d'avoir à domicile les us et coutumes des dirigeants de l'ancien régime. Petit à petit, cette cuisine bourgeoise s'installe dans l'ensemble de la société, avec, bien évidemment, des fluctuations suivant les moyens financiers.
La Révolution industrielle change également les comportements. On se met au travail plus tôt. On ne prend pas toujours le temps de déjeuner : les heures des repas sont décalées. On dîne plus tard… Selon notre habitude, nous arrêtons cet article aux années 1800. Aller plus loin serait une gageure car les modes alimentaires changent quasiment d'une décennie à l'autre. L'évolution, la révolution est permanente, des restaurants "3 étoiles" aux établissements de restauration rapide. Une chose à noter, toutefois, ce retour signalé plus haut à une restauration utilisant des produits de saison, le plus souvent locaux, présentés comme des tableaux : il ne faut pas généraliser, mais la tendance écologiste est bien là.
Avant de terminer par l'histoire d'un mets qui nous est cher, nous vous proposons quelques paragraphes sur des boissons apparues au cours des siècles et devenues de consommation courante dans le monde entier, ou presque. Pour certaines, nous ajouterons quelques extraits du livre de Brillat-Savarin, "Physiologie du goût" ou "Méditations de gastronomie transcendante" (digne de Salvador Dali !). Cet ouvrage est constitué de 29 méditations ou chapitres où il est question des sens, du goût, de la gastronomie, de l'appétit, de la soif, des gourmands, du plaisir de la table… Physiologie du goût est le titre ; il aurait pu s'appeler également du nom de la 27ème méditation, "Histoire philosophique de la cuisine".
Le thé
La légende fait remonter la première utilisation du thé au IIIe millénaire av. J.-C., en Chine. Plus sûrement, des fouilles archéologiques permettent de trouver des preuves de sa consommation, trois siècles avant notre ère : cette boisson désaltère, soigne. Le thé arrive en Europe grâce aux explorateurs portugais dans la deuxième moitié du XVIe siècle. Les commerçants hollandais de la Compagnie des Indes Orientales prennent le relais au tout début du XVIIe siècle. Il faut attendre la deuxième moitié de ce siècle pour le voir consommer en France, essentiellement par la classe dirigeante, certains intellectuels et les professions médicales. Sans comparaison avec la consommation des anglo-saxons, celle des français a pris son essor au moment de la Révolution industrielle : changement des heures de travail entrainant celui des heures des repas, notamment du dîner, nécessitant un petit en-cas en milieu d'après-midi ; attrait pour le mode de vie anglais et l'exotisme colonial.
Cette boisson n'a pas retenu l'attention de Brillat-Savarin. Son ouvrage publié en 1825 est, sans doute, arrivé trop tôt pour noter l'intérêt du thé, tant sur le plan médical que sur le plan gustatif. De nos jours, il remplace fréquemment le café.
Le café
Le café aurait été découvert au IXe siècle en Ethiopie : il provoque une certaine excitation et permet de rester éveillé. Ces effets vont freiner son utilisation pendant plusieurs siècles pour des questions religieuses. Il arrive en France à Marseille en 1644 depuis Constantinople. Il progresse vers le nord de la France et arrive à Paris 20 ans plus tard. Consommé essentiellement par l'aristocratie et les ecclésiastiques, il ne s'impose vraiment qu'à partir du début du XVIIIe siècle et concerne toutes les couches de la société à la fin de ce même siècle.
Comment faire le meilleur café, d'après Brillat-Savarin ?
"Les Turcs, qui sont nos maîtres en cette partie, n'emploient pas le moulin pour triturer le café ; ils le pilent dans des mortiers et avec des pilons de bois ; et quand ces instruments ont été long-temps employés à cet usage, ils deviennent précieux, et se vendent à de grands prix… On proposait de le faire sans le brûler, sans le mettre en poudre, de l'infuser à froid, de le faire bouillir pendant trois quarts d'heure, de le soumettre à l'autoclave, etc., etc., etc. J'ai essayé dans le temps toutes ces méthodes, et celles qu'on a proposées jusqu'à ce jour : et je me suis fixé, en connaissance de cause, à celle qu'on appelle à la Dubelloy, qui consiste à verser de l'eau bouillante sur du café [torréfié] mis dans un vase de porcelaine ou d'argent, percé de très petits trous. On prend cette première décoction, on la chauffe jusqu'à l'ébullition, on la repasse de nouveau, et on a un aussi clair et aussi bon que possible". Que penser de l'expression populaire "Café bouillu, café foutu" !? Les goûts changent.
Le chocolat
Le chocolat fait partie de ces aliments que les explorateurs ont rapporté de l'Amérique centrale ou du sud au XVIe siècle, comme la tomate, le haricot blanc, le maïs, la pomme de terre, le piment… Il arrive d'abord en Espagne, au début de ce siècle, puis dans les Provinces unies (Pays-Bas) alors sous domination espagnole. Peu apprécié à cause de son goût poivré et amer, il séduit toute la cour après mélange avec du miel et de la vanille, ou du lait et du sucre. Il est importé en 1609 en France, à Bayonne, par les Juifs chassés d'Espagne. Il séduit les aristocrates et les ecclésiastiques, seuls capables d'en payer le prix. A cette époque, il est bu liquide et chaud, ou solide. Ce n'est qu'au début du XIXe siècle qu'il peut être consommé par tous. Et c'est tout au long de ce même siècle que naissent de nouvelles façons de consommer le chocolat : tablettes, chocolat soluble, chocolat au lait, aux noisettes. Les chocolatiers sont Cailler, Menier, Van Houten, Lindt, Nestlé, Kohler, Poulain, Suchard, Tobler…Mars.
Brillat-Savarin nous donne quelques précisions sur l'engouement pour cet aliment et sur ses propriétés :
"Les dames espagnoles du nouveau monde aiment le chocolat jusqu'à la fureur, au point que, non contentes d'en prendre plusieurs fois par jour, elles s'en font quelquefois apporter à l'église. Cette sensualité leur a souvent attiré la censure des évêques ; mais ils ont fini par fermer les yeux : et le révérend père Escobar, dont la métaphysique fut aussi subtile que sa morale était accommodante, déclara formellement que le chocolat à l'eau ne rompait pas le jeûne, étirant ainsi, en faveur de ses pénitentes, l'ancien adage : Liquidum non frangit jejunium (Le liquide ne rompt pas le jeûne)."
"Les personnes qui font usage de chocolat sont celles qui jouissent d'une santé plus constamment égale, et qui sont le moins sujettes à une foule de petits maux qui nuisent au bonheur de la vie ; leur embonpoint est aussi plus stationnaire : ce sont deux avantages que chacun peut vérifier dans sa société, et parmi ceux dont le régime est connu."
Cela devrait en satisfaire plus d'un !
Le vin
Le vin est vraisemblablement la plus ancienne de ces boissons, même si les fouilles archéologiques toujours plus précises, peuvent un jour nous convaincre du contraire. A l'origine, une liane en quête de lumière au milieu des forêts, il y a deux cents millions d'années. A cette époque, température et humidité dans des contrées où le climat a bien changé : Island, Groenland, Alaska, Sibérie. Les divers bouleversements climatiques ont ensuite repoussé la vigne vers les régions tempérées de la terre. On peut penser raisonnablement que l'homme de Néanderthal finissant dut goutter ses fruits et, pourquoi pas, boire le jus fermenté en présence de quelques levures de passage ! Avec pour conséquence immédiate, les symptômes de l'ébriété. Pour l'homo sapiens, seule l'intervention divine peut expliquer ce phénomène. Ces dieux se retrouvent en Inde, en Asie Mineure, en Egypte, en Europe.
Le dieu grec Dionysos veille sur de très nombreux vins : d'Argos et d'Argitis, de Crète, de Lesbos, de Rhodes…Ils sont préparés par foulage et pressage après dessiccation au soleil. La fermentation peut durer jusqu'à 30 jours dans des jarres. Les vins ont, semble-t-il, un degré alcoolique élevé ce qui explique qu'il est consommé dilué dans de l'eau, éventuellement parfumé par de la cannelle ou du thym. La vinification donne des vins rouges, rosés, blancs, doux ou secs, parfois même salés par trempage des grappes dans l'eau de mer.
Le dieu romain Bacchus n'a rien à lui envier : vin d'Albe, de Falerne, de Capoue, de Messine, le Faustianum dont la cuvée de 121 av. J.-C. est encore apprécié 150 ans plus tard... Ce vin est miellé, parfois mélangé avec de la résine ou de la poix. Avant d'être consommé, il doit être filtré, puis dilué dans de l'eau. Le vinaigre dilué est également apprécié. Comme en Grèce, le vin est interdit aux femmes.
Le christianisme identifie le vin au sang du Christ : source de vie pour le croyant, il devient indispensable au moment de la communion. Les Gaulois, inventeurs du tonneau, et les Romains, viticulteurs avertis depuis des siècles, vont unir leurs savoirs pour créer et améliorer ce breuvage. Par "nécessité spirituelle", les monastères s'entourent de vignes. Les châtelains font de même pour des raisons plus pragmatiques. A l'origine, il existe de très nombreux cépages par mutation naturelle ou par intervention humaine. Le développement d'un cépage dans une région donnée est influencé par les aliments trouvés localement : Bourgogne et viande charolaise ; Bordeaux et oiseaux migrateurs ; vin du pays Nantais et poisson (pour faire simple !). Des facteurs plus importants vont rentrer en considération pour donner le meilleur vin pour un cépage donné : la composition de la terre, le climat, parfois le microclimat sur des petites parcelles. La plante est progressivement domestiquée ; sa culture répond à des normes de plus en plus précises : préparation de la terre, multiplication des pieds par provignage ou marcottage, fumure, rognage, ébourgeonnage, taille, effeuillage, vendange… Le raisin est foulé, pressé et fermente dans des fûts en bois. Il est soumis à plusieurs presses : la première, plus goûteuse, est destinée au seigneur, la 3ème, donnant peu d'alcool, aux plus pauvres. Le degré alcoolique est peu élevé, sauf pour l'usage médical. On améliore le goût à l'aide d'épices qui ont, elles-aussi, des actions thérapeutiques.
Jusqu'au début du XIIIe siècle, on boit surtout du vin blanc : hommes, femmes, enfants en consomment énormément. Le vin rouge est mélangé avec du miel, de la cannelle, du gingembre, des clous de girofle pour donner l'hypocras qui peut contenir de nombreuses autres épices et même des fruits, suivant la recette : il est souvent utilisé comme apéritif ou digestif. A cette époque, l'eau est toxique et provoque de nombreuses maladies infectieuses. Les vins rosés (clairets) et rouges se trouvent petit à petit sur les tables à partir de la deuxième moitié du XIIIe siècle : la mode en est lancée par le pape Clément VI grand amateur de Clos-Vougeot. Les plus pauvres doivent se contenter d'une piquette, mélange de raisins, d'eau et de sucre.
La Renaissance n'apporte guère de changements : la consommation est toujours très importante, en moyenne 3 l par jour d'un vin, encore une fois, peu alcoolisé. Cette demande très importante nécessite la plantation de nouvelles vignes, à partir du XVIIe siècle dans les monts du Lyonnais (Beaujolais), en Bourgogne, dans la vallée du Rhône et dans le Bordelais. Le surplus de la production est distillé et donne naissance aux alcools forts, Cognac et Armagnac. A la fin du XVIIe siècle apparaissent le Champagne créé par Dom Pérignon - après avoir pris connaissance de la fabrication des vins effervescents de Limoux ! -, le vin blanc liquoreux de Sauternes. Au XVIIIe siècle naissent les grands crus des vins de Bordeaux et de Bourgogne.
Si la production de vin du Pays du Gier n'a jamais été de qualité supérieure, elle fut très importante quantitativement. L'importance de l'industrie lourde, des mines explique cette surproduction pour une surconsommation. On trouve encore fréquemment dans des fermes, voire dans des maisons particulières, des pressoirs de dimensions moyennes utilisés pour la consommation familiale.
Les remarques de Brillat-Savarin conviennent tout-à-fait à notre sentence actuelle : boire du vin oui, mais boire avec modération.
"La soif factice, qui est spéciale à l'espèce humaine, provient de cet instinct inné, qui nous porte à chercher, dans les boissons, une force que la nature n'y avait pas mise, et qui n'y survient que par la fermentation. Elle constitue une jouissance artificielle plutôt qu'un besoin naturel : cette soif est véritablement inextinguible, parce que les boissons qu'on prend pour l'apaiser, ont l'effet immanquable de la faire renaître ; cette soif, qui finit par devenir habituelle, constitue les ivrognes de tous les pays ; et il arrive presque toujours que l'impotation ne cesse que quand la liqueur manque, ou qu'elle a vaincu le buveur et l'a mis hors de combat. Quand, au contraire, on n'apaise la soif que par l'eau pure, qui paraît en être l'antidote naturel, on ne boit jamais une gorgée au-delà du besoin."
A tous ceux qui le peuvent, nous conseillons de déguster ce livre plein de sagesse et d'anecdotes d'un temps où la science n'a pas encore dit son dernier mot.
Ainsi se termine ce volumineux (38 pages sans photographies), laborieux, mais très incomplet chapitre sur les "Arts de la table". Nous pensons avoir dit l'essentiel. Il est certain que pour rentrer dans le détail, il aurait fallu rédiger 10 ou 20 fois plus de pages, et encore ! Nous allons ajouter une première série de quelques photographies (à faire) d'ustensiles divers utilisés à table. Une deuxième viendra en complément fin mars. Nous vous le signalerons dans la rubrique "En bref", sur la page d'accueil.
L'évocation du vin nous conduit vers l'un de ses compléments obligés. On ne peut terminer cette longue histoire des arts de la table sans évoquer un mets qui, avec d'autres, bien sûr, est à la base de la renommée culinaire de la France : le fromage. Nous ne retiendrons que quelques dates ou faits importants. Pour plus de détails, nous recommandons le livre bien nommé "FROMAGES", un guide très complet rédigé par Sylvie Girard, en 1986, aux Editions Hermé. Il semble que le nouveau statut de l'Homo sapiens, passant de chasseur à éleveur, coïncide avec la possibilité de faire cailler le lait. Littérature, peinture, mythologie témoignent de la traite des vaches et de la fabrication du fromage jusqu'au début de notre ère. A partir du 1er siècle, les producteurs cherchent à obtenir de meilleurs produits en améliorant la technique de production, notamment l'utilisation de pressoir pour accélérer l'égouttage. En 732, quelques sarrasins restent en France, élèvent des chèvres, "chabli" en arabe : c'est là l'origine des Chabis, Chabichous… A cette même époque, on trouve déjà les fromages de Brie, de Roquefort. Un siècle plus tard, c'est au tour du gros Géromé, ancêtre du Munster, de fabrication monastique. A la fin du 1er millénaire, le "Craquegnon" donne le Maroilles grâce à un affinage jusque-là ignoré pour le plus grand plaisir de Louis XI, François 1er, Henri IV; cette même conservation donnera le Recollet, le Port-du-Salut, le Saint-Nectaire, le Saint-Paulin… En 1180, le mot "fromage" apparaît dans la langue française. Au XIIIe siècle, les valeurs nutritives et digestives du fromage sont reconnues par la faculté de médecine. Les fruitières, des coopératives avant l'heure, fabriquent les fromages de "grande forme" : Comté, Beaufort, Emmental, Gruyère.
Au XVIIIe siècle, apparaîssent et sont cités le reblochon, les fromages de Livarot et de Camembert (ce n'est pas le Camembert que nous connaissons), le Cantal. Sont alors les plus appréciés "les fromages du Lyonnais ou de Roquefort, le Brie, les fromages façon Gruyère, les recuites, sortes de Cancillotes", mais aussi les fromages d'Époisses, peut-être grâce à son lavage avec du marc ou du vin blanc de Bourgogne.
Au début du XIXe siècle, l'allemand Justus von Liebig est l'un des premiers à écrire les différents types de fermentation : "lactique pour les pâtes fraîches, caséique pour les pâtes molles et propionique pour les pâtes fermes". L'appellation Crottin de Chavignol désigne le petit chèvre sancerrois créé dès le XVIe siècle, les fourmes d'Auvergne évoluent. En 1850 nait le Petit-Suisse par adjonction de crème fraîche à des fromages frais. La pasteurisation est adaptée à la fabrication du fromage. La fromagerie Lepetit ouverte en 1872 remporte de nombreuses médailles pour son Camembert. Vers 1890, l'utilisation d'épicéa pour les Camemberts est à l'origine de la fortune de G. Leroy, employé de scierie normand, qui emploie l'écorce de peuplier.
Au début du XXe siècle naissent les premières fromageries industrielles. En 1921, Léon Bel crée "la Vache qui rit", puis le "Bonbel". 1935 est le témoin d'une polémique entre tenants des fromages à l'ancienne et partisans d'un progrès technique et hygiénique avec l'utilisation de laits pasteurisés… Dernier point : en 1983, 27 fromages français ont une Appellation d'Origine Contrôlée (A.O.C.).
Notre esprit chauvin nous a fait négliger les fromages étrangers. Retenons deux records détenus l'un par la Grande-Bretagne et le Cheddar, fromage le plus fabriqué dans le monde, l'autre par la Hollande qui, en 1950, est le premier pays exportateur de fromages au monde.
Ce très court historique nous a permis de découvrir que nombre de fromages consommés aujourd'hui sont en fait produits depuis très longtemps. Il nous manque tout de même plusieurs informations importantes : comment ces fromages étaient-ils consommés ? Nature ? Avec du pain ? Avec d'autres mets ? A quelles occasions ? Pour le petit peuple, plus souvent à la campagne qu'à la ville… ?
Ainsi se termine ce volumineux , laborieux, mais très incomplet chapitre sur les "Arts de la table". Nous pensons avoir dit l'essentiel. Il est certain que pour rentrer dans le détail, il aurait fallu rédiger 10 ou 20 fois plus de pages, et encore !
Vous avez mis la table. Les convives sont arrivés. Vous cornez l'eau pour qu'ils se lavent les mains. Chacun s'assied à la place que lui a indiquée le maître de maison (ou d'hôtel). Vous mettez votre serviette sans mélanger les torchons et les serviettes. Vous allez devoir respectez les règles de bienséance. Et pour ne pas blesser la maîtresse de maison, nous ne vous disons surtout pas "Bon appétit".
Bibliographie
A. Rowley À table ! La fête gastronomique Découvertes Gallimard, 1994
J. Bulté Initiation à la faïence, Ouest France, 1980
F. Labayle Initiation à la porcelaine, Ouest France, 1980
R. Wilhelem, L'ABC du Collectionneur LES ETAINS, Artes Graficas Toledo, 1990
B.A. Douroff, Etains français des XVIIe et XVIIIe siècles, Editions C. Massin,
A. Franklin, Dictionnaire Historique des Arts, Métiers et Professions exercés dans Paris depuis le treizième siècle H. Welter éditeur en 1906 réédition Bibliothèque des Arts, des Sciences et des Techniques, 2004
C. Arminjon et N. Blondel, Objets civils domestiques, Imprimerie nationale Editions du Patrimoine, 1984
Catalogue Manufacture Française d'Armes et cycles 1910, Le Manufrance du collectionneur, éditions du Pécari, 2003
Calalogue de la Manufacture d'Armes et Cycles de St Etienne 1928 , Bibliothèque de l'Image, 1997
Catalogue Manufacture Française d'Armes et cycles 1930, Le Manufrance du collectionneur, éditions du Pécari, 2000
E. Chancrin et F. Faideau Larousse Ménager Illustré, Librairie Larousse, 1926
F. Bluche, La vie quotidienne au temps de Louis XVI, Livre de poche Hachette 1984
J.L. Beaucarnot, Ainsi vivaient nos ancêtres, France Loisirs, 1990
Brillat-Savarin, Physiologie du goût, Le club français du livre, 1959, réédition du livre de 1825
R. de Goulaine, Le livre des vins rares ou disparus, éd. Bartillat, 1995
L. Orizet, La belle histoire du vin, Le cherche midi éditeur, 1995
P. Vandyke Price, Le vrai livre du vin, Editions Princesse, 1986
S. Girard, FROMAGES, Editions Hermé, 1986
Bibliographie virtuelle
Nous avons consulté près de 70 sites. Nous donnons ici les coordonnées de quelques' uns d'entre eux. Tous n'ont pas été utilisés car ils se contentent parfois de faire un Copier-Coller ou confirment ce que nous avons pu découvrir dans notre bibliothèque.
D. Buschinger, Banquets et manières de table dans la réalité et la fiction du Moyen-Âge, CUERMA, 1996
J.B. de la Salle, Les règles de la bienséance et de la civilité chrétienne, 1703 Source gallica.bnf.fr
Boire et manger, Quelle histoire !
La maison convertible – Wikimeuble
Serviette de table - Wikipedia
Chaque couvert son utilisation
Le magazine de Proantic : l'histoire du verre à vin, le rafraîchissoir…
Le verre à la Renaissance : verre et arts de la table (BnF)
Canal Académie : nappes et serviettes
FIN
A.R.C.O.M.A. A LA SALLE A MANGER / LES ARTS DE LA TABLE