LES MÉTIERS DE L'IMPRESSION
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HISTOIRE DE L'IMPRIMERIE
Pour commencer, il nous semble nécessaire de définir les mots "typographie" et "imprimerie" selon le dictionnaire encyclopédique Larousse.
Imprimerie : "Technique de reproduction d'un écrit et/ou d'une image, consistant à déposer, généralement par pression, sur un support (du papier, par exemple) et à l'aide d'un élément imprimant préalablement encré, la réplique fidèle de cet écrit et/ou de cette image en un ou plusieurs exemplaires".
Typographie : "Procédé de composition et d'impression sur formes (textes ou illustrations) en relief (caractères mobiles, gravures, clichés)".
Pour la plupart d'entre nous, Johan Gensfleich dit Gutenberg est le créateur de l'imprimerie. En réalité, d'après les définitions que nous venons de voir, il faut remonter beaucoup plus loin dans le temps.
Les premières reproductions d'écriture sont sans doute obtenues sur la cire ou l'argile avec les sceaux cylindriques et cachets qu'on retrouve, en nombre considérable, dans les plus anciennes cités : à Sumer, en Mésopotamie, en Elam ; elles peuvent dater de vingt-huit siècles avant notre ère. Des briques sont estampées en creux au moyen de formes de bois ou de métal. Des fouilles commencées en 1842, près de Ninive, ont permis de découvrir la Bibliothèque royale d'Assurbanipal, dernier grand roi d'Assyrie, (VIIe siècle av. J.-C.) composée de briques estampées, puis cuites.
Ensuite, la Chine connait l'imprimerie au moyen de formes de bois gravé. Nous sommes à la fin du 1er siècle de notre ère. Le texte, une prière ou un édit, est tracé sur une feuille de papier très mince qui est apposée sur une planchette enduite de riz bouilli. Le bois est enlevé tout autour de l'écriture, qui demeure seule en relief. On l'encre et on applique sur elle une feuille de papier de riz. Le transfert est obtenu à l'aide d'une brosse ou d'un frottoir. Ce procédé, la xylographie, peut être encore utilisé dans les pagodes bouddhistes.
La durée de vie de ces planchettes est très courte. De là vient sans doute l'invention de caractères mobiles, attribuée à Pi Sheng, vers 1041. Ces caractères, coulés dans des moules en sable, sont d'abord en terre cuite. Mais, tout aussi fragiles que les planchettes, ils sont coulés en étain, puis en bronze, à partir du XVe siècle. A noter ici le travail considérable que représente la réalisation de plusieurs milliers d'idéogrammes par rapport à nos 25 lettres de l'alphabet latin !
En Europe, si les impressions xylographiques se rattachent plus étroitement à l'histoire de la gravure par leur procédé, elles constituent le réel début de l'histoire de l'imprimerie. La technique est simple dans son principe ; il n'en est pas de même pour sa réalisation. Le texte et/ou l'illustration à imprimer sont tracés sur la planchette de bois. Celle-ci est ensuite évidée tout autour des caractères qui ressortent ainsi en relief sur le fond : le procédé est dit "en taille d'épargne". Après encrage, une feuille de papier est placée sur les gravures et pressée soit avec la paume de la main, soit avec une balle de crin entourée d'un linge, appelée "frotton". Le document ne peut être imprimé que d'un côté, le recto : on l'appelle un "anopisthographe". Ce procédé très minutieux se développe surtout dans des monastères, essentiellement dans l'est de la France.
La naissance ou l'essor de la gravure artistique au burin, sur bois, au XVe siècle, amena à concevoir l'idée de graver séparément chacune des vingt-cinq lettres de l'alphabet latin. C'est le hollandais Costër qui, le premier, aurait imaginé ces lettres mobiles, ou caractères d'imprimerie. Il en sculpte sur bois, isolément, les assemble, édite un petit livre de huit pages imprimées des deux côtés et contenant : l'alphabet, l'Oraison dominicale, le Symbole des apôtres. De cette manière, les lettres isolées peuvent être assemblées, former des mots, des lignes, des paquets ; et les mêmes caractères, après impression d'une page, peuvent être classés et réutilisés pour la composition d'un nouvel ouvrage.
C'est à Gutenberg, par contre, qu'on attribue le mérite d'avoir conçu l'ensemble du procédé typographique : confection de matrices, fonderie de caractères métalliques en relief (alliage de plomb, d'antimoine et d'étain), composition des textes, impression sur presse à bras inspirée des pressoirs des vignerons rhénans. La typographie succède ainsi à la copie manuscrite qui disparaît vers 1530. Ce nouveau procédé permet un nombre infini de combinaisons et, de chaque combinaison, le tirage d'un nombre plus ou moins important d'épreuves. Il sera utilisé jusqu'au milieu du XIXe siècle.
Les premières tentatives de Gutenberg, à Strasbourg, semblent dater de 1436. Par manque de moyens financiers, il s'associe vers 1450, à Mayence, avec Johan Fust et Peter Schöffer, jusqu'en 1455. Ils publient des ouvrages populaires de religion, de grammaire latine (donats), des Calendriers. La première édition attribuée à Gutenberg, le Speculum humanae salvationis, fut exécutée avec des caractères de plomb coulés dans le sable, puis retouchés au burin. Schöffer imagina des matrices en cuivre pour couler chaque lettre. Ils impriment une bible in-folio, dite à 42 lignes ou Bible mazarine (parce qu'elle appartint au cardinal et demeure à la bibliothèque Mazarine) vers 1450-1455.
Tout comme la xylographie, la typographie est simple dans son principe, beaucoup plus complexe dans la pratique.
La première démarche est la composition manuelle : l'artisan prend les caractères dans une boîte de rangement, la "casse", et les places sur une règle, "le composteur", pour former les mots, les lignes. L'ensemble des lignes est placé dans un châssis rigide, lui-même déposé sur le marbre de la presse.
Presse de Gutenberg, vers 1450 |
Cette presse de Gutenberg est initialement entièrement en bois, composée d'une surface plane, "le marbre", fixe et horizontal, " sur lequel on pose le châssis. Au-dessus, une surface plane, "la platine", horizontale, mobile de haut en bas, grâce à une vis de type pressoir. Les caractères en relief dirigés vers le haut sont encrés, recouverts d'une feuille de papier qui est imprimé grâce à la pression exercée par la platine. Les dimensions des feuilles de papier de cette époque sont relativement standardisées et de grandes dimensions ; alors en pouces, elles sont en centimètres : la couronne = 37 x 47, la coquille = 44 x 56, le raisin = 50 x 65, le jésus = 56 x 76. Il ne faut pas oublier que le papier est un produit cher, réservé à l'élite qui peut payer. Ces dimensions importantes impliquent une impression par moitié, d'où le nom de "presse à deux coups".
Un siècle plus tard, le marbre devient mobile, d'avant en arrière, pour faciliter l'encrage. Pour éviter un serrage du papier entre platine et caractères (la forme) et compenser les inégalités de hauteur des caractères, le marbre est recouvert d'un cadre rigide, "le tympan", de même dimension que le marbre, solidaire de celui-ci par des charnières, composé de plusieurs épaisseurs d'étoffes, "les blanchets", insérées entre deux feuilles de parchemin. A l'aide de charnières, le tympan est prolongé par un autre cadre, "la frisquette", composée d'une feuille de papier fort, de parchemin ou de métal, découpée aux dimensions de la forme : son rôle est d'empêcher le maculage du papier et de maintenir celui-ci à sa place.
Gravure de Jost Amman (1568) Gravure de C. Laplante (1891) |
Le tympan permet également d'assurer le registre, c'est-à-dire la correspondance entre les deux côtés d'une même feuille.
Le bois reste le composant essentiel de cette presse jusqu'en 1780, date à laquelle F.-A. Didot fabrique un marbre en fer et une platine en cuivre, doublant ainsi l'étendue de l'impression et donnant naissance à la "presse à un coup". En 1795, l'anglais Stanhope supprime le bois pour le remplacer par du métal. L'encrage est toujours manuel, avec un tampon en cuir, la balle.
Presse type Stanhope entièrement en métal, vers 1830 |
Entre la presse à deux coups et la presse à un coup, la production quotidienne passe de 300 à 3000 feuilles par jour.
L'allemand F. Koenig invente, en 1810, un encrage par des rouleaux (bois, crin ou feutre, cuir) se combinant avec le déplacement d'avant en arrière du marbre. Deux ans plus tard, il remplace la platine horizontale par un cylindre. Deux ans encore, et il double la presse qui comporte deux marbres et deux cylindres et qui est capable d'imprimer les deux côtés du papier d'abord en deux passages, puis en un seul par passage de la feuille d'un cylindre à l'autre. L'ensemble est mu par la vapeur. Enfin, nouvelle innovation en 1819 due à J.N. Gannal, le rouleau encreur est remplacé par la "composition", un mélange de gélatine, de mélasse auquel il sera ajouté de la glycérine.
Les caractères qui composent la forme ont été fabriqués, comme nous l'avons vu, en différents matériaux. Cette évolution concerne aussi le dessin proprement dit. Il est difficile de revenir en détail sur chacune de ces formes de caractère. En voici quelques' unes :
- type gothique : utilisé par Gutenberg pour écrire sa bible, il se rapproche de l'écriture employée alors en Rhénanie par les copistes. Cette appellation lui est donnée à la Renaissance pour souligner son côté barbare. Ce type est abandonné en France au milieu du XVIe siècle, mais conservé en Allemagne où il deviendra écriture nationale après modernisation à la fin du XVIIIe siècle.
- types anciens : ils reprennent l'écriture des grands auteurs latins, en réaction contre le gothique. Ils sont utilisés pour la première fois pour des éditions des œuvres de Cicéron et de Virgile. On distingue le romain, droit et l'italique, penché.
- type de transition : voulu par Louis XIV en 1692 pour l'Imprimerie Royale, il dérive du précédent, en plus condensé, avec des déliés plus minces et des empattements plus fins.
- types modernes : ils dérivent du précédent, en plus fins et condensés, grâce à l'amélioration des presses et du papier (le vélin plus lisse remplace le vergé). Il faut là retenir le nom de Didot, créateur de toute une famille de caractères de ce style qui porte le nom de… didot. Nous sommes à la fin du XVIIIe siècle.
- types antiques : d'origine anglaise, ils comportent deux familles : les "égyptiennes" aux larges empattements rectangulaires, sans pleins, ni déliés ; les "sans sérif" sans empattements, ni pleins, ni déliés, appelés aussi "grotesques". Ils datent du début du XIXe siècle.
1 Œil de la lettre 2 Talus de pied 3 Hauteur en papier 4 Chasse de la lettre 5 Corps de la lettre 6 Hauteur d'œil 7 Cran 8 Gouttière |
La hauteur de l'œil se mesure en point typographique qui correspond au sixième de la ligne du pied de roi, une ligne valant 2, 256 mm.
Dès le XVIe siècle, l'utilisation d'un moule, dit à Arçon, permet d'obtenir environ 200 caractères par heure.
A la fin du XIXe siècle, les caractères, en alliage de plomb, d'antimoine et d'étain sont fabriqués à partir d'une matrice en cuivre gravée en creux à l'aide d'un poinçon qui, lui, est gravé en relief par un ouvrier spécialisé, le graveur en caractères. Si, au tout début du siècle, le caractère est produit à l'unité, des machines automatisées voient le jour dès 1816 et permettent de fabriquer jusqu'à 120 lettres simultanément : le polyamatipe d'H. Didot.
Machine à fondre les caractères d'imprimerie (polyamatype). Fin XIXe siècle |
Des perfectionnements permettent de réaliser cette fabrication en continu, sans limitation du nombre de caractères produits.
Machine à fondre les caractères d'imprimerie en continu. Fin XIXe siècle |
Il va de soi que les caractères ainsi produits doivent subir de nombreuses retouches éliminant des aspérités à l'aide de meules à émeri, rectifiant la hauteur… Livrés à l'imprimeur, ils sont rangés dans des casses.
Vient alors le problème de la composition qui demande observation et concentration. L'ouvrier typographe a devant lui la casse posée sur un pupitre, le "rang". Il tient une réglette, le "composteur", de longueur variable, dite justification et correspondant à la longueur de la ligne imprimée. Il y place les caractères pour reproduire le texte, en intercalant des blancs ou espaces, moins hauts que les caractères eux-mêmes, qui séparent les mots. Les lignes obtenues sont séparées par des interlignes. Lorsque le composteur est plein, l'ouvrier place sa composition sur une planche métallique, la "galée", et ainsi de suite. Lorsque la galée est à peu près pleine, il lie les lignes à l'aide d'une ficelle pour former un paquet. Vient alors la mise en pages avec ajout du numéro d'ordre de la page, éventuellement d'un titre. Suit ensuite l'imposition qui consiste à placer dans un cadre, la "forme", les pages qui doivent être imprimées d'un même côté afin d'obtenir un cahier lors de son pliage. Pour imposer, l'ouvrier dispose d'abord ses paquets sur une table appelée "marbre", dans l'ordre qui correspond au format adopté pour l'ouvrage. Dans tous les cas, le nombre de pages composant la feuille se trouve divisé en deux parties égales dont chacune est destinée à imprimer l'un des côtés du papier. L'une des faces de la feuille est nommée "côté de première", et l'autre "côté de seconde". Par exemple, dans un in-folio où l'on imprime que deux pages à la fois de chaque côté de la feuille, la disposition est la suivante, les chiffres représentant les numéros des pages :
Côté de première Côté de seconde
1 4 3 2
Et pour un in-quarto, où l'on imprime 4 pages à la fois :
Côté de première Côté de seconde
4 5 6 3
1 8 7 2
Ensuite chaque format est entouré d'un châssis à l'intérieur duquel les pages sont séparés par des blocs de fonte, les "garnitures" ou marges. Après un dernier serrage à l'aide de réglettes, de biseaux, de coins, la forme est prête à être imprimée pour donner une épreuve. Intervient ensuite le correcteur assisté d'un teneur de copie qui lit l'original à haute voix. Un metteur en pages dirige les corrections. La deuxième épreuve est remise à l'auteur qui corrige si nécessaire ou signe et déclare "Bon à tirer".
Le tirage est réalisé après nettoyage des formes et trempe et remaniement des feuilles de papier qui consistent à humidifier celles-ci de façon uniforme. Certains documents sont réalisés avec du papier glacé obtenu par laminage :
Glaçage du papier par laminage. Fin XIXe siècle. |
Les premiers essais d'automatisation datent de 1812, en vain. C'est en 1884 qu'apparaît la première machine réellement automatique, utilisant des caractères préexistants. La vraie révolution en ce domaine consiste à créer les caractères au fur et à mesure des besoins. Plusieurs "fondeuses" arrivent ainsi sur le marché en cette fin de siècle : les fondeuses de lignes (Linotype, Intertype) et les fondeuses de caractères (Monotype), toutes deux commandées par un clavier semblable à celui d'une machine à écrire. Ses procédés ont incité les imprimeurs à chercher de nouveaux modèles de formes qui sont à l'origine de celles que nous trouvons aujourd'hui sur nos ordinateurs.
Si le problème de l'impression des textes a été résolu relativement rapidement (fin du XVe siècle), il n'en a pas été de même pour reproduire des illustrations. Il fallait, pour les réaliser, de véritables artistes capables de sculpter la forme dans le bois et d'obtenir un dessin identique à l'original. Deux techniques se sont succédé :
- Utilisation du bois de fil jusqu'à la fin du XVIIIe siècle, du XIXe pour des ouvrages populaires. Les fibres sont parallèles à la surface de la planche qui est en buis, en cormier ou en poirier. La taille est réalisée au couteau. Le dessin doit apparaître en relief, comme pour les lettres. La tâche est rendue difficile par la fragilité des fibres. L'intensité des différents gris est obtenue par le traçage de traits parallèles ou croisés, plus ou moins serrés, plus ou moins fins. Le plus souvent, ces sculptures sont réalisées par l'artiste créateur du chef-d'œuvre : c'est le cas d' A. Dürer.
- Utilisation du bois de bout, à partir du XIXe siècle. On retrouve les mêmes bois, mais leur découpe fait que les fibres sont perpendiculaires à la surface. La taille est réalisée au burin. L'artisan n'est donc plus contraint par l'orientation des fibres ; la tâche est plus facile et, surtout, le dessin comme le modelé des tons gris est beaucoup plus précis. Ce travail est confié à des spécialistes qui copient les ouvrages réalisés par des artistes créateurs. La célèbre revue "L'Illustration" fut imprimée grâce ce procédé.
La typographie, bien que prépondérante, n'a pas été le seul procédé utilisé au début de notre histoire. Dès le XVe siècle, fut mise au point une technique avec gravure en creux sur plaque de cuivre. Textes et illustrations ne pouvaient être réunis sur une même page et constituaient une première et une deuxième partie. Plus précise et autorisant une multiplication des copies, elle supplanta progressivement, à partir du XVIIe siècle, la gravure sur bois de fil. La Grande Encyclopédie de Diderot en a bénéficié. Elle est le point de départ de l'héliogravure moderne. Plusieurs techniques permettent d'obtenir cette gravure :
- la taille-douce (XVe siècle) : dessin réalisé au burin donnant une incision en V. A rapprocher de la technique de nielle des orfèvres.
- l'eau-forte (XVe siècle) : la plaque de cuivre est recouverte d'un vernis protecteur à base de cire et de bitume. Le dessin est réalisé sur cette couche mince, découvrant ainsi le cuivre qui est attaqué par une solution d'acide nitrique (plusieurs modalités possibles). Le modelé s'obtient par une exposition plus ou moins prolongée à l'acide.
- la manière noire (début XVIIe siècle) : la plaque est grainée à l'aide d'un instrument à base convexe, "le berceau", muni de fines dents pyramidales. Les grains ainsi obtenus sont écrasés par l'artiste laissant en relief le dessin voulu.
- le pointillé (milieu XVIIIe siècle) : le dessin est réalisé avec une roulette hérissée de pointes en acier, appuyée plus ou moins fortement pour obtenir le modelé souhaité.
- l'aquatinte (XVIIe - milieu XVIIIe siècle) : plus complexe, mais très utilisée, elle comporte un grainage avec sel ou résine suivi d'une attaque à l'acide.
Les plaques ainsi gravées sont enduites d'une encre visqueuse, puis essuyées, l'encre ne restant que dans les cavités. Une feuille de papier légèrement humide est placée sur la plaque, recouverte de flanelle, et pressée soit à la main, soit par passage entre deux rouleaux de bois dur disposés l'un au-dessus de l'autre.
Après les gravures en relief et en creux, un troisième procédé voit le jour à la toute fin du XVIIIe siècle, sans relief, sans creux : la lithographie. L'impression est réalisée sur une pierre calcaire sèche qui a la propriété d'incorporer une encre grasse non éliminée par un lavage ultérieur à l'eau. Si le lavage est effectué à l'aide d'une solution acide de gomme arabique, la pierre n'est plus réceptive à cette même encre. En pratique, le dessin est réalisé sur la pierre avec une encre contenant cire, résine…, colorée au noir de fumée. La pierre est ensuite enduite d'une solution acide de gomme arabique, puis encrée au rouleau. Cette encre ne prend que sur le dessin. Le papier est placé sur cette forme, couvert de feuilles de papier épais ou de cartons amortisseurs et le tout est mis sous presse.
Presse lithographique à main. Fin XIXe siècle |
Avec le XIXe siècle arrive une nouvelle invention, la photographie (voir notre article sur "L'éclairage dans les laboratoires de photographie") qui fait appel à des ouvriers spécialisés, et non plus à des artistes. Le procédé modifie les différents types d'impression : en relief, en creux, sans relief et sans creux ; c'est la photogravure.
La photogravure fait appel à un procédé chimique et non plus à l'adresse d'un sculpteur. Deux observations sont à son origine. D'une part, une substance colloïdale organique (albumine, gélatine, gomme arabique…) contenant des bichromates alcalins devient insoluble dans une solution aqueuse et durcit si elle est exposée à la lumière. D'autre part, les halogénures d'argent libèrent le métal argent sous l'effet de la lumière et d'un réducteur. Sur un plan technique, la solution colloïdale bichromatée est coulée en couche mince sur un support métallique, puis séchée. L'illustration à reproduire est supportée par un document transparent. Celui-ci est placé sur la plaque de colloïde et exposé à la lumière : les zones claires laissent passer la lumière qui induit le durcissement du colloïde, alors que les zones sombres ne laissent pas passer les rayons, laissant soluble le colloïde. Le document transparent est alors enlevé et la plaque trempée dans une solution aqueuse qui élimine le colloïde non durci. On fait agir un acide qui attaque le métal à l'endroit où il n'est plus protégé. Suivant le procédé d'impression utilisé, le document transparent est un négatif si les éléments sont en relief, un positif s'ils sont en creux, un positif ou un négatif s'ils sont sans relief et sans creux.
Le document transparent est composé d'une solution épaisse, facile à couler sur un support rigide : le premier à être utilisé fut le collodion (vers 1850) remplacé par la gélatine (en 1871). Dans celle-ci est incorporé un halogénure d'argent (un bromure) sous forme de microcristaux qui vont se transformer en argent métallique sous l'effet de la lumière. Celui-ci donne une image latente qui devient visible sous l'effet d'un réducteur- multiplicateur, le sulfite de sodium : c'est la phase de développement. Une fixation par de l'hyposulfite de sodium neutralise les cristaux non activés. On obtient un document dit négatif. Le positif sera obtenu sur une autre surface sensible par application sur le précédent, suivi d'illumination…
Le support rigide a longtemps été constitué de plaques de verre, remplacé un temps, en 1873, par du celluloïd, puis de l'acétate de cellulose, vers 1920 et, enfin, des composés plus stables physiquement (polystyrène, polycarbonate, polyester).
Nous avons vu plus haut que le modelé, la distinction entre les différents gris, était obtenu par la réalisation de traits parallèles ou croisés, plus ou moins épais, plus ou moins serrés. L'interprétation du graveur n'était pas sans conséquence. Un procédé entièrement photographique pallia ce problème en utilisant la trame quadrillée : l'original est interprété en une série de petits points de surface variable autorisant la reproduction des demi-tons en similigravure.
L'évolution de la société, de l'éducation, la demande croissante d'informations exigent une production plus importante de livres, de journaux dès le début du XVIIIe siècle. Les caractères imprimants de la typographie n'ont pas une résistance suffisante pour permettre la réalisation de dizaines de milliers, voire beaucoup plus, de copies. Par ailleurs, la composition est longue. Pour multiplier les formes imprimantes sans avoir à les recomposer, un moulage de l'originale est réalisé avec du plâtre ou de l'argile, dans lequel on coule du plomb en fusion : ainsi furent imprimés les assignats. Le démoulage est délicat et le procédé est abandonné. A la fin du XVIIIe siècle, F. Didot reprend l'idée et coule le plomb dans un moule en plâtre chauffé. Plus tard, d'autres matériaux sont utilisés à la place du plâtre comme des feuilles de papier recouvertes de kaolin… constituant le "flan humide" ou encore un carton souple, le "flan sec". Ces derniers stéréotypes peuvent être cintrés et montés sur des rotatives. Cette reproduction concerne des lignes, des pages produites à de multiples exemplaires qui peuvent être disposées sur plusieurs presses pour réaliser de très nombreuses copies. Par ailleurs, les caractères originaux peuvent être rangés dans leur casse et réutilisés immédiatement pour une autre composition. De nouveaux matériaux apparaitront au XXe siècle : caoutchouc, chlorure de polyvinyle…
L'obtention de ces copies est réalisée également par un autre procédé, la galvanoplastie : pour simplifier, l'empreinte de l'original est prise à l'aide d'une cire qui est placée dans un bain électrolytique de sulfate de cuivre. Sous l'effet d'un courant électrique, le cuivre métallique se dépose sur l'empreinte. Lorsque cette couche métallique, "la coquille", est suffisamment épaisse, elle est retirée, rigidifiée grâce à un support de plomb… On obtient un "galvano".
Les presses évoluent également : si la presse à deux plans horizontaux (marbre et platine) persiste avec quelques améliorations, elle est concurrencée au milieu du XIXe siècle par la presse à cylindre, soit simple (marbre contre cylindre, donnant lieu à de nombreuses inventions ; machines à arrêt de cylindre, à deux tours, à réaction, à un tour, à déroulement), soit double (cylindre contre cylindre : les rotatives, à partir de 1846). A noter que l'utilisation du cylindre date du milieu du XVIIIe siècle pour l'impression du textile qui était alors produit en rouleaux, contrairement au papier produit feuille à feuille jusqu'en cette fin de première moitié du XIXe siècle.
Presse typographique à vapeur pour tirage double. Fin XIXe siècle. |
Reste le problème de l'impression en couleur. Trois procédés sont employés :
- l'impression typographique en couleur : les presses rotatives comportent autant de cylindres qu'il y a de couleurs à imprimer. Ces cylindres portent chacun un cliché en cuivre obtenu par galvanoplastie et présentant en relief les parties du dessin qui doivent avoir la même couleur. La feuille passe successivement sur chacun de ces cylindres qui a été encré à la couleur voulue.
- la chromolithographie : on réalise d'abord un calque au trait de l'illustration à imprimer, avec une encre lithographique. On reporte ce calque sur une pierre lithographique à partir de laquelle, avec une encre légère, on tire sur papier autant d'épreuves que de couleurs nécessaires. Ensuite, pour une couleur donnée, on couvre d'encre grasse et noire toutes les parties qui doivent être de cette couleur. L'attaque à l'acide concerne les parties non recouvertes d'encre grasse. Après lavage, on passe un rouleau imprégné d'encre de la couleur voulue qui ne va imprégner que les parties non attaquées. Ensuite le papier est pressé sur chaque pierre ainsi traitée… Des points de repères sont bien sûr indispensables !
- la chromotypographie : les pierres lithographiques sont remplacées par des plaques de zinc. Les mêmes épreuves que précédemment sont utilisées successivement. Sur chacune, on coule une encre protectrice, puis on attaque à l'acide qui creuse le zinc, laissant en relief les parties à imprimer. La plaque de zinc est finalement posée une planche de bois. Chacun des clichés ainsi obtenus sert à l'impression successive des différentes couleurs.
Quel que soit le procédé utilisé, on s'aperçoit du travail considérable qu'il faut entreprendre et les progrès considérables que vont apporter les procédés photographiques à partir des années 1920. Et pourtant, en cette année 1891, la satisfaction est grande : "C'est par ce procédé que l'on imprime les albums si jolis qui font le bonheur de nos enfants et qui se distinguent aujourd'hui par des qualités artistiques que notre jeunesse n'a pas connues".
L'évolution des presses, l'invention de la photographie, une meilleure connaissance des réactions chimiques feront évoluer à partir de la toute fin du XIXe siècle les procédés utilisés jusqu'alors, donnant naissance pour la gravure en creux, à l'héliogravure et pour la gravure sans creux, sans relief, à l'offset. Ces deux techniques seront d'abord utilisées pour les illustrations, puis très rapidement et conjointement pour les textes et les illustrations.
La découverte de l'imprimerie est l'une de celles qui a fait le plus évoluer l'humanité : partage des connaissances, des idées, des informations, instruction de tous.
L'art nouveau, car, à l'origine, il s'agit bien d'un art, se répandit avec rapidité par la vallée du Rhin, dans tout l'Europe. Deux ouvriers de Gutenberg, Sweynheim et A. Pannartz, s'établirent en 1464 en Italie, à Subiaco, puis à Rome. N. Jenson, maître de monnaie à Tours, envoyé par Charles VII à Mayence pour connaître "les secrets de l'art", les porta à Venise, où Alde Manuce fonda, en 1490, sa dynastie d'imprimeurs qui devait durer un siècle. Alde publia un Virgile en 1-8°, portatif et économique en caractères penchés dits aldini ou italiques (1500).
En France, J. de la Pierre et G. Fichet firent venir trois ouvriers allemands : M. Friburger, M. Crantz et U. Gering (1469). Après eux, citons les imprimeurs français : les Estienne (1500 à 1661) ; à Lyon, E. Dolet ; S. Cramoisy au XVIIe siècle, et maints autres ; aux XVIIIe et XIXe siècles, les Didot.
A l'étranger, Mathias Corvin appelle A. Hess de Parme à Budapest en 1473. L'Angleterre a une imprimerie à Oxford en 1479, puis à Londres. Les Pays-Bas ont les Plantin à Anvers (1458-1876), puis les Elzévir à Leyde (1580-1636).
En France, les imprimeurs sont entravés au début par des règlements restrictifs (déjà !) : l'ordonnance de Moulins (1566) impose l'autorisation préalable. Un décret de 1791 supprime les brevets et établit la liberté. Mais un décret de 1810 fixe le nombre des imprimeurs et rétablit les brevets que le ministre de l'Intérieur est juge d'accorder ou de retirer. La loi du 29 juillet 1881 proclame la liberté de la presse et de l'imprimerie, en rendant obligatoires sur tout imprimé le nom et l'adresse de l'imprimeur et en soumettant l'imprimeur au dépôt légal.
Au plan national, une première imprimerie est créée par François 1er en 1538, transformée en Imprimerie Royale en 1640 par Richelieu et installée au Louvre. Suivant le régime politique, elle change ensuite régulièrement de nom pour devenir en 1870 l'Imprimerie Nationale. Sous la tutelle du ministère des Finances en 1910, elle devient société anonyme en 1994 avec un capital appartenant à 100 % à l'Etat. Depuis cette date, elle a changé à plusieurs reprises d'adresse et de statut juridique. Elle est en charge de l'impression de documents officiels tels que passeports, permis de conduire, cartes d'identité… Elle possède d'importantes archives, écrites ou matérielles, sur l'histoire de l'imprimerie.
En résumé,
La découverte de l'imprimerie, en conservant la pensée écrite ou l'image, en les diffusant à de nombreux exemplaires, en les mettant ainsi à la portée d'un très large public, a transformé la société humaine et ouvert une ère nouvelle. Après l'imprimerie typographique, première en date et dont les formes sont constituées par des éléments imprimants en relief, d'autres procédés sont nés, répondant à des besoins nouveaux ou issus de possibilités nouvelles : la taille-douce, l'eau-forte et leurs dérivés, où les éléments imprimants sont en creux ; la lithographie où éléments imprimants et non imprimants sont sur le même plan. La photographie a donné naissance à la photogravure et a permis de compléter les procédés manuels de dessin, de gravure, de composition, par des procédés photomécaniques, lesquels ont rendu possible l'impression d'illustration en noir et en couleurs. Nouveaux venus depuis le début du siècle, l'offset et l'héliogravure ont pris une rapide extension pour l'impression de périodiques et de catalogues.
Fidèles à nos habitudes, nous arrêtons cette étude à la fin du XIXe siècle. Nous nous apercevons qu'il y a encore beaucoup à dire sur cette invention extraordinaire. Peut-être, complémenterons-nous cet article… un jour !?
FIN
Bibliographie
G. Martin, L'imprimerie, Collection Que sais-je ? P.U.F. 1971
V. Letouzey, La typographie, Collection Que sais-je ? P.U.F. 1970
P. Poiré, A travers l'industrie, Librairie Hachette et CIE, Imprimerie Lahure, Paris, 1891
Wikipedia L'Imprimerie Nationale.