HISTOIRE DE L'HABILLEMENT
VI
LA FRANCE
XVIIe siècle |
Comme dans le chapitre V, nous adoptons les dates des règnes des rois, en l'occurrence de 1589, arrivée d'Henri IV à 1715, décès de Louis XIV, soit une période de 126 années.
Notre bon roi Henri IV a laissé plus de souvenirs pour sa gestion des finances et la nourriture du peuple - la poule-au-pot - que pour l'habillement auquel il apporte une importance toute relative. Une fois de plus, à la sortie des guerres civiles et de religion, le pays doit sortir d'une crise financière sans précédent. Des économies s'imposent… Avec humour, il déclare devant le clergé : "Mes prédécesseurs vous ont donné des paroles : moi, avec ma jaquette grise, je vous donnerai des effets : je suis tout gris au dehors ; mais je suis tout d'or en dedans". À la vue de toutes ses conquêtes amoureuses qui lui valut le surnom de Vert galant, l'expression "l'habit ne fait pas le moine" prend ici toute sa valeur. Chausses grises bouffantes et pourpoint sans décoration constituent son vêtement quotidien. Il aime rappeler la modestie de sa garde-robe personnelle lors de son entrée à Paris : cinq mouchoirs, douze chemises trouées, un pourpoint de satin blanc, un manteau et un chapeau noir. Goût personnel, modestie, refus du luxe, en relation avec son éducation selon les préceptes de l'église réformée…?
Henri IV, en tenue de tous les jours Il va de soi que cette simplicité ne s'accommode pas avec certaines circonstances ! |
Henri IV et son fameux panache blanc Toquet à plume, fraise, pourpoint |
On retrouve ce désir de simplification, voire de "puritanisme vestimentaire" dans la société parisienne : "On y voit une si grande réformation au retranchement du luxe, qu'il est impossible de le croire à ceux qui le voyent, et semble que la bombance soit maintenant du tout bannie et deschassée pour un temps : jusque-là mesme que, quand une damoiselle porte, non seulement une frèze à la confusion, mais un simple rabat un peu trop long, les autres damoiselles se jettent sur elle et luy arrachent son collet ou luy deschirent sa robbe. Enfin, vous ne voyez plus dedans Paris que du drap au lieu de soye et de la soye au lieu de l'or : lesquelles choses à la vérité y estoient trop prophanées de ceux mesme à qui il convenoit le moins : ce que le Roy n'a jamais peu faire observer par l'interposition de son aucthorité royalle ni par la force de ses édits pénaux" (Jules Quicherat). Il est bien question de Paris ; certaines villes de province, Bordeaux, Lyon, Metz, sont sur un pied d'égalité avec la capitale pour le "bon ton", voire même au-dessus.
Fraise à la confusion (fin XVIe – début XVIIe) |
Le XVIIe siècle naissant accorde une attention toute particulière à une esthétique et à une conception de la vie tout-à-fait nouvelles, et, ce, plus particulièrement en France et en Hollande, s'imposant dans la plupart des pays européens occidentaux. C'est ce que montre une nouveauté, la parution de gravures de modes dès 1520, avec une quarantaine avant 1540 et un développement considérable en fin de siècle, à partir de Venise, Paris, Anvers, Francfort. Comment expliquer cette évolution de la mode ? Citons ici les explications données par F. BOUCHER : "Entre 1625 et 1670, une sorte de correspondance s'établit indiscutablement entre le costume et le goût baroque, celui-ci considéré dans le sens du recours à l'imagination et à la virtuosité. En effet, les caractères essentiels du baroque : dédain de la mesure et goût accentué pour la liberté, recherche d'oppositions et de mouvements, abondance des détails, se retrouvent dans l'habillement, qui abandonne la symétrie et l'équilibre antérieurs et qui, échappant plus ou moins à la froideur réformiste et à celle de la Contre-Réforme, est attiré par des recherches, des singularités, des outrances allant jusqu'à la préciosité dont témoignent les canons et les rhingraves". Ce mouvement d'origine italienne se manifeste différemment dans tous les pays européens.
Après les excentricités du règne précédent, l'habillement des hommes est simplifié : le pourpoint avec collet, plus court, à taille arrondie ou en légère pointe, perd son panseron, voire son busc, peut-être recouvert d'une écharpe de satin passée en bandoulières ; les fraises sont plus petites, ou remplacées par un simple collet rabattu, le rabat ; les hauts-de-chausses sont soit longs, enflés jusqu'au-dessus du genou, les grègues, soit courts, les chausses en bourse, rembourrées à la base ; à citer encore les trousses ou celles dites à la gigotte et à la vénitienne, plus longues ; les bas, maintenus par de riches jarretières, sont parfois couverts par des guêtres boutonnées, les gamaches ; la cape sert de manteau : le chapeau, d'abord relevé devant et agrémenté d'un panache, devient vers 1600 le castor à larges bords et forme basse ; les souliers sont à pont-levis ou à cric, carrés du bout, tenus par un ruban, surélevés par des talons très hauts ; à partir de 1608, des bottes en cuyr de Roussy, longues et étroites, remplacées par des bottes courtes dites à entonnoir, provoquent l'envoi d'une mission en Hongrie pour le traitement du cuir, à l'origine des hongroyeurs ; et pour terminer, les gants à hauts poignets de satin vert ou en velours incarnat à franges et l'écharpe de satin. L'aspect général est très seyant.
On ne peut pas dire que le costume féminin le soit tout autant. Le corsage bien visible, serré est en cône inversé avec épaulettes ou bourrelets ; la collerette est raide, en auréole, surmontée d'une fraise godronnée et de collets montants amidonnés disproportionnés à l'origine de cuillers à long manche pour éviter les salissures de sauce et de potages ; les manches sont bouffantes, ouatées, baleinées, découpées ; le vertugadin "en charpente de coupole", constitué d'un bourrelet devient un plateau porté sur les hanches ; il donne à la robe, très froncée à la taille, un aspect de tambour, recouvrant les trois cottes de couleurs différentes. Celles-ci sont visibles grâce à un remuement des hanches. Agrippa d'Aubigné donne une liste de ces couleurs à la mode, avec des appellations souvent étonnantes : zinzolin, triste-amie, ventre de nonnain, face grattée, merdoie, couleur de Judas, singe mourant, veuve réjouie, temps perdu, constipé, baise-moi ma mignonne, péché mortel, trépassé revenu… Ces couleurs sont souvent combinées à des rayures, des décorations figurant fleurs et ramages. Pour inspirer les dessinateurs, un Jardin du roi aux plantes exotiques est créé à Paris, qui deviendra en 1626 le Jardin des Plantes.
De 1610 à 1624, sous la régence de Marie de Médicis, la mode évolue lentement. Il est vraisemblable que cette évolution s'étale jusque vers la fin du règne de Louis XIII, en 1643. Pour les hommes, le pourpoint est tailladé à petites et grandes fentes, les chiquetades, avec collet droit, cols sur carton ou rotondes et fraises à confusion. L'écharpe disparaît. Les bordiers sont des chausses flottantes. Par-dessus, une cape nommée manteau est mise soit sur les deux épaules, soit sur une seule, à la Balagny. Autres vêtements de dessus aux formes multiples : la casaque, courte ou longue, flottante, aux manches ouvertes en forme de cape, qui peuvent se fermer par des boutons ou se boutonner sur le corps longues ou courtes appelées, calabres ou roupilles ; le caban, réminiscence du XVe siècle pour le voyage et la campagne ; l'hongreline, doublée de fourrure ; le roquet ou rochet, à manches courtes et pendantes, sans collet ; ou encore, suivant la forme, la royale, le balandras, la houppelande, autant de vêtements de dessus, plus ou moins chauds… Les bas sont de couleur rouge en soie ou en tricot de laine - l'estame, déjà rencontré au XVIe siècle. Les chaussures sont soit des bottes hautes moulantes, soit des souliers à pont-levis ou à cric, avec une large rose de ruban. Les cheveux sont longs, frisés, avec une mèche sur le côté dite moustache portant un ruban, la cadenette du nom de son inventeur Cadenet, frère du duc de Luynes. C'est aussi le début des perruques. La barbe est en pointe. Un chapeau de feutre gris, parfois vert, les recouvre.
Pour les femmes, le corsage est toujours en pointe, plus court, ouvert modérément. Le point-coupé (dentelle à l'aiguille) est utilisé pour les tours de gorge et les manchettes. Le collet monté qui se dresse derrière la tête comme un éventail subsiste. Les manches sont bouillonnées (froncées de manière à former plusieurs ballons). Le vertugadin est moins imposant. La coiffure est aplatie, composée d'une frange de cheveux sur le front, la garcette, et de deux bouffons (cheveux gonflés, arrondis) sur les oreilles ; les cheveux sont nattés, enroulés en chignon à l'arrière. Le chaperon n'est utilisé que par le petit peuple et… les veuves de la haute société.
Marie de Médicis, le jour de son couronnement Décolleté important, collet en éventail, manches bouffantes Robe à vertugadin surmontée d'une cape doublée d'hermine |
Grande fraise et manchettes en point-coupé. Manches bouillonnées |
À partir de 1625, Richelieu, à la tête du gouvernement, déclenche un "en même temps" : règlements somptuaires qui, bien sûr, ne sont pas appliqués, mais maximum d'activités industrielles et commerciales. Dentelles et colifichets étrangers sont interdits, une manière de protectionnisme. Quant aux vêtements eux-mêmes, ils perdent les surcharges de dentelles et autres décorations. Cela ne veut pas dire que l'on en revient aux habits stricts du règne d'Henri IV. Le pourpoint s'ajuste désormais sur le haut du cou, se boutonne sur toute la longueur du buste, n'est plus ceinturé et, au bas, laisse voir la chemise qui apparaît également par les fentes des manches ; il est fait d'étoffe unie, de couleur neutre ou sombre, sans ruban. D'abord culottes flottantes, les hauts-de-chausse diminuent de moitié, mais les jambes ou canons s'allongent à l'image des culottes importées de Venise par les disciples de Saint Pantaléon, les Pantaloni, à l'origine du pantalon qui descend le long du mollet jusqu'aux bottes. Celles-ci sont soit hautes et droites pour la chasse, soit plus courtes, dites lazzarines, terminées en entonnoir ou en revers garnies de genouillères de toile endentellée, le bas de bottes ou bas à botter. Celui-ci se met par-dessus le bas de soie, soit plein, soit à étrier sans bout de pied et de talon. Le chapeau, en castor ou en feutre, est plat et rond, à large bord. La chevelure longue, frisée, à raie médiane tombe sur les épaules, avec la cadenette sur l'oreille gauche ornée d'une boucle. Une perruque, partielle ou complète, apparaît, plus par nécessité que pour des questions d'esthétique. Le manteau est drapé de toutes les façons, porté sur une épaule, dit à la Balagny.
Si la mode était dictée par les rois ou leurs maîtresses et les reines, où chacun devait s'habiller suivant son statut social, cette première moitié du siècle donne le jour à une rivalité vestimentaire entre noblesse et bourgeoisie, chacun voulant montrer sa condition ou sa fortune. D'où une escalade, une volonté de mieux paraître se traduisant par une multiplication du nombre de vêtements pour en changer plus souvent et par des garnitures sans limites. C'est l'époque des "muguets", des jeunes gens fortunés, vêtus d'habits de satin, de manteaux de pane de soie, de collets de daim parfumés dit collets de fleurs. C'est aussi le moment où la noblesse, mise de côté sur le plan politique par Richelieu, se tourne vers la mode. Nous avons déjà évoqué Cadenet, Balagny. On peut citer Cinq-Mars, Guiche, Choisy qui laissent leurs noms dans ce domaine…
À partir de 1628, la barbe est constituée d'une petite touffe, à l'initiative de Louis XIII, d'où son nom de royale. Richelieu, seul, garde sa barbe en pointe.
Louis XIII Pourpoint boutonné du cou à la ceinture et manches fendues laissant voir la chemise Grand rabat en dentelle. Longues jambes du haut-de-chausse (futur pantalon). Gants. Bottes lazzarines |
Pourpoint ajusté et boutonné, col rabattu, manchettes Hauts-de-chausse larges, longues laissant les canons flottants ; nœud de ruban sur le coup de pied. Bottes lazzarines et bas à botter |
Cette simplification de l'habillement chez l'homme se retrouve chez la femme. À l'initiative de ces transformations, on trouve, notamment, la nièce de Richelieu, Mme de Combalet, duchesse d'Aiguillon. La robe est alors dite à la commodité, une redingote ouverte devant, étoffée par derrière, très haute dans le dos, traînant sur le sol, avec manches fendues dans la longueur, fermant au milieu du bras par un nœud de ruban, et au poignet par des manchettes. Elle est constituée de deux parties : le corps de jupe et le bas de jupe. Le corps est composé d'un plastron rigide baleiné dont la pointe déborde sur le bas de jupe ; il est ouvert bas, lacé ou agrafé devant, avec basques tailladées, et souvent recouvert d'une busquière (coulisse d'un corset dans laquelle on glisse une armature, le busc).
Anne d'Autriche Corps de jupe à plastron rigide, ouvert bas, agrafé. Fraise imposante Manches fendues dans la longueur, fermant au milieu du bras par un nœud de ruban, manchettes |
Robe à la commodité Coiffure en serpenteaux Étoffée par derrière et traînante, à larges manches et laissant voir la jupe. Corsage très ouvert et lacé sur le devant avec rabat. Coiffure en bouffons |
Pour Madame : robe à la commodité ; décolleté ; miroir Pour Monsieur : chapeau à grands bords et à plumes, grand rabat… |
Le bas tombe droit avec des plis plats sur les côtés, de couleur variable, recouvre un cotillon. Les manches, tailladées et bouffantes, sont soutenues par un coussin rembourré de jonc de mer. Cette robe recouvre trois jupes ou cottes appelées la modestie, la friponne et la secrète, dans un ordre évident ! Les vêtements de dessous restent la chemise et le caleçon muni de poches auquel s'attachent les bas. Le manteau est une hongreline avec tablier pour les femmes du peuple. En velours ou drap fin, accompagnée d'un chapeau d'homme à plume, cette hongreline devient une amazone pour les chasseresses. Les bas de soie, rouges, vert pomme, bleu de ciel sont portés avec des souliers de satin rouge ou bleu à talons hauts dits à la Choisy ou avec des muletins de maroquin blanc, violet, fauve ou jaune, ou encore des patins de velours à semelle de liège. Les cheveux sont dressés sur un rouleau crêpé dit rond, forment un arceau en bombage d'où peut sortir une mèche nouée d'un ruban, la moustache (la cadenette de l'homme). À la toute fin du règne, les cheveux sont, à nouveau, aplatis et les bouffons sont remplacés par de longues mèches ondulées s'échappant du chignon, les serpenteaux ou anglaises. Collier, carcan, pendentifs et bagues - nom désormais réservé aux anneaux des doigts - parent les dames de la haute société alors que les femmes du peuple s'ornent d'une tresse de soie à plaques d'orfèvrerie sur la moitié de la longueur, d'où le nom de demi-ceint d'argent. À cela, il faut ajouter les mouches de toutes formes, les parfums très forts pour les deux sexes, les gants aux multiples appellations.
Malgré la complexité de cette énumération, on peut penser que l'habillement s'est simplifié. L'ampleur a diminué, ornements et coiffures n'ont plus la même importance.
Le roi est mort, vive le roi, en l'occurrence, Louis XIV : il devra attendre quelques années pour régner (il n'a que 5 ans). En attendant, Anne d'Autriche, sa mère, et le cardinal Mazarin ont le pouvoir. Quelle est leur influence sur l'habillement ? A priori, cela incombe plutôt à des courtisans, comme Gaston de Nogaret, ou à de riches membres de la société civile comme le financier Montauron. Mais c'est un livre qui va servir de bible à tous les élégants de cette première partie du règne du jeune roi, Les loix de la galanterie françoise, rédigé par Charles Sorel, publié en 1644, en même temps qu'un nouvel édit somptuaire de Mazarin.
Anne d'Autriche et Louis XIV, enfant (vers 1640) |
Cet ouvrage met en évidence l'importance prise par les rubans qui témoignent de la qualité d'un homme : "Il y a de certaines petites choses qui coustent peu et néanmoins parent extresment un homme, faisant connoistre qu'il est entièrement dans la galanterie, d'autant que les mélancholiques, les vieillards, les sérieux et les personnes peu civilisées n'en ont point de mesme : comme, par exemple, d'avoir un beau ruban d'or ou d'argent au chapeau, quelquefois entremeslé de soie de quelque couleur, et d'avoir aussi au-devant des chausses sept ou huit rubans satinez et des couleurs les plus esclatantes qui se voyent. L'on a beau dire que c'est faire une boutique de sa propre personne, et mettre autant de mercerie à l'étallage que si l'on vouloist vendre, il faut observer néanmoins ce qui a cours" Dans les années 1650, dentelles et rubans sont dits à la Fronde, à la paille, au papier à rubans blancs.
Le pourpoint de l'homme se ferme du cou au milieu de la poitrine par de simples boutons qui remplacent les rubans. Il est fait d'un taffetas de couleur souvent sombre. Soit uni, soit à grandes taillades et à longues basques, les tassettes, il s'écarte en bas pour laisser voir une chemise ample formant jabot, également visible par les fentes des manches ornées à leurs extrémités de dentelles. La petite-oie désigne l'ensemble des cordons, aiguillettes et de tous les galants cousus aux ouvertures du pourpoint, aux chausses, à la ceinture… qui atteignent le chiffre exorbitant de 500 à 600 par habit. Un grand col rabattu de dentelle ou de linon, le rabat, éclaire le costume. Autour du cou apparaît la croate, ancêtre de la cravate : elle est empruntée à l'équipement des Croates ou Cravates servant dans l'armée royale ! Le chapeau, en castor ou feutre, est plat et rond, à large bord, posé sur une chevelure longue, frisée, en chute sur l'épaule droite, avec, toujours, la cadenette sur l'oreille gauche ornée d'une boucle. Et pour les jeunes élégants, la mode est à la moustache à la coquille. Les chaussures sont soit des bottes élargies vers le haut, dites à genouillères, ornementées de batiste, de toile de Hollande ou de point de Gênes, soit des souliers bas, pointus en 1652, carrés vingt ans plus tard, à nœuds de rubans avec des bas d'Angleterre et, enfin, à talon.
Pourpoint ajusté et boutonné, col rabattu, manchettes Hauts-de-chausse laissant les canons flottants ; nœud de ruban sur le coup de pied Le gentilhomme ajuste sa croate devant un miroir |
Cette mode touche bien sûr les dames, à commencer par la coiffure qui devient le domaine des barbiers-barbants, les coiffeurs, aux dépends des chambrières. La mode est dictée par l'un de ses représentants, le sieur Champagne (pour plus de détails, voir la bibliographie) à l'imagination débordante et qui sera le préféré de ces dames jusque vers les années 1650, date à laquelle une simple pièce de taffetas ou de crêpe noir nouée sous le menton sera à nouveau portée, au grand dam des précieuses qui la nommeront les ténèbres. Au plan vestimentaire, le corsage est fermé avec une bordure à galants et faveurs composée de perles ou pierreries du Temple et de jais ; la poitrine est soutenue par un busc. La robe est, par contre, très décolletée, avec une encolure ornée de bouillons de linon (plis du tissu) ou de gaze, dits devants et un grand col rabattu en batiste ou dentelle ; elle est réalisés en satin, velours, moire ou brocatelle (genre de brocart en soie et lin). Les jupes de dessous sont en taffetas, tabis (moire de soie), camelotine (étoffe légère et ondulée) ou ferrandine (mélange de soie et laine), ou encore, pour les femmes du peuple, en grisette (drap simple). Les couleurs sont variables, nuances de gris, de jaune, de rouge. Le justaucorps est un pourpoint pour dame réalisé à partir d'une hongreline. Quant aux ornementations, elles se multiplient : écharpe, demi-masque de velours noir, gants d'Espagne fendus sur le dos, mouchoir brodé avec glands, éventail, manchettes et mules avec leurs patins.
Inquiet de voir le montant des dépenses privées en passementerie et décorations diverses, Mazarin impose au jeune roi un habillement très stricte, sans broderies d'or ou d'argent, à titre d'exemple. Qu'à cela ne tienne, les rubans feront l'affaire : ce sont les galants qui font la fortune, notamment, de Saint-Etienne et Saint-Chamond (voir nos articles sur les métiers du textile).
Pour la dernière fois, quelques années plus tard, vers 1656, Mazarin réitère sa demande auprès du roi : Mazarin est traité d'avare, le roi est plaint. Une nouvelle ordonnance n'a pas plus d'effet.
1661, le cardinal Mazarin quitte ce monde. Louis XIV s'octroie tous les pouvoirs : il a 23 ans. Deux vêtements pour homme se distinguent : la rhingrave et le justaucorps. Le premier inspira tout particulièrement Molière, en particulier dans les "Précieuses ridicules", "le Misanthrope", "Don Juan", "L'Avare", "L'École des maris". De quoi s'agit-il ? La rhingrave est portée en France dès 1655 jusque vers 1675. Elle tient lieu, au départ, de haut-de-chausses. On peut la comparer à une petite jupe ou culotte d'une extrême largeur (jusqu'à une aune et demie par jambe, soit 1,77 m !), dont les très nombreux plis empêchent de voir la séparation des jambes. Comme si cela ne suffisait pas, il faut rajouter des rubans, des dentelles…
Pourpoint et rhingrave Cérémonie à la cour : rhingraves, perruques… |
Rhingraves (détail) |
L'origine de cet "accoutrement" n'est pas connue. Plusieurs hypothèses sont avancées. La plus vraisemblable, selon F. Boucher, est à rapprocher du comte palatin Edouard, un excentrique, et époux d'Anne de Gonzague de Clèves-Nevers surintendante de la reine de France, dite Princesse palatine (à ne pas confondre avec la deuxième épouse du frère du roi).
Le pourpoint devient plus court, ouvert devant, laissant voir la chemise bouffante ; les manches sont également raccourcies, dévoilant de même la chemise. Il est fait de deux tissus, l'un riche devant, l'autre en doublure dans le dos. Un surtout, long et évasé en bas, à manches courtes, le justaucorps, vient recouvrir ce pourpoint appelé désormais veste qui devient un vêtement de dessous. La petite-oie aux multiples couleurs complète la lourdeur de ce vêtement.
Les perruques commencent à se généraliser au même moment, donc vers 1655. À fenêtres, elles permettent de passer des boucles naturelles. Complètes, elles nécessitent de se raser la tête, ce que le roi n'accepta qu'en 1672. Elles deviennent disproportionnées à partir de 1680, jusqu'à la fin du siècle. Elles sont composées de boucles tombant sur les épaules, puis elles comportent deux pointes et sont dites en Fontanges. Enfin, partagées en trois touffes, dont deux sur le côté, elles sont appelées binettes du nom du fournisseur du roi, le sieur Binet – à l'origine de l'expression : "avoir une drôle de binette". Elles sont de couleurs variées, saupoudrées d'amidon ou de poudre de Chypre. L'emploi de la poudre a pour résultat d'adoucir l'expression du visage et d'égaliser les âges : "Tout le monde veut être vieux pour paraître sage" D'abord en crinière, elles sont, ensuite, constituées de vrais cheveux provenant surtout de l'étranger, provoquant encore une fuite des capitaux. Pour ce motif, Colbert veut interdire le port des perruques, mais la qualité des perruques fabriquées en France entraîne une exportation du produit fini compensant largement l'importation. Le gouvernement a le dernier mot en taxant les perruques, de 1703 à 1715. Cet accessoire rend le chapeau superflu ; par respect ou coutume, il existe tout de même, tenu serré sous le bras, à calotte basse et grands bords relevés devant et derrière, à plume et ruban brodé.
Cravates en dentelles Perruque en Fontanges (?) Perruque classique |
Sur la forme de la forme de la perruque de gauche, les auteurs ne sont pas tous d'accord : d'après F. Boucher, elle serait en Fontanges, à deux "pointes" ; selon d'autres, il s'agirait d'une perruque à la Binet. Cette dernière peut descendre jusqu'aux hanches.
À partir de 1675, le justaucorps prend la place de la rhingrave, sans doute à l'initiative du roi qui ne présente plus la sveltesse qu'exigent ce vêtement et les rubans qui l'accompagnent, par trop féminins. Très mal accueilli et moqué dans la population, il fait l'objet de moqueries dans le Bourgeois gentilhomme de Molière. Et, pourtant, il sera le vêtement porté par tous les gens de bien jusqu'à la fin du règne de Louis XIV. Réalisé d'abord en soie, il est fait de tissus moins couteux - serge, frise, ratine droguet, poil de chèvre, étamine, camelot, popeline, ras. Sans ceinture, comme la veste, tous deux à poches basses sur le devant, il se boutonne de haut en bas. La cravate en mousseline ou fine broderie est très longue, nouée à la gorge par un ruban de couleur vive. Les rubans se présentent sous la forme d'une petite touffe, l'épaulette, sur l'épaule droite. Pour l'hiver, un brandebourg et un manchon protègent du froid.
Justaucorps, cravate, veste boutonnée, Cravate, habit chamarré à poches. rubans sur manches courtes à manchettes en dentelles Manches à grands parements dits à bottes |
Dames : Corsages à manches courtes, jupes longues à queue et dentelles |
Du côté des dames, l'habillement change peu. Le corsage ou corps à baleine est rigide, ajusté, allongé en pointe devant. Les robes sont toujours décolletées en ovale. Manches courtes et bouffantes, robe large retroussée devant de chaque côté par de gros nœuds de rubans pour découvrir les jupes restent d'actualité. Cette robe, prolongée par une queue plus ou moins longue selon le rang, devient un manteau. La maîtresse du roi du moment, Mme de Montespan, lance la mode de la robe dite innocente sans ceinture, pratique pour les grossesses. Le laisse-tout-faire noir est une tenue négligée, vers 1670. Les veuves s'habillent en blanc. Par contre, une fois de plus, l'ornementation est de plus en plus importante et imposante : boutons en émail, rubans, chenilles de soie, étoffes à décoration florale, dentelles, cravates…
Décolleté ovale, manches courtes, coiffe terminée en arrière par une longue traîne retenue à l'avant sur un bras |
La coiffure, par contre, se distingue par son excentricité. Jusque vers 1670, les serpenteaux dominent alors que les bouffons disparaissent. Une coiffeuse dénommée Martin invente la hurlupée ou hurluberlu. Critiquée d'abord par Mme de Maintenon, cette coiffure prendra le nom de Maintenon quand la marquise proclamera les bienfaits de cette coiffure : "Imaginez-vous une tête partagée à la paysanne jusqu'à deux doigts du bourrelet ; on coupe les cheveux de chaque côté d'étage en étage, dont on fait des grosses boucles rondes et négligées qui ne viennent pas plus bas qu'un doigt au-dessous de l'oreille. Cela fait quelque chose de fort jeune et fort joli, et comme deux gros bouquets de cheveux trop courts… On met les rubans comme à l'ordinaire, et une grosse boucle nouée entre le bourrelet et la coiffure ; quelquefois on la laisse traîner jusque sur la gorge." Plus sévère, Mme de Sévigné considère que "Cela fait une tête de chou". Vers 1680, une nouvelle coiffure dite à la Fontanges touche toute la société. En hauteur, elle est constituée d'un échafaudage où se mêlent boucles, mousseline, dentelles, rubans. Comme son nom l'indique, elle est due au hasard et à l'inventivité de la duchesse de Fontanges, dernière maîtresse du roi : elle n'a pas vingt ans. "Un jour de chasse, dans le galop de sa monture, une branche décoiffe la belle qui, d'un tour de main, noue ses cheveux de sa jarretière de dentelle - coiffure improvisée que le roi trouve originale et charmante, et que les dames d'alentour s'empressent de copier." Décédée en couches un an plus tard, son nom continue d'exister et d'être prononcé pendant près de 30 ans. Quant à la coiffure elle-même, elle se développe, se complique, devenant un véritable édifice en fil de métal et dentelles que Louis XIV réfute en vain. G.G. Toudouze nous en fait la description :"une raie sur la tête, d'une oreille à l'autre, les cheveux de devant ramenés en avant, les cheveux de derrière en chignon dit "rond" ou "paquet", le reste levé de masse en hauteur avec torsades dites, au front tignons, aux tempes passagère et favorite, deux accroche-cœurs nommé cruches ou mousquetaires, et des frisures sous la nuque baptisées crève-cœurs. Sur cette coiffure, l'édifice lui-même tellement compliqué qu'à partir de 1698, le coiffeur est accompagné d'un serrurier pour les laitons ; et par-dessus, encore, la coiffe qui s'appelle duchesse, monte-au-ciel, firmament, dixième-ciel, effrontée, battant-d'œil, commode ou chien-couchant". Le roi a beau faire, il ne peut interrompre cette mode. Ce n'est qu'en 1713 que la femme de l'ambassadeur d'Angleterre, la duchesse de Shrewsbury, met fin à cette coiffure, simplement en s'en moquant : "les femmes enfin cédèrent au goût et à l'exemple d'une vieille folle étrangère" (Saint-Simon).
À la hurluberlu À la Fontanges (nombreuses variantes) Et "mouches" sur le front, les joues |
Coiffure à la Fontanges, large décolleté, Bonnets à brides larges surmontant les |
1685, l'influence de Mme de Maintenon commence à se faire sentir tant sur la cour que sur le roi. Une austérité s'installe sur le pays, austérité également liée aux problèmes internationaux et financiers. Les ornementations s'effacent petit à petit par rapport aux années précédentes. Ornements d'or, d'argent et d'étoffes de luxes font l'objet d'édits royaux.
Pour l'homme, la mode ne change guère : justaucorps, veste et culotte, manches à grands parements ; la couleur est amarante ou brune. Les souliers sont à brides et boucles, avec talon Une innovation : le bas de Barbarie, venu d'Afrique, en coton qui remporte un énorme succès. De nouvelles appellations apparaissent : la passecaille est le cordon du manchon, la chaconne est le grand ruban qui pend du col de la chemise. Le chapeau emplumé voit ses bords retroussés sur trois côtés. La perruque est toujours imposante et lourde, appelée in-folio ; les moustaches disparaissent. Enfin, dans les accessoires, il faut citer l'apparition de la tabatière et de la râpe à tabac, malgré, là encore, le rejet de Louis XIV. L'utilisation de la haute canne sert davantage à donner de la majesté qu'à faciliter la marche.
Pour la femme, les robes s'engoncent de tournures placée sous le manteau, les criardes. Les jupes comportent une garniture plissée dite falbalas et des ornements découpés, les pretintailles. Les manches sont courtes, les gants longs. Le corset ou corsage s'ouvre davantage en gourgandine fermée par un nœud de brillants placé sur la gorge, le boute-en-train ou tâtez-y. Les manchons servent de niches pour des petits chiens. Les cravates sont à la Steinkerque ou à la Crémone, en souvenir de batailles militaires. Enfin, l'écharpe est bien présente.
Corsage décolleté, taille serrée, rubans aux coudes, jupe longue à queue ornée de falbalas et pretintailles |
Si la mode des dirigeants a évolué au cours de ce XVIe siècle, celle du petit peuple a également présenté quelques nouveautés, même si le but recherché dans l'habillement est de faciliter la tâche à accomplir. Sans commentaires voici quelques gravures :
Le semeur La récolte |
Labour et battage du grain Transport du grain |
La peleuse de pomme La magnanerie |
Les armuriers Les mineurs |
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Ainsi s'achève cette période de 126 années. Comme on a pu le constater de très nombreuses nouvelle pièces sont venues enrichir l'habillement, à tel point qu'il est parfois difficile de s'y retrouver et de retenir toutes ces nouvelles appellations. Et encore une fois, les historiens ne sont pas toujours d'accord. Après la splendeur des années fastes du règne de Louis XIV, l'austérité revient liée à Madame de Maintenon, à la vieillesse, aux dépenses guerrières, peut-être à la raison… On peut considérer que cette période correspond à un énorme changement du costume qui s'éloigne définitivement de la mode du Moyen-Âge et annonce progressivement celle de la fin du XVIIIe siècle.
Bibliographie
G.G. Toudouze, Le Costume Français, Librairie Larousse, 1945
F. Boucher, L'Histoire du costume, Flammarion, 1983
M.Valtat, Le vêtement témoin de l'évolution historique et du mode de vie, édition SITAS
M.Zamacoïs, Le Costume, Voir et Savoir, Ed. Flammarion, 1936
N.Bailleux et B.Remaury, Modes et vêtements, Gallimard, 1995
Encyclopédie par l'image, Histoire du costume, librairie Hachette, 1924
Histoire de France, librairie Larousse, 1986
L'Histoire de la Civilisation, Ameublement, Costume, Vie privée, Librairie Armand Colin, 1926