LE MONDE AGRICOLE
DU PAYS DU JAREZ ET D'AILLEURS
Du Xe au XIXe siècle
Propriétaires, tenanciers, impôts
À côté des ecclésiastiques et des nobles tout puissants, on trouve, au bas de l'échelle sociale, les vilains et les serfs. Ce sont eux qui s'occupent du travail de la terre, même si certains d'entre eux peuvent être remarqués par leur seigneur, se spécialisent et sont à l'origine des artisans libres. Si l'on met de côté les quelques terres possédées par des vilains en franche propriété, l'alleu ou franc-alleu, libre de tous droits et impositions, on distingue deux catégories de paysans :
- d'une part, ceux qui sont libres, les vilains (habitants d'une "villa", domaine) et roturiers (laboureur, de "rutura", action de rompre la terre du soc de la charrue) ; ils sont soumis à de nombreuses taxes, ne sont pas indemnisés en cas de guerre. Leur terrain peut être vendu s'ils ne peuvent acquitter les taxes dues au seigneur.
- d'autre part les serfs, aux libertés limitées, mais qui, contrairement à l'esclave romain qui est un objet, reste une personne. Il a une famille, une maison, un champ et paye des redevances. Seule obligation : il ne peut quitter la terre qu'il cultive - comme le noble, d'ailleurs -, mais inversement, on ne peut pas l'en chasser, ce qui fut considéré comme un privilège par rapport aux tenanciers libres - une véritable assurance chômage, avant l'heure. Autre conséquence positive de cet attachement : l'absence de responsabilités civiles et d'obligations militaires. Il fait donc corps avec sa terre. Tout n'est pourtant pas parfait. Sur lui, le seigneur jouit :
* du droit de suite : il peut ramener de force le serf qui est parti de chez lui, sauf si c'est pour un pèlerinage. A partir
du Xe siècle, l'Église crée, avec le roi et les comtes, des terres de refuges ou sauvetés qui font bénéficier ceux qui s'y
installent d'un droit de suite qui les rend libres, eux et leurs familles. C'est, aussi, pour le seigneur, le moyen de créer
de nouveaux villages pour faire travailler ses terres.
* de formariage, encore dit "du seigneur", c'est-à-dire l'interdiction de se marier en dehors du domaine. Celui-ci fut
contesté par l'Église et peu appliqué dès le Xe siècle ; il fut remplacé par une indemnité financière.
* de la mainmorte, qui donnait au seigneur tous les biens acquis par le serf à sa mort, s'il n'a pas d'héritier direct
(l'échute). Heureusement, le serf put rapidement transmettre par testament ses biens à ses enfants.
Dès le XIIIe siècle, le serf peut être affranchi, soit individuellement, moyennant une certaine somme ou une taxe payée annuellement, comme le roturier, soit avec tous les habitants d'une cité (d'où les noms de Francheville, Villefranche…). À St Chamond, Gui I de Jarez accorde à ses sujets la Charte de Franchises le 10 novembre 1224, avec notamment la clause suivante : "Le serviteur qui aura demeuré par an et jour, en la ville franche, sans faire calomnie à son maître, il est libre et franc, et mis au rang des bourgeois". C'est à cette même époque que se multiplient les Communes : avec l'accord du seigneur, des magistrats, les Consuls, sont élus par la population pour participer à la gestion du domaine, notamment, lever les impôts, arbitrer en cas de conflit…
Le servage personnel disparaît dès le XIVe siècle, mais n'est aboli définitivement qu'en 1779 par Louis XVI, 10 ans avant la fameuse nuit du 4 août.
Tout domaine appartient à plusieurs propriétaires ou ayants droit. En réalité, "il est constitué de deux parties : d'une part, la réserve qui est la partie fixe de la seigneurie, laïque ou ecclésiastique ; d'autre part, la censive qui peut évoluer continuellement. Cette dernière est la propriété du tenancier (ou fermier), mais reste sous la tutelle du seigneur". Les "contrats" entre propriétaire foncier et tenancier sont innombrables. Suivant la province, mais aussi suivant la richesse de la terre, suivant son exposition, ils sont régis soit par le droit écrit, dit romain, dans le midi, soit par le droit coutumier, dans le nord. Lyonnais et Forez sont entre les deux et usent des deux. Dans tous les cas, le paysan, vilain ou serf, est soumis à des taxes. Si l'on se plaint aujourd'hui des trop nombreux impôts créés par l'État, il est certain que cela ne date pas de ces dernières décennies. Parmi celles-ci, on peut citer :
- la taille, basée sur la surface de la propriété, payée en monnaie, destinée à l'origine au seigneur, puis, à partir du XVe siècle, pour entretenir l'armée. En sont exemptés les nobles, les ecclésiastiques, les marchands des villes, les étudiants, les universitaires. Elle ne touche donc que les paysans ;
- la dîme, qui correspond au 1/10ème des produits de la terre et de l'élevage, est versée à l'Église et à ses serviteurs. Les curés de campagne n'en profitaient guère car ils étaient obligés, le plus souvent, d'en reverser la plus grosse partie aux instances dirigeantes : évêques, chanoines, abbés ou congrégations… Elle est obligatoire à partir du VIe siècle, due par tous à l'exception de quelques ordres religieux (Cluny, Cîteaux, Chartreux…). On distingue les dîmes novales, personnelles et mixtes…
- les cens et servis : redevances annuelles fixes correspondant au 1/5ème des revenus en contrepartie d'un titre appelé "emphitéose" ou bail à cens par lequel le propriétaire réel de la terre met à disposition celle-ci pour en jouir à perpétuité, à la charge du tenancier de la cultiver, de l'améliorer et de payer au bailleur une redevance annuelle ;
- la tâche, qui représente le quart de la récolte ;
- les corvées qui se traduisent par quelques jours de travail pour le compte du propriétaire ;
- les taxes de mutation foncière, si le tenancier désire "vendre" une partie "du droit au bail" de sa terre ;
- le droit de blonde ou fouage, pour faire du feu dans sa maison ;
- les droits de loads et miloads prélevés sur le montant de l'héritage ;
- le droit de champart, qui permet de lever une certaine quantité de gerbes ;
- les droits de porterage, de taille baptisée, de guet, de chasse, de retrait censuel …;
- les droits de banalité pour le pain, moudre le blé, faire le vin dans les ateliers du propriétaire.
- le droit de leyde sur les denrées alimentaires. Au début du XVIIe siècle, ce droit est contesté par les consuls de Saint Chamond. Il équivaut à un soixantième sur le blé et le seigle, un trentième sur l'orge, l'avoine, les pois, les fèves et autres légumes, les graines de lin et de chanvre.
Si l'on ajoute à cela les très nombreuses intempéries (gel, inondations) et épidémies (peste), les brigands et pillards (en particulier, les Tards Venus, au XIVe), les guerres dévastatrices pour les cultures qui touchent toute la population jusqu'à la fin du XVIIIe siècle, on peut penser que la vie du paysan n'était pas très douce et paisible, même si les relations qu'il entretenait avec son protecteur étaient le plus souvent très humaines et basées sur une "considération réciproque".
L'ÉCONOMIE AGRICOLE
du
PAYS DE JAREZ
Cultures, Elevages, Commerce.
Avant l'invasion romaine (58 avant J.C.), le fond de la vallée du Gier est constitué de marécages surplombés par des forêts de chênes et de sapins.
Dans les premiers siècles, l'habitat est fait de huttes de bois et de branchages : le paysan défriche quelques lopins pour les besoins de la famille. Quand la terre n'est plus fertile, il recommence ailleurs : c'est une vie de nomade. Avant la fin du 1er millénaire, les fermes sont construites en pisé pour la plupart, puis, à partir du XIIIe siècle, avec l'apparition de la notion de propriété, l'amélioration des voies de transport, et donc le développement du commerce, des richesses nouvelles, certaines le sont en schiste et grès du Jarez ou en granit du Pilat, près du château du seigneur. Elles comprennent une cour fermée, un plan incliné pour accéder à l'étable, le suel pour battre les céréales avec le fléau, un hangar pour ranger le bois du foyer, les outils agraires et la charrue. Un petit atelier permet de travailler le fer et le bois et de faire une place au sabotier qui passe pour rechausser toute la famille. Enfin, le puits et l'aître, balcon de bois protégé par le prolongement de la toiture où se balancent les chazères ou chazières.
Pour la consommation familiale, bien souvent frugale, chaque ferme possède son jardin, sa basse-cour, ses vaches, ses moutons, ses chèvres, ses lapins, ses porcs. Le moindre surplus est vendu, notamment les produits dérivés, le lait, le fromage, le beurre, les œufs. Le manque d'hygiène et la privation sont à l'origine de problèmes de santé, de décès précoces.
Dans le Pays de Jarez, les cultures varient suivant le versant considéré. Côté est, St Paul en Jarez, Doizieu, plus généralement le Pilat, versant du Gier (par opposition à la vallée du Rhône), il y a bien quelques cultures de céréales, quelques vignes, de l'élevage (mules, taureaux, chevaux), mais surtout un massif forestier important et versant Rhône, le soleil permet de cultiver la vigne (les vins du "Rivage"). Côté ouest, Cellieu, Chagnon, St Martin la Plaine, St Romain en Jarez…, outre les cultures de céréales et quelques arbres fruitiers, c'est la vigne qui domine.
Le Versant EST
Les terres du Pilat, moins ensoleillées, sont pauvres, difficiles à travailler. On y cultive, dès le bas Moyen-âge, le seigle, l'avoine, l'orge, un peu de froment, des choux et des raves pour la soupe, le chanvre, le lin, quelques vignes. On y trouve des sous-bois de hêtres, à basse et moyenne altitude, des pins sylvestres qui donnent les buttes pour la mine et en hauteur, les sapinières qui alimentent les scieries.
Dès leur arrivée, à la fin du XIIIe siècle, les Chartreux de Sainte Croix en Jarez deviennent de riches propriétaires terriens, par donations ou acquisitions. Ils disposent de prés, de terres, de bois et "pâquerages", et de trois scies sur le Furens. Rapidement, ils apprennent aux populations à travailler la terre, le bois, le fer.
Avec l'apparition des Chartes des Franchises, au XIIIe siècle, le jarèzien des montagnes peut multiplier ses activités, pour améliorer ses revenus, quand il ne peut plus travailler sa terre devenue trop dure :
- les femmes filent la laine, tissent le chanvre cultivé sur place ou le lin.
- l'homme est cloutier grâce à sa petite forge. Juste pour gagner quelques sous de plus, pas grand'chose : "Il travaillait bien souvent pour des clous".
- à partir du XVe siècle, il n'hésite pas à envoyer ses filles, parfois encore enfants dans les petites usines de moulinage, le long du Gier ou du Dorlay.
- l'hiver, entre Perdrix et Oeillon, La Roche, Le Planil, il découpe des blocs de glace qu'il charge sur un tombereau tiré par les bœufs, la nuit pour garder le froid et, à travers Chavanol, Saint-Chamond, les livre aux glacières de St Etienne. De là, il va sur le plâtre d'un puits pour acheter de la maréchale, un charbon gras pour sa forge à clous.
- mineur en hiver, c'est un "blanc". Il retourne sur ses terres pour les labours. Et s'il s'installe à la ville, il revient pour les foins, les moissons, ou pour tuer le cochon.
- enfin, le Pilat est la voie de passage entre Vivarais et Forez. Le transport se fait à dos de chevaux, ou plutôt de mulets. Du Rhône et d'Annonay, les marchands apportent les épices, les drogueries, les draperies et surtout les vins du Rivage ; de Saint- Etienne, le charbon, les rubans, les armes et la clincaille. Au retour, d'Auvergne et du Velay, ils rapportent les blés, les pois, les lentilles. Par couble de 25 mulets, le vin est transporté dans des outres de peau de bœuf cousues. Ce commerce fait vivre, aussi, auberges, marchands de fourrages, maréchaux-ferrants.
- au village, les jours de marché, la fermière transporte dans son panier le companage, de "cum pane", ce qui se mange avec le pain : le beurre décoré au moule ou au rouleau, le fromage de vache, les rigottes de chèvre ; dans des cages en osier, les lapins, les poules liées par les pattes ; et puis, dans un panier, quelques légumes tirés du jardin, quelques fleurs, suivant la saison, des champignons, des châtaignes et du miel.
À Saint-Chamond, le marché du jeudi ainsi que des foires existent depuis au moins 1309. En 1586, Jacques Mitte demande confirmation des quatre foires annuelles et des trois marchés hebdomadaires des mardi, jeudi et samedi. On y trouve, là encore, l'indispensable de la vie quotidienne : denrées alimentaires, céréales déjà citées, fruits et légumes (pois, fèves, noix, châtaignes, pommes, poires…), viande de porc, poissons (harengs et anguilles), fromages, beurre, huile. Également, des animaux destinés à l'élevage (vaches, moutons, chèvres), au trait et à la boucherie (chevaux, bœufs), des graines de lin et de chanvre qui permettront de fabriquer des tissus (draps, vêtements…). Enfin des produits fabriqués pendant l'hiver : brouettes, jougs, outils de jardin. Ces marchés font vivre non seulement les paysans, mais aussi les médecins, les apothicaires, les muletiers (cotauds).
Aux derniers jours de l'école, les parents de la ville confient à ceux des champs le coissou, le petit dernier, pour garder les vaches et prendre des couleurs : "aller à maître ou à la queue des vaches". Pour le pauvre gamin, ce n'est pas toujours une sinécure.
Au XVe siècle, quelques vignes sont plantées à Saint-Chamond, sur le coteau qui domine le pré Saint Antoine (Place de la Liberté). Les raisins et le vin qui en sont issus servent à nourrir les malades de l'hôpital tout proche.
Malgré l'interdiction de François 1er qui veut réserver le droit de chasse aux nobles, celui-ci est maintenu en 1496 contre 300 livres. C'est un apport alimentaire important. Ce droit concerne tout le territoire de la baronnie, à l'exception des abords immédiats du château. Le seigneur autorise l'utilisation "d'arbalète et de deux chiens pour chasser les lièvres, les perdrix, les chevreuils, les cerfs, les loups, les sangliers et autres bêtes sauvages, le droit de les emporter, mais avec la réserve, pour chaque sanglier, d'en donner au baron la tête et un quartier de devant, le cœur de chaque cerf."
"Quant à la pêche le seigneur en restait le maître exclusif depuis Soulage jusqu'à Saint Julien".
Le Gier participe au développement de l'activité locale : en 1595, en haut du Gier, on trouve "deux moulins appelés seytes, à faire des ais (planchettes de bois servant soit à réaliser les plats des reliures médiévales, soit à séparer et presser les volumes mis en presse), l'ung appelé du Pallais, accompagné d'un boys sappin d'hauste fustée, l'autre appelé du Sault du Gier".
Au XVIe siècle, une dérivation du Gier sert à arroser les prés du château en aval du Creux.
Au XVIIIe siècle, le Mont Pilat est l'objet de toutes les attentions de botanistes renommés et surtout de l'écrivain et philosophe Jean Jacques Rousseau "venu trop tard pour les fleurs et trop tôt pour les graines", en 1769.
En 1765, on trouve "au bas de la montagne de Pila quelques scies à eau, sur la rivière de Gier, propres à travailler les sapins et à les convertir en planches".
Le Gier compte aussi 22 moulins à blé. D'où provenait ce blé ? Cette densité s'expliquait plus par l'importance de la consommation que par la production locale. Peut-être était-il apporté du versant ouest de la vallée ou d'Auvergne ? On peut citer celui de St Pierre, propriété du seigneur, ceux de la Grenette (place de la halle) et de Notre-Dame, propriété de l'ordre hospitalier de Saint Antoine de Viennois. Les moulins d'Izieux, aussi propriétés du seigneur, jouissent "de l'ancien droit local de suspendre les arrosages de la semaine, parce que la mouture était un cas d'utilité publique". "Ce moulin consiste en un corps de bâtiments composé d'un rez-de-chaussée où se trouvent une cuisine très obscure, une chambre au-dessus et un grenier régnant sur icelle ; deux moulins à moudre le blé avec leurs tournants, une pièce au-dessus avec un pigeonnier que dit avoir construit le fermier ; en bise dudit bâtiment est une écurie avec une fenière, un caveau et un grenier au-dessus…" Un autre bâtiment contient "un moulin propre à battre l'écorce de chêne", pour la tannerie ou la teinture, ainsi qu'un "emplacement servant jadis de battoir à chanvre".
En 1790, l'État cherche à conserver les forêts du Mont Pilat pour constituer une flotte de guerre.
A la fin du XVIIIe siècle, les propriétaires d'artifices, c'est-à-dire de biefs et de roues, ne peuvent utiliser les eaux du Gier qu'après l'arrosage des prairies du Creux, du samedi au lundi, et après celui de différents autres prés…
La Grange de Pilat, la Jasserie, est ferme, mais aussi auberge. Les troupeaux y sont nombreux : chevaux, mules, vaches, taureaux, chèvres. C'est le point de ralliement des pâtres. Les paysans de la vallée du Gier leur confient, au printemps, leurs génisses et les récupèrent l'automne venu. De quoi gagner quelques sous de plus pour ces bergers isolés.
A partir du XIXe siècle, apparaissent de nouvelles cultures : colza pour l'huile, pommes de terre.
De nouvelles technologies, mais aussi de nouveaux métiers vont modifier l'environnement du Gier. La machine à vapeur va provoquer la disparition progressive des moulins. Inversement, certaines professions – blanchiers, tanneurs…- vont altérer considérablement les eaux claires du Gier qui, à la sortie de Saint-Chamond, ne seront que boue et huile. Pour cacher puanteur, aspect sordide et rats, les travaux de couverture du Janon et du Gier débutent en 1896 pour se terminer dans la fin des années 1960.
Le Versant OUEST
Sur le versant ouest de la vallée du Gier, à part châtaigniers et noyers, on ne rencontre pas ou peu de forêts ce qui laisse plus de place à certaines cultures. Depuis le début du premier millénaire, on retrouve à la ferme, les volailles, les porcs, le jardin avec ses mêmes légumes. Avec le défrichage progressif, l'utilisation des araires, les prés et pâturages permettent l'élevage des vaches qui donnent lait, beurre, fromage, des bœufs pour l'alimentation et le trait, des moutons, des chèvres, des chevaux.
On y trouve également des ruches. Dans les terres labourables, à côté du seigle, de l'orge, de l'avoine, du chanvre – dans les chenevières -, du lin, on cultive le blé, le méteil (blé et seigle cultivés ensemble). Ces cultures permettent à d'anciens serfs de créer un petit artisanat local : meunier, fileuse, tisserand.
L'exposition au soleil permet aussi de planter vignes et arbres fruitiers.
La vigne, apportée sans doute par les romains, permet de préparer un vin consommé sur place : mineurs, forgerons, cloutiers, paysans en font une grosse consommation. Au-dessus de Rive-de-Gier, la vigne est plantée sur des challiers, terrasses étroites en escalier, soutenues par des murettes de pierres sèches. On en trouve sur tous les coteaux orientés au midi et sur les collines de Saint-Martin-la-Plaine.
Quant aux arbres fruitiers, ils sont présents de tout temps : cerises de Chagnon, de Saint-Genis-Terrenoire et de Saint-Martin-la-Plaine, pêchers de Saint-Martin bien avant le XVIIe siècle.
Comme les paysans du Pilat, ceux du versant ouest sont obligés de trouver des revenus en dehors de leurs fermes. Ce sont les mêmes tâches qui leur permettent de faire vivre leur famille, souvent nombreuse, et de payer les taxes : forgeron pour faire des chaînes, à St Martin la Plaine, mineur, marchand sur les marchés…
Au XIXe siècle, arrivent de nouvelles cultures : pommes de terre, maïs, betteraves fourragères. Les surfaces utilisées pour la vigne sont triplées par rapport au siècle précédent. L'arboriculture prend son essor dès les années 1920 – cerises surtout, mais aussi pommes, poires, pêches, prunes, abricots -, laissant loin derrière, progressivement, les cultures de céréales, la vigne, l'élevage – volailles, bœufs...
Cette étude bien incomplète de l'agriculture dans le Pays de Jarez a cherché à montrer les difficultés que rencontrèrent nos ancêtres : terres pauvres, donc cultures sans originalité, juste suffisantes pour permettre de vivre. Et pourtant, grâce à la "débrouille", au travail acharné, inhumain, souvent inimaginable à notre époque, à l'innovation, à la qualification de la main d'œuvre obtenue sur le tas dans la forge, le textile, ils s'en sont sortis pour créer au XIXe siècle la première région industrielle de France. Quel exemple pour les générations futures !
Comme nous l'avons dit dans la rubrique "En bref d'août 2022", cet article ne fait que reprendre celui que nous avions édité, il y a quelques années, dans les Métiers d'antan, l'Agriculteur. Nous pensons qu'il a toute sa place dans cette nouvelle rubrique "La société en France". L'acquisition de nouveaux documents nous permettra de compléter ce texte.
FIN
Bibliographie
1 Lumière du Moyen-Age, par Régine Pernoud Ed. Grasset 2000
2 Saint Martin la Plaine, par Jean Combe Ed. Dumas 1960
3 Le Bessat et ses environs, par Jean Combe Ed. Dumas 1969
4 La vie quotidienne en Forez avant 1914, par B. Plessy Ed. Hachette 1981
5 Cellieu, par Gérard Chaperon Ed. Arts graphiques 1999
6 Saint Chamond, par Gérard Chaperon Ed. Arts graphiques 2010
7 Le Jarez d'hier et d'aujourd'hui n° 21 "Au temps des eaux vives", par Louis Challet Les Amis
du Vieux St Chamond Ed. Reboul imprimerie 1993
8 Le Jarez d'hier et d'aujourd'hui n° 21 "Les Chartes du Forez", par G.Duranton et J.Figuet Les
Amis du Vieux St Chamond Ed. Reboul imprimerie 1993
9 Histoire du Forez, par M. Antoine Ed. de la Grande Fontaine 1883 Rééd. SEPEC 1999
10 Le Jarez d'hier et d'aujourd'hui n° 37 et 38 "Saint Chamond du XIè au XVI8 siècle", par R.Defay
Les Amis du Vieux St Chamond Ed. Reboul imprimerie 2001
11 Histoire de la ville d'Izieux, par Lapourré 1921 Les Amis du Vieux Saint Chamond Rééd. Reboul
Imprimerie 1990
12 La Loire, par G.Touchard-Lafosse Ed. du Bastion Rééd. SEPEC 2002
Naissance de la classe ouvrière
Une évolution sur deux siècles,
De la Fin du XVIIe siècle à la fin du XIXe siècle
A l'origine, cet article fait partie du troisième chapitre des "Métiers du textile". Il y constitue une parenthèse concernant l'évolution de la société, les relations entre dirigeants et salariés, la position des politiques devant l'industrialisation et la croissance économique. Pourquoi en parler dans ce chapitre ? De fait, ce changement de la société entre l'époque féodale et la révolution industrielle se retrouve dans la plupart des secteurs d'activité. Il nous a paru, cependant, que les métiers du textile étaient parmi les plus structurés depuis des temps anciens et sur tout le territoire français. C'est dans ces professions qu'apparaissent les soubresauts annonciateurs des changements du XIXe siècle. Nous ne sommes pas des historiens. L'erreur est donc possible !
L'importance du sujet nous a incités à créer une nouvelle rubrique "La Société en France au fil du temps" dans laquelle la "Naissance de la classe ouvrière" a toute sa place. Nous reviendrons sûrement sur la première rédaction en récoltant des informations dans d'autres ouvrages. Ce déplacement permet également d'alléger l'article sur le textile, déjà très riche en lui-même. Pour l'instant, cette nouvelle rubrique fait partie des "Métiers d'antan".
Dans cette même rubrique, nous copions un article concernant la vie dumonde paysan, publié dans les Métiers d'Antan, Histoire de l'Agriculture.
Nous nous inspirons essentiellement de deux ouvrages : "La France ouvrière, de Maurice Moissonnier, Éditions sociales, 1993" et "Histoire du Mouvement ouvrier français, de Jean Bron, Les Éditions Ouvrières, 1968". D'autres livres seront repris ultérieurement pour réaliser une étude plus complète. Nous pensions écrire quelques pages sur ce sujet. Mais les évènements sont nombreux et méritent un certain développement. Dans une première partie, nous évoquerons cette évolution, de 1789 à 1848. La deuxième partie nous conduira jusqu'à la création du premier syndicat.
"L'ordre économique capitaliste est sorti des entrailles de l'ordre économique féodal. La dissolution de l'un a dégagé les éléments constitutifs de l'autre (K. Marx / Le capital)".
À l'origine de l'industrie, fin XVIIe siècle et XVIIIe, deux catégories de travailleurs s'opposent. En milieu rural, les paysans exercent une activité complémentaire, notamment en hiver. Travail du cuivre, du fer, mais aussi tissage de la laine, du chanvre, du lin : travail libre, sans règlement corporatif depuis l'édit royal de 1762. Les salaires d'une main-d'œuvre peu qualifiée permettent des gains élevés pour les donneurs d'ordre qui profitent, également, d'une certaine souplesse dans l'utilisation de cette population, en fonction de la demande. La qualité n'est pas toujours au rendez-vous. En ville, par contre, les ateliers sont nombreux dans un espace réduit et respectent les traditions corporatives : ils constituent la "Fabrique dispersée". Le professionnalisme permet une production plus luxueuse, mais cette concentration des ateliers est source de problèmes sociaux : Révolte des deux sous, à Lyon, en 1786, actions contre les métiers à filer mécaniques en 1789, à Rouen. Par réaction et pour limiter les débordements, les autorités municipales créent des organismes d'aide, comme l'Aumône générale, à Lyon, en souvenir de ce qui avait été réalisé en 1529, à la suite de la "Grande Rebeyne (Émeute)", une émeute populaire qui faisait suite à de mauvaises récoltes et donc à la hausse des prix des céréales (déjà !). En ce même XVIe siècle, le compagnonnage et des associations "fraternelles" permettent une certaine organisation du monde ouvrier dans les corporations importantes qui favorisent les échanges d'idées. C'est le cas des Griffarins, ouvriers imprimeurs, à Lyon qui vont faire tache d'huile dans d'autres métiers au XVIIe siècle : "Les conflits du travail deviennent un mal endémique". À côté de ces ateliers dispersés, une autre organisation se fait jour, la manufacture réunie qui regroupe sous la direction d'un entrepreneur des ouvriers appartenant à des métiers différents ou réalisant un produit défini en décomposant sa fabrication. Cette organisation débute dès le XVIIe siècle avec, entre autres, la manufacture de drap des Van Robais, à Abbeville, dès 1665, avec le soutien financier de Colbert, dans le secteur privé. Plus loin encore, Henri IV, en 1602, est à l'origine de la Manufacture des Gobelins pour la fabrication de tapis et de tapisseries. Les "règlements intérieurs" de ces manufactures d'État sont très précis, réglant la discipline au travail et une partie de la vie privée. Ainsi, le règlement du Consulat de Lyon pour la Manufacture de bas de soie : obligations religieuses, durée des repas, durée du travail ; comportement vis-à-vis des collègues ; autorisation pour quitter l'établissement en dehors des heures de travail ; obligation de rentrer avant 9h du soir… L'Église catholique a, également, son mot à dire dans un double but : garantir l'instruction des enfants dans les principes de la religion catholique et leur apprendre un métier. Cette volonté ne sera pas toujours bénéfique pour les enfants logés sur place et certains prêtres dénonceront les pratiques des employeurs, notamment les excès des heures de travail, et une alimentation très insuffisante.
Il n'en reste pas moins qu'en cette fin du XVIIIe siècle, la société est majoritairement rurale, donc dispersée et peu propice à une action commune. Pour les métiers structurés dans des corporations, par contre, la colère se fait jour au niveau des compagnons. Les statuts sont obsolètes, injustes, contraignants et bloquent l'ascension sociale. Il en va de même pour les métiers dit libres dont les règles sont de plus en plus nombreuses et restrictives – un phénomène qui ne date donc pas d'aujourd'hui ! La Fabrique des soies lyonnaises est régie par 21 articles en 1554, 67 en 1667 et 183 en 1744… Tout cela au profit des maîtres-gardes qui veulent conserver leurs prérogatives. Cela a pour conséquence un début d'indépendance des compagnons. Autre évolution, celle des confréries, des structures religieuses créées pour venir en aide aux vivants et aux morts, qui deviennent des mutualités à l'origine d'une meilleure cohésion au sein du monde ouvrier.
A côté de ces changements de la "base", les structures économiques évoluent vers les grandes entreprises. En 1774, Turgot, Contrôleur général des Finances, prône le remplacement des corporations par des structures comportant deux types d'hommes : les entrepreneurs qui investissent et les ouvriers qui fabriquent moyennant un salaire. Cette notion se concrétise en 1776 par un édit royal toutefois vite abandonné, mais source de réflexions qui aboutissent à la disparition des corporations en 1791 sous l'impulsion du baron d'Allarde. On trouve là l'origine de la lutte des classes alimentée par des baisses drastiques des salaires, - entre 25 et 50 % des années 1730 à la fin du siècle – et une prise de conscience :" Depuis quelque temps, les ouvriers de la capitale [mais pas seulement] sont devenus intraitables parce qu'ils ont lu dans nos livres une vérité trop forte pour eux : que l'ouvrier est un homme précieux".
Autre facteur important : l'évolution des techniques, la caractéristique de cette Révolution industrielle". On la retrouve dans nombre de métiers avec ses conséquences évidentes. D'une part, les nouveaux matériels mis à disposition des investisseurs permettent une production plus importante avec une meilleure rentabilité et, surtout, "de briser le mouvement des ouvriers qui ne sont plus des artistes monnayant leur talent, mais les serviteurs interchangeables d'une machine". D'autre part, les propositions d'embauche diminuent, la qualification est moins nécessaire, augmentant le nombre de candidats aux postes proposés, la vie en communauté ne fait plus recette - la restauration fait partie du salaire et est boudée par les ouvriers qui préfèrent en toucher le prix - …, le tout aboutissant à une augmentation du chômage et à une moindre solidarité. Ces problèmes apparaissent dans la Manufacture de draps du bassin de Sedan à l'encontre des tondeurs qui, à l'aide de chardons, ramènent à la surface de l'étoffe des poils qui sont ensuite rasés à l'aide de grandes forces. Cette qualification leur donne des privilèges sur l'embauche, les salaires… qui seront contestés par arrêt du Conseil d'État du roi en 1749.
A cette même époque, un édit royal concerne la Fabrique des soies de Lyon, établissant la distinction entre marchands-fabricants, les négociants, et les maîtres-ouvriers, possesseurs des métiers et employeurs des compagnons. Seuls les premiers ont désormais le droit de vendre les étoffes de soie et de fournir les matières premières. La réaction des maîtres-ouvriers et des compagnons ne se fait pas attendre : grèves et manifestations dans la ville. L'édit est alors suspendu… pour quelques mois. L'arrivée d'un régiment règle le problème ; les sanctions sont sévères : galères ou pendaisons.
En 1786, une nouvelle révolte fait suite à l'augmentation des taxes sur les vins, donc à une augmentation du coût de la vie. Pour la compenser, les tisseurs réclament une hausse du prix des façons, au cri de "Point de navettes sans les deux sols". Un certain Denis Monnet, ancien employé d'un homme de loi, prend la tête du combat. Une grève se termine par une effusion de sang, mais la demande est acceptée : augmentation de deux sous par aune tissée. Dans le même temps, le procureur du roi réclame des troupes qui, une fois encore, séviront durement. L'augmentation est annulée par arrêt du Conseil du roi : les salaires seront fixés de gré à gré, suivant le temps et les circonstances ! A l'initiative de D. Monnet, des billets manuscrits circulent jusqu'à Nîmes et Saint-Etienne, réclamant une augmentation d'un tiers des prix. Considéré comme "le point de ralliement de la confiance et des intérêts des ouvriers", D. Monnet est incarcéré quelques mois, puis libéré en attente de son procès qui n'aura jamais lieu : nous arrivons en 1789.
Au début de cette année mémorable, marchands-fabricants et maîtres-ouvriers se réunissent pour élire leurs représentants aux États généraux. Les premiers sont purement et simplement expulsés par les seconds. D. Monnet est élu et publie un mémoire dans lequel il dénonce la fixation du salaire de gré à gré. Finalement, en septembre 1789, la Fabrique des étoffes de soie de Lyon est chargée de désigner six commissaires qui rejoindront les six marchands pour établir un tarif provisoire réévalué chaque année en décembre, en fonction de l'augmentation du prix des denrées alimentaires. En mai 1790, quatre syndics sont élus par les ouvriers pour contrôler l'application du tarif et des règlements. D. Monnet ne sort pas indemne de cette démarche : les marchands-fabricants ne lui confient plus de travail. En 1791, les lois d'Allarde et de Le Chapelier mettent fin aux corporations et interdisent les coalitions ouvrières. Les ouvriers-tisseurs ne s'avouent pas vaincus, se regroupent dans des clubs légaux et obtiennent, notamment, l'augmentation d'un tiers des prix de façon.
Le besoin de revendiquer collectivement et ouvertement se fait particulièrement sentir, dès le début de la Révolution, dans le monde ouvrier.
L'opposition à ces revendications n'est toutefois pas morte, même au sein du gouvernement révolutionnaire qui, dans le cadre de la Manufacture des Gobelins, cherche à rétablir le salaire à la tâche, pourtant à l'origine trop souvent de malfaçons. Les ouvriers s'y opposent et déclarent que la qualité d'une production rejaillit sur le prestige de la nation. Dans le même temps, pour la gloire du pays, ils demandent que les sujets développés sur les tapisseries soient à l'image des tableaux de David. Autant de vœux pieux qui seront sans lendemain.
A ces revendications, il faut ajouter la politisation du monde ouvrier, source de réflexions et d'idées nouvelles. Félicité publique, égalité sociale réelle, bonheur de tous dans la parfaite égalité, égalitarisme, sont autant de sujets abordés par des hommes de terrain comme J.-F. L'Ange, dessinateur en soierie à Lyon, Ducruy et D.Monnet, ou encore, G. Babeuf. Si la guillotine fut leur destinée, leur influence sera croissante à partir de 1830.
"Le XVIIIe siècle est une longue période de tension…Plus les théories libérales ont de force dans le pays, plus s'affirme la souveraineté des lois économiques de l'offre et de la demande, lois qui, plus que les règlements eux-mêmes, poussent à l'asservissement des ouvriers à ceux qui leur donne du travail et leur versent un salaire".
Le 1er empire va donner un coup d'arrêt à cette évolution et du monde ouvrier et des relations au sein de l'entreprise. La répression est plus sévère en cas de révolte ou de simple coalition. La dépendance de l'ouvrier par rapport à l'employeur est marquée, en 1803, par la création du livret. On trouve dans celui-ci la liste des employeurs successifs, avec dates de présence, avances financières éventuelles. Ce livret doit être présenté par le porteur au maire de la ville où il vient travailler. Quant aux questions de salaire, d'avance, l'employeur est cru sur parole alors que l'ouvrier doit apporter des preuves. En fait, ce n'est là que la reprise de lois antérieures qui sont appliquées avec rigueur par l'administration mise en place. Elles seront d'actualité jusqu'aux années 1860.
Que retenir de la politique sociale du gouvernement ? En 1806, le premier conseil de prud'hommes est accordé aux tisseurs lyonnais : il doit régler les petits conflits et est constitué majoritairement de patrons, les compagnons en étant exclus. Ces conseils seront institués dans toute la France et pour d'autres professions. Autre nouveauté, en 1804, la création d'un bureau de placement à Paris composés de préposés désignés par le préfet de police. Cela ressemble plus à un bureau de surveillance. En 1811, à Lyon, la municipalité est autorisée à fixer le tarif du prix à façon dans la Fabrique de soie. En cette période, deux préoccupations majeures orientent les décisions. D'une part, l'augmentation du prix du pain, source de révolte et d'autre part le chômage. Pour celui-ci, l'État décide des grands travaux, essentiellement de communication, mais aussi la construction d'établissements, notamment pour le textile : "manufactures de soie, de coton, de filatures et tissages pour extirper la mendicité".
Avec la Restauration, le retour du roi, tout espoir est permis, mais pour qui ? La paix est retrouvée, avec comme corollaire la fin de la conscription ; les activités commerciales, artisanales et industrielles reprennent. En revanche, les démons de l'Ancien régime créent une volonté d'un retour en arrière : récupération des terres spoliées durant la Révolution et des biens nationaux vendus à la nouvelle bourgeoisie, restriction des libertés de la presse et de l'imprimerie, concurrence des marchandises anglaises… Au cours des cents jours (retour de Napoléon 1er), le peuple semble retrouver ses exigences de la Révolution de 1789. Parmi les actions les plus violentes, celles des canuts (tisseurs) de Lyon. Le départ définitif de l'empereur se traduit par une entente entre aristocratie et grande bourgeoisie qui a pour but d'une part d'écarter de la vie politique les masses populaires, d'autre part de donner satisfaction aux producteurs les plus importants, agriculteurs ou industriels. Dans ce partage des responsabilités, l'aristocratie - les ex-émigrés -, trouve sa place dans des fonctions étatiques : corps préfectoral, armée, justice, finances, diplomatie, sans négliger l'industrie. La bourgeoisie gagne du terrain lentement. A la chambre des députés, elle représente 42% en 1821, mais 60 % en 1827. Logiquement, elle intervient dans le développement économique et le budget par le biais du Conseil Général des Fabriques et des Manufactures, composé "des manufacturiers les plus distingués par leur fortune, leurs talents et leur honnêteté", aux intérêts convergents…
Ce partage "à l'amiable" ne va pas durer. Un désir assumé de l'aristocratie et de l'Église de revenir aux temps anciens, confirmé dans des lois de de 1820 et 1824, s'oppose à la volonté des libéraux de conserver les acquis obtenus par la Révolution : "La seule idée qui règne, c'est de gagner du bien par son industrie ou son savoir-faire, afin d'être indépendant et de secouer le joug des grands et des supérieurs de toutes classes dont on ne veut plus". Reste un point sur lequel les deux partis s'entendent : le rejet des affaires politiques de la "populace", des gens de peu. Encore est-il fragile. La bourgeoisie pourrait se rapprocher du monde ouvrier en cas de crise économique.
La démocratie n'est pas encore au goût du jour. Être électeur ou candidat aux élections suppose de disposer de certains revenus, de payer des impôts et d'avoir un certain âge. En particulier, le nombre d'électeurs ne cesse de diminuer alors que la population croît ; les préfets ont tout pouvoir pour éliminer les libéraux par d'opportuns dégrèvements fiscaux "en faveur" des leurs propriétés foncières. Avec ces restrictions, les ouvriers n'ont aucune chance de participer à la vie politique. Le seul moyen utilisable est la force toujours très durement réprimée : les tisseurs de Lyon en garderont le souvenir. Bien que le 1er empire n'ait pas favorisé le monde ouvrier, on retrouve chez celui-ci une tendance au bonapartiste populaire mêlé au républicanisme en totale opposition aux idées aristocratiques, souvent animées par le désir de vengeance. En cette fin des années 1820, même si elle reste relativement silencieuse, la classe ouvrière voit naître en son sein des préoccupations politiques.
Comment se structure l'industrie en cette période 1815 – 1830 ? Nous évoquons essentiellement, encore une fois, les métiers du textile. Sur le plan économique, l'industrialisation marque le pas. L'argent est cher pour qui veut entreprendre. Abaisser le taux d'escompte "rendrait possible des entreprises à tous les gens incapables d'en faire, à des hommes qui n'ont ni l'habitude, ni l'argent, qui filent du coton, tissent de la toile aveuglément, sans mesure… et ces hommes de quelques jours ruinent des hommes établis depuis quarante ou cinquante ans" (A. Thiers). Par ailleurs, le système bancaire est mal organisé, disponible surtout pour les services publics, couteux pour les investisseurs. L'État limite la fiscalité sur les grandes entreprises ce qui nécessite de faire appel à l'emprunt (un éternel recommencement !). Il est obligé de rembourser les indemnités dues aux alliés après 1815, finance des guerres… A cause du libéralisme en marche, il ne peut se permettre d'intervenir dans l'économie.
Autres facteurs, le vieillissement de la population avec un taux de natalité en baisse ; des moyens de communication insuffisants - même si la progression est certaine (route, canal, chemin de fer) - limitant la diffusion des productions industrielles. La consommation des productions locales, prônée par tous aujourd'hui, est alors la règle. Ce manque d'échanges se retrouve à l'internationale. Les marchés américains et indiens sont réduits. La plupart des grands ports français tournés vers l'Atlantique fonctionnent au ralenti. Les échangent sont donc limités aux pays européens. A. Thiers se prononce à nouveau : "Il faut éviter la concurrence extérieure car nous faisons de tout… Il faut se réserver le marché français pour soi tout seul, et puis pour l'étranger s'il en reste…" Des opinions que l'on retrouve encore aujourd'hui !
Au niveau des matières premières nécessaires à l'industrie lourde, donc en dehors du textile, la région stéphanoise se distingue avec son bassin houiller. Sa production passe de 90 000 tonnes de charbon en 1817 à plus d'un million de tonnes en 1840 ; 45 % de la production française. La population de Saint-Etienne passe de 19100 habitants en 1820 à 37031 en 1827 ! Cette production sera dépassée dans le Valenciennois. À côté de ces deux grands centres, il existe une multitude de petites exploitations rapidement épuisées, souvent concurrencées par des aristocrates propriétaires de forêts. Cette dispersion favorise la persistance des petites entreprises au détriment des grandes, plus rentables et compétitives, notamment par rapport aux industries anglaises.
Quelques éléments font tout de même naître des espoirs. D'abord la formation d'ingénieurs de haut niveau avec la création de grandes écoles : Polytechnique, l'École Centrale des Mines, le Conservatoire des Arts et Métiers, l'École Centrale des Arts et Manufactures. Et en parallèle, l'ouverture d'écoles destinées aux ouvriers : la Société Industrielle de Mulhouse, la Martinière, à Lyon.
Un autre élément inattendu : l'arrivée dans la région stéphanoise d'investisseurs et d'ouvriers anglais, en particulier James Jackson à l'origine du premier acier cémenté français. Cette "coopération" a-t-elle été souhaitée par le gouvernement anglais ? On peut en douter, tout comme nous le verrons plus tard pour un bolognais du nom de Gayotti qui importa le moulinage de la soie dans notre Pays du Gier. Nous nous éloignons des métiers du textile, quoique. Cet acier permet notamment le développement des chemins de fer et donc l'amélioration des communications, grâce encore une fois à l'expérience anglaise.
Nous avons évoqué dans le chapitre II un certain nombre de machines inventées au XIXe siècle pour le textile : machines à fouler et à lainer, tondeuses hélicoïdales, mécaniques à bobiner et à carder, la mule-jenny et la self-acting, et, un peu plus tard, le métier à tisser mécanique dérivé du métier Jacquard… On retrouve de telles innovations dans de nombreuses autres branches de l'industrie : sidérurgie, métallurgie, papeterie, chimie… Cette mécanisation est parfois à l'origine de la création de nouvelles entreprises. Ainsi à Mulhouse, l'impression conduit au tissage, puis à la filature ; à Roubaix, les lainiers passent du tissage à la filature et au peignage. Plus surprenant, on assiste à la fabrication des machines elles-mêmes, interrompant ainsi les importations couteuses d'Angleterre ou d'Allemagne.
L'évolution sociale engendrée par la mécanisation varie d'une région à l'autre.
- A l'ouest, encore très rural, le rouet tourne toujours de même que les métiers à bras. Filature et tissage du lin ou du chanvre sont réservés aux moins qualifiés. Quelques villes regroupent des populations ouvrières importantes comme Elbœuf et Louviers qui comptent plus de 20000 ouvriers ou, plus modestement, Cholet, Angers…Rouen domine le marché du coton.
- Côté Méditerranée et Provence, pas de concentration ouvrière, mais des petites entreprises, souvent familiales. Les classes ouvrières y sont peu revendicatives, plutôt conservatrices. A Nîmes, l'industrie textile de la soie travaille à effectif variable, en fonction des demandes et de l'obtention des matières premières, les intermèdes étant consacrés aux travaux agricoles ou à d'autres métiers locaux.
- Dans le Massif Central, globalement – à quelques exceptions près - la situation est plutôt à la récession : 24 filatures travaillent pour la consommation locale, encore pour quelques années. Par contre, la production de tapisseries de luxe repart à Felletin et Aubusson.
- Lyon, par contre, est de plus en plus un carrefour financier et marchand grâce au travail de la soie. Les canuts montent sur la colline de la Croix-Rousse, plus ensoleillée que le vieux centre de Saint-Jean, permettant de travailler plus longtemps, et située en dehors de l'octroi, ce qui diminue les taxes, donc le coût de la vie. Les ateliers, regroupés dans un seul quartier, sont familiaux, emploient quelques ouvriers, une situation propice aux échanges d'idées : ils réalisent les façonnés, les travaux les plus délicats. La Fabrique des soies déplace ses activités secondaires, les unis, dans les campagnes environnantes du Rhône jusqu'au Bas-Dauphiné, mais aussi dans l'Ain, l'Isère, la Drôme ; elle a également sous sa coupe les filatures et moulinages des soies dans la Drôme, l'Ardèche, le Vaucluse et le Gard. La draperie viennoise, avec sa population ouvrière concentrée et turbulente, résiste victorieusement. La région stéphanoise continue également ses activités conformément à sa longue tradition : rubanerie, passementerie, velours, tissus élastiques, sans oublier les tresses et lacets dont Saint-Chamond sera la capitale mondiale. Par contre, d'autres centres, plus éloignés, périclitent : manufacture de cotonnades de Vizille, toilerie de chanvre et draperie du Briançonnais et du Diois. Ces productions nécessitent la création d'activités secondaires indispensables : l'apprêt et la teinture. C'est la naissance de l'industrie chimique à Lyon, d'abord dans de nombreux petits ateliers aux productions limitées – vitrioleries -, puis dans de véritables entreprises du fait de l'accroissement des besoins qualitatifs et quantitatifs.
- Le Nord-Est se sort plutôt bien de cette période. Dans le Jura, les filatures de Moirans, Clairvaux, Saint-Claude mécanisent leur production. Mais le grand centre de cette région est bien Mulhouse. Organisation industrielle et politique sociale sont en avance. Le textile est au premier rang des activités avec ses filatures de coton, l'utilisation des techniques les plus récentes actionnées par des machines à vapeur. On retrouve une main-d'œuvre à domicile pour les travaux ne nécessitant pas une grande qualification. Si les rémunérations ne sont pas à leur juste valeur, on rencontre chez certains patrons le désir d'avoir une politique sociale aussi bien dans le travail que dans la vie privée, avec, notamment, la construction de cités, des mesures de prévoyance. Enfin, en Lorraine, on trouve encore des ouvrières à domicile pour le tissage du chanvre et du coton, mais aussi quelques ateliers. La draperie militaire est fabriquée dans des petites unités à Montmédy, Verdun, Lunéville, Mirecourt…
- A Paris, la situation est complexe. L'industrie y est plutôt intra-muros avec toutes les conséquences négatives que l'on peut imaginer : pollution, saletés, promiscuité, autant de causes d'infections… À partir de 1825, les ateliers migrent vers les banlieues : transports moins couteux et plus faciles, absence des taxes de l'octroi. De nombreux ouvrages sont réalisés "en chambre", la plupart du temps par des personnels non qualifiés, donc très mal payés, mais aussi très diversifiés. Les ateliers sont regroupés par métier dans des rues, des quartiers. Toutes les professions existantes y sont représentées, de l'artisanat à l'industrie lourde. Au nord, à Saint-Denis, apparaissent des industries alimentaires, textiles, chimiques, métallurgiques à l'origine d'une cité ouvrière. Dans les villes proches, le textile a une part importante. Fabriques et filature à Reims produisent des tissus légers et des nouveautés (shalls, toilinettes, duvets de cygne). Dans une centaine d'ateliers composés pour moitié d'une dizaine d'ouvriers ou d'ouvrières, on y file la laine cardée, fabrique drap et flanelle. A Troyes, 34 filatures de coton emploient 1700 ouvriers… On trouve encore, au sud, à Romorantin des fabriques de draps, à Orléans des filatures de coton. Enfin, au nord se sont installées à Saint-Quentin 29 usines produisant de la mousseline brochée ; des métiers alentours tissent le lin… Ces établissements des villes font travailler des milliers de métiers dans les campagnes, mis à mal, à partir de 1840, par la mécanisation.
- Au Nord, l'activité textile est déjà bien implantée. En 1815, de très nombreux ouvriers et ouvrières travaillent à domicile, et pas seulement pour le textile. On en est au stade de la proto-industrie, avec, par exemple, les dentelles et les guipures du Cambrésis, auxquelles viendront s'ajouter dès 1817 le tissage du coton occupant 800 ouvriers et 1200 travailleurs à domicile. Cette activité remplace dans nombre de communes la mulquinerie (étoffes fines de lin) ; le tissage de la laine suit, ainsi que le peignage, la filature, le retordage. En 1823, une fabrique artisanale de tulle s'installe à Caudry à l'initiative d'un belge. Cette activité s'accompagne d'une importante poussée démographique. Comme dans d'autres régions, cette industrialisation, qui ne touche pas que le textile, est souvent due à l'initiative d'anglais ou de belges. La mécanisation passe par l'installation massive de machines à vapeur, notamment à Lille (lin et coton) et Roubaix (laine). Sur le plan social, se mêlent entrepreneurs, les plus riches, et les ouvriers les moins qualifiés, des indigents.
A travers ce long tour de France, entre 1815 et 1830, la Restauration, on constate donc le démarrage de l'industrialisation, un démarrage inégal d'une région à l'autre, la proto-industrie ayant encore souvent toute sa place, avec ses petits ateliers artisanaux. Il s'accompagne de la naissance de structures sociales ouvrières influencées par les modalités du travail, la concentration ou la dispersion urbaine ou rurale. Le résultat est souvent défavorable à la classe ouvrière en devenir : pauvreté, insécurité, travail manuel la caractérisent (Babeuf, 1796). Les inventions de ce début de siècle en sont en grande partie responsable : la machine et l'éclairage au gaz permettent d'allonger les journées de travail, accélèrent la production et donc augmentent la rentabilité ; la machine à vapeur remplace la force musculaire, d'où l'embauche des femmes et des enfants moins qualifiés, donc moins payés (50% pour les femmes, 25% pour les enfants) et chômage pour les hommes. Ces nouveaux salariés (prolétaires !?) n'ont aucun moyen de défense, acceptent tout, faute d'organisation et de formation. Leur vie est indescriptible : il est difficile de penser que cela ait pu être toléré, voire approuvé, par les hommes politiques et des autorités religieuses. Quant à leur mort, devenue bien souvent délivrance, elle survient deux fois plus tôt chez l'enfant. Et tout cela, bien sûr, en temps normal, hors des périodes de crise (1816 et 1825). L'existence de bureaux de bienfaisance ne suffit pas : ils sont d'ailleurs critiqués par certains dirigeants qui voient là "une prime d'encouragement donnée à la fainéantise et à tous les vices qui lui servent de cortège". Pour aller plus loin, la mentalité de l'époque voit dans cette classe souffrante une classe dangereuse.
La formation des artisans dépend des maîtres. Les ouvriers et ouvrières agricoles sont payés à la tâche ; un surplus par rapport au revenu agricole, un moyen de lutter contre "des loisirs qui pourraient être dangereux", une bénédiction d'après les politiques et moralistes de l'époque, mais dans quelles conditions, avec quelle incertitude ? A la ville, les problèmes ne sont pas moins importants. Les travailleurs à domicile font tort aux artisans en atelier, mais leurs conditions de vie sont exécrables : s'ils en ont les moyens – fin de carrière et endettement -, ils emploient des compagnons salariés, mais vivent avec eux dans un petit logement consacré essentiellement aux métiers. Ils travaillent à la tâche et dépendent entièrement du négociant, le marchand-fabricant.
Quelles sont les causes de cette misère ?
En premier, la recherche du profit et de la rentabilité de l'investissement. En second, le moyen nouveau d'obtenir la première, la mécanisation à outrance. À titre d'exemple, à Vienne, une tondeuse mécanique doit être installée dans une entreprise de drap ; elle est manipulée par 4 hommes pour tondre, lustrer et brosser. Elle remplace le travail de 65 maîtres-tondeurs occupant deux cent cinquante ouvriers. Elle est finalement jetée dans les eaux de la Gère par des ouvriers en colère. De telles actions constitueront un mouvement appelé le luddisme initié, lui aussi, par…les anglais ! À côté de ces réactions extrêmes, on rencontre des actions plus calmes comme des pétitions pour la suppression des machines, accompagnées, parfois, de menaces sur les personnes. Malgré leur interdiction, les premières grèves, les coalitions, sont décidées en 1817, le plus souvent à l'initiative d'organisations anciennes ou de petits groupes isolés. Le motif le plus fréquent est la demande d'une augmentation de salaire ou le refus d'une diminution de ce salaire décidé par le patron. Dans tous les cas, la police intervient pour rétablir l'ordre public et les sanctions tombent : suivant les "dégâts", cela va de la peine de mort à quelques années de travaux forcés. Si ces luttes ne sont pas souvent couronnées de succès, elles provoquent un début de prise de conscience d'intérêts communs au sein d'un atelier, d'une fabrique, d'une corporation et, progressivement, bien au-delà. Les rencontres qui en découlent sont également source d'éducation, de réflexions sur la place dans la société de la classe ouvrière.
Comment s'organise cette prise de conscience ?
Bien qu'interdit par la loi Le Chapelier, le compagnonnage existe encore dans le cadre de 3 obédiences. Il concerne uniquement l'artisanat, donc exclut les ouvriers de l'industrie. L'entente n'est pas au rendez-vous au sein des différentes obédiences. La grève constitue parfois un point de ralliement.
La création de mutuelles fait suite aux confréries médiévales. Destinées d'abord aux morts - funérailles chrétiennes -, elles s'intéressent désormais aux vivants : maladie, retraite. L'administration royale les considère avec bienveillance à condition qu'elles ne soient pas un signe d'indépendance vis-à-vis du pouvoir. Certaines de ces mutuelles soutiennent des grèves faisant réagir le pouvoir : "Il faut se tenir en garde contre ces motifs d'assistance mutuelle dont l'expérience prouve chaque jour le danger".
Le paysage social change, notamment dans le secteur agricole : perte des terres, conscription emmenant loin de chez eux les paysans dont la mentalité est bouleversée par des rencontres inhabituelles, en particulier des travailleurs des villes.
Enfin, des penseurs aux idées plus ou moins socialisantes, égalitaires et humanitaires proposent une nouvelle organisation des rapports entre les classes sociales. C'est le cas, entre autres, de J.C.L. Sismondi, de C.H. de Saint-Simon et de F.M.C. Fourier.
Faut-il voir là le début du syndicalisme ? A priori, non, mais plutôt des lieux ou des projets de réflexion, d'organisation, de décision et, surtout, de solidarité.
Si l'industrie, avec des entreprises regroupant des centaines d'ouvriers, débute dès la fin du XVIIe siècle, si ce démarrage se confirme petitement à partir de la Révolution de 1789 et durant les 30 premières années du siècle suivant, la véritable Révolution industrielle naît à partir de la Révolution de 1830, les Trois Glorieuses, la monarchie de juillet, la monarchie bourgeoise. C'est aussi "le triomphe de la bourgeoisie et le baptême du socialisme" (M. Agulhon). Comment est née cette révolution ? Sur le plan économique, en 1827, des mauvaises récoltes de pommes de terre et de céréales sont à l'origine d'une forte inflation. La demande industrielle baisse, ce qui provoque licenciements et chômage. Sur le plan politique, la baisse du produit des taxes met le budget de l'État en déficit. Après plusieurs changements de gouvernement, la bourgeoisie, les commerçants, les paysans et les ouvriers sont bannis du champ politique et aucun journal ne peut paraître sans autorisation du pouvoir. Finalement, la révolte débute le 27 juillet, se prolonge les 28 et 29, faisant près de 2000 morts au sein des insurgés, prolétaires, étudiants, anciens soldats… La bourgeoisie n'est pas présente. A Lyon, la Fabrique de la soie impose aux ouvriers de prendre les armes, faute de quoi ils seraient privés de travail. Le 30, un gouvernement provisoire s'installe à l'Hôtel de Ville de Paris et donne les pleins pouvoirs au duc d'Orléans, Louis-Philippe 1er. Si les politiques glorifient les ouvriers qui se sont battus, les changements pour le monde ouvrier ne sont pas probants, du moins sur le plan matériel. Par contre, sur le plan politique, cette révolution prolétarienne fait prendre conscience aux ouvriers du rôle qu'ils peuvent jouer dans le destin national. Ce rôle, toutefois, nécessite aussi la faculté de s'exprimer. C'est ainsi qu'apparaissent de nombreuses revues destinées aux ouvriers : elles apportent des idées nouvelles, elles permettent aussi des échanges entre lecteurs.
Les Trois Glorieuses terminées, le nouveau roi en place, les ouvriers réclament leur dû : salaire et temps de travail sont des revendications courantes qui se passent plutôt dans le calme. Par contre, les nouvelles machines, sources de chômage, ne sont toujours pas acceptées et se retrouvent souvent hors d'usage. Autre source de chômage, la main-d'œuvre étrangère qui est prise à partie. Mais le mode d'expression le plus fréquent pour revendiquer devient la grève : on en organise sur tout le territoire et dans tous les domaines d'activités. Elle se termine par l'intervention de la troupe. Pour le gouvernement, la liberté du commerce et de l'industrie, ou encore le capitalisme, est la seule solution pour sortir de la crise. Dans ce contexte, "les classes qui vivent uniquement du travail de leurs mains n'ont point acquis encore assez de lumières pour discerner ce qui convient le mieux à leur intérêt sans nuire aux intérêts de tous" (J.B. Monfalcon). Ceci explique pourquoi le gouvernement rend quasiment impossible à un ouvrier de s'inscrire sur les listes électorales, par le biais d'une contribution financière élevée.
On a vu plus haut les relations difficiles entre le chef d'atelier entouré de ses compagnons, propriétaire du métier et le marchand-fabricant, le donneur d'ouvrage, qui fixe les prix. Pour les premiers, le travail devient plus rare, le pouvoir d'achat diminue. La révolte va s'exprimer pleinement à Lyon. Les tisseurs, las de vivre de la charité publique, cherche du travail dans d'autres activités. Ils réclament "Du travail ou du pain". Une commission mixte arbitrée par le préfet Bouvier-Dumolart – autoproclamé "préfet social" et "père des ouvriers" - décide des montants des salaires en fonction du temps passé, de la qualité de l'ouvrage… Mais la réaction des marchands-fabricants est immédiate : ils refusent de donner du travail au prix fixé par l'accord qui est, d'ailleurs, dénoncé par le gouvernement. A leur tour, chefs d'atelier et compagnons réagissent en proposant une grève pour le 21 novembre 1831. Ils sont entourés de tous les personnels qui dépendent de leurs ateliers. Des combats s'engagent entre les manifestants, rejoints par des ouvriers d'autres corporations, et la Garde nationale qui est obligée de fuir la ville. Des républicains tentent de donner une tournure politique à ce mouvement qui ne désire que l'application des tarifs, garantie par la municipalité, dans le respect de la loi. Au matin du 23 novembre, on compte 600 morts ou blessés appartenant à plus d'une vingtaine de métiers, regroupés autour des tisseurs lyonnais. Si la ville est tombée aux mains des insurgés, l'ordre y a été maintenu grâce à l'organisation et à la rigueur des canuts : ni vengeance, ni pillage ; fidélité au gouvernement en place ; simple demande du respect de la convention signée. Pourtant, l'heure de la répression va sonner le 3 décembre avec l'arrivée de 30 000 hommes détachés par le gouvernement, dirigés par le maréchal Soult, assisté par un nouveau préfet sans aucune compassion pour le monde ouvrier. Une répression toute relative d'ailleurs qui touche quelques meneurs, pilleurs, incendiaires : au total, 22 accusés. A cette heure, en fait, le gouvernement de Casimir Perrier cherche surtout à infiltrer la classe ouvrière de deux manières : "développer un réseau d'informateurs à coups de crédits exceptionnels et rechercher les moyens de corrompre les responsables des organisations légales ou clandestines".
Ce que l'on peut retenir de cette crise, c'est le sentiment général de la classe politique libérale comme le montre cet extrait du Journal des débats de 1831. L'article est de Saint-Marc Girardin, alors professeur d'histoire à la Sorbonne et futur homme politique. Un discours heureusement inconcevable de nos jours : "Notre société commerciale et industrielle a sa plaie comme toutes les autres sociétés ; cette plaie, ce sont les ouvriers".
La révolte des canuts eut une répercussion en France et dans toute l'Europe. Se mêlent dans les réactions d'une part, pour la majorité, le désir d'avoir des salaires plus justes permettant de vivre, de nourrir sa famille, d'autre part, pour une minorité, la volonté de passer à un autre régime, la République, en s'appuyant sur les prolétaires. Elle va faire tache d'huile dans toute la France dès 1831, avec des slogans très évocateurs : "Vivent les ouvriers de Lyon ! A bas les ministres !" ou "A bas Louis-Philippe, à bas Périer". Les grèves se multiplient à partir de 1832 dans l'industrie textile, mais pas seulement. "L'affaire de Lyon" reste bien présente dans tous les esprits, pour des raisons opposées suivant le statut social… Le républicanisme tend lentement, mais sûrement, à devenir un véritable espoir pour les ouvriers. Les revues qui leur sont destinées, comme l'Écho de la Fabrique, à Lyon, évoluent dans ce sens.
Lyon et ses tisseurs restent à la pointe du combat. Un groupement d'entraide des compagnons nouvellement créé travaille avec le Devoir mutuel des chefs d'atelier. Tous, ils refusent de travailler si le prix du travail à façon n'est pas suffisant. Plus, ils souhaitent que d'autres corporations les rejoignent. Les républicains sont également sur le pont et tentent d'attirer à eux les ouvriers qui, de leur côté, veulent une évolution des conseils de prud'homme : plus de conseillers ouvriers et possibilité de faire appel à un avocat. Le gouvernement s'oppose à toute modification favorable aux ouvriers. Ceux-ci revendiquent dès lors le droit de coalition qui est en contradiction avec les intentions du pouvoir. Début 1834, une nouvelle baisse du prix de façon provoque une grève de toute la Fabrique. Quelques meneurs sont poursuivis en justice. A l'occasion de leur procès, une nouvelle grève est décidée, avec la construction de barricades. La répression mortelle est immédiate, sans distinction entre hommes, femmes vieillards, enfants. Des révoltes suivent dans une bonne moitié de la France, mais sont réprimées immédiatement. A Paris, la lutte se termine par un massacre, à l'initiative de Thiers devenu 1er ministre. Pour les survivants de toutes les manifestations, c'est un procès où l'on trouve surtout les tisseurs lyonnais. Ils seront tous condamnés à des peines de prison. Quelques jours plus tard, un attentat contre le roi est à l'origine de nouvelles lois répressives et de la censure de la presse.
C'est à partir de 1835 que commence la véritable révolution industrielle grâce à la progression des voies de communication : route, voies d'eau, chemin de fer. Le développement n'est pas uniforme sur le territoire. On assiste même à la naissance de véritables pôles. Dans le secteur qui nous intéresse, au début des années 1840, Roubaix-Tourcoing occupe la première place. L'Alsace, la Seine-inférieure et le Nord se partagent la première place pour le coton. Armentières détient la palme pour le lin. Lyon est le centre français de la soie ; la ville compte 27450 métiers, mais en fait travailler 21000 dans les campagnes environnantes pour les unis : un retour en arrière ou une méfiance depuis les révoltes des canuts ? On retrouve dans la plupart des secteurs d'activité ce bond en avant : production houillère, métallurgie, sidérurgie, construction mécanique, chimie… L'activité textile occupe tout de même la majorité des prolétaires, avec 58 % du total, contre seulement 10 % pour la métallurgie.
Sur le plan social, il faut retenir que "c'est l'existence et l'activité intellectuelle d'un fort contingent d'artisans en voie de prolétarisation qui transmet au sein du monde usinier une expérience et une culture critiques dénonçant les tares du système de concentration capitaliste". [Parenthèse dans la parenthèse : ce constat montre le bien-fondé de notre association A.R.C.O.M.A. dont le but est de faire connaître tous les métiers artisanaux et, par-là, d'honorer ceux qui les ont exercés !]. En pratique, la vie des ouvriers ne change pas, voire même, empire avec toujours les mêmes problèmes déjà cités : salaire, logement, durée du travail et l'immigration… Encore plus touchés, les femmes et les enfants dont le nombre augmente dans les entreprises, pour les emplois non qualifiés. Les femmes sont plus particulièrement employées dans le textile, jusqu'à 70 % dans la soie en 1838 ; leurs conditions de vie et de travail sont ignobles, mais la misère oblige de tout supporter. Quant aux enfants, leur sort n'est pas plus enviable. Ils peuvent légalement travailler dès l'âge de 8 ans, mais la loi n'est pas toujours respectée. L'espérance de vie pourrait se confondre, dans certains cas, avec l'espérance de mort. Quel avenir pour ces enfants qui suivent des cours basiques, à la veillée, après une journée de travail de plus de 12 heures !
Au niveau des penseurs du monde ouvrier, les idées ne changent guère – elles ne sont pas entendues par le pouvoir -, mais s'affirment davantage. En particulier, la nécessité de l'union, de l'unité, de l'association, suivant des modalités à définir, de tous les ouvriers quelles que soient leurs activités. Cette union se manifeste par des grèves de plus en plus nombreuses, dans tous les domaines. Progressivement, les débats vont au-delà des revendications habituelles et concernent l'évolution de la société, voire de l'humanité, avec référence à la morale. La classe ouvrière refuse désormais la philanthropie des patrons, le paternalisme. Les idées socialisantes font leur chemin tant pour réclamer plus d'égalité et de justice que pour dénoncer les méfaits du capitalisme, l'oppression de la religion. Le maître mot est la réforme sans révolution.
À côté du socialisme naît un nouveau courant, le communisme, à plusieurs têtes. Il a pour base la question du droit à la propriété. Parmi les adeptes, un lyonnais, un canut, Joseph Benoît, " contre le droit absolu et abusif de la propriété cause de toute inégalité sociale et obstacle à tout rapprochement fraternel entre les individus".
C'est dans ce contexte de changement intellectuel, culturel, philosophique, politique du monde ouvrier que survient la révolution de 1848. Nous en verrons prochainement les causes du déclenchement et ses conséquences.
A l'origine de cette nouvelle révolution, l'augmentation du prix du pain lié à une mauvaise récolte en 1847 et une crise industrielle européenne. Il s'en suit une augmentation du coût de la vie et le chômage. Au niveau des classes dirigeantes, politiques ou industrielles, une vague d'affairisme, de spéculation et de corruption accroît le malaise économique. L'éligibilité est toujours réservée à une minorité aux exigences convergentes. Nombre de députés sont des fonctionnaires à la botte des ministres. Impuissante, l'opposition s'adresse directement au peuple en créant la campagne des banquets qui réunit des centaines de participants. Les discours, les ouvrages qui y sont présentés ne sont pas toujours au goût du gouvernement qui finit par interdire celui qui est programmé le 22 février 1848 par le Comité central des électeurs de la Seine. Interdiction ignorée qui voit le peuple descendre dans les rues de Paris. Les premières échauffourées éclatent, les premiers morts tombent. Le 23, la lutte continue, l'armée tire. Le 24, le roi Louis-Philippe abdique en faveur de son petit-fils. Le peuple envahit les Tuileries et supprime les symboles de la royauté. Un gouvernement provisoire est instauré au palais Bourbon comprenant, entre autres, Ledru-Rollin, Lamartine, des modérés et des meneurs de l'insurrection. Après discussions, la République est proclamée le lendemain. Contrairement à la révolution de 1830, celle-ci est le fait de la classe ouvrière parisienne avec l'aide de cadres socialistes ou communistes. Le pays tout entier suit, y compris l'armée et le clergé.
Dès le 25, la foule s'adresse au gouvernement provisoire et exige que soit reconnu le droit au travail et qu'une allocation soit versée aux ouvriers malades. Louis Blanc, "le ministre socialiste" en fait adopter le principe. Le 28, un nouveau rassemblement demande la création d'un ministère du Travail. Finalement, c'est une commission mixte pour les travailleurs qui s'installe au palais du Luxembourg, chargée d'étudier les propositions d'une réforme sociale ; Louis Blanc en prend la direction. S'en suivent quelques décisions : abolition des octrois, de l'impôt sur le sel ; suppression des intermédiaires à l'embauche ; journée de travail limitée à 10 h à Paris, à 11 en province (!) alors que le travail à la tâche, plus fatigant pour l'ouvrier, plus rentable pour le patron, reprend le dessus sur le travail à la journée. À côté de ces mesures en lien direct avec le travail, la proclamation du principe du suffrage universel, de la liberté de la presse, de l'autorisation des réunions et de la possibilité des créer des ateliers nationaux - chargés de réaliser des travaux publics - crée un climat de confiance, une euphorie générale, un espoir pour l'avenir. Dans le cadre de la commission du Luxembourg, des délégués des corporations expriment leurs idées aux concepts socialistes, voire communistes : autonomie des travailleurs par association des producteurs, intervention de l'État dans l'organisation du travail, possibilité pour les ouvriers d'exploiter eux-mêmes l'industrie.
L'euphorie première va tourner rapidement aux désillusions. D'abord, le gouvernement crée une garde nationale jeune, bien payée, donc complètement à son service. Les ouvriers des ateliers nationaux sont également bienveillants vis-à-vis de ceux qui leur assurent un travail. Fixer la date des élections au suffrage universel pose également question. Comment le peuple, à dominante rurale, peut-il voter en connaissance de cause alors que le problème sociétal est avancé par les ouvriers ? Le 16 mars 1848, une "manifestation de droite" est organisée par les gardes nationaux des beaux quartiers refusant la suppression des leurs compagnies d'élite qui leur évitent de se mélanger à la masse. Le gouvernement confirme cette suppression. Dans le cadre d'une contre-manifestation qui se réjouit de la fermeté du gouvernement, les organisateurs demandent un ajournement de deux mois des élections. La date est repoussée au 23 avril. Dans un nouveau rassemblement organisé par Louis Blanc, les gardes nationaux des quartiers riches interviennent pour disperser les manifestants. A la veille des élections, une campagne virulente est lancée contre les ouvriers, socialistes ou communistes.
Ces élections pour une assemblée constituante sont un succès que l'on pourrait envier aujourd'hui : 16 % d'abstention ! Curieusement, un citoyen éligible peut être inscrit sur plusieurs listes et dans plusieurs départements. Lamartine est élu à Paris et dans neuf départements… La majorité est donnée aux libéraux républicains. Elle revient également aux plus riches. Socialistes et communistes n'obtiennent des sièges que dans les grandes villes. À Limoges et Rouen, les résultats sont contestés par les ouvriers. La répression des forces de l'ordre est immédiate avec son lot d'emprisonnements et de morts. Sur un plan politique, il s'agit d'élaborer une constitution favorable à la bourgeoisie : socialisme et réformes sociales ne sont plus d'actualité. Le coup de grâce va venir des évènements qui se déroulent à l'étranger, car la révolution survient au même moment dans plusieurs états européens, en particulier en Italie et en Pologne. Nous sommes le 16 mai. Si les commentaires du gouvernement sont relativement bienveillants, mais sans plus, les clubs blanquistes souhaitent une aide de la France aux révolutionnaires de ces deux pays. À cet effet, ils organisent une manifestation qui se termine près du palais Bourbon, proclame la dissolution de l'Assemblée et constitue un nouveau gouvernement provisoire… qui sera très provisoire puisque la troupe intervient le même jour. Les responsables sont condamnés à des peines de prison et la commission du Luxembourg est supprimée tout comme les ateliers nationaux qui coutent trop cher. Cette dernière suppression, liée à un chantage du gouvernement, provoque de nouvelles manifestations, le 22 juin. On rencontre dans les défilés des bonapartistes. Dès le lendemain, les ouvriers montent des barricades : ce sont à 80 % des travailleurs manuels représentant l'industrie parisienne. Une fois encore, la troupe intervient et parvient à ses fins le 26, laissant sur le pavé près de 20000 morts et faisant 25000 arrestations. Des insurgés sont guillotinés et 1500 accusés sont déportés en Algérie. George Sand écrit : "Je ne crois plus à l'existence d'une république qui commence à tuer ses prolétaires".
De leur côté, les tisserands lyonnais, habituellement à la pointe du combat, ne réagissent pas. Il faut dire que les troupes sont en nombre dans la ville. Par ailleurs, une commande importante de drapeaux et d'écharpes tricolores semble avoir calmé les esprits, pour l'instant du moins.
Que deviennent les acquis sociaux ou politiques ? Ils sont pour la plupart balayés. Sont supprimés, touchés ou modifiés les ateliers nationaux, la nationalisation des chemins de fer, la création des clubs, le droit aux réunions, le cautionnement des journaux, les peines pour délit de presse, le droit au travail remplacé par une assistance fraternelle… Le président est élu au suffrage universel.
Et Louis-Napoléon Bonaparte surgit. Antécédents familiaux, vétérans des campagnes, presse, soutien financier, une publication bien venue "Extinction du paupérisme"… lui permettent d'être largement élu. Les élections législatives du 13 mai 1849 montrent un net virage à gauche aux dépends des républicains modérés.
La première manifestation ne tarde pas : elle est due à une action militaire en Italie, contestée par la gauche. Le peuple parisien ne se sent pas concerné : une nouvelle épidémie de choléra touche les plus pauvres. Par contre, en province, Lyon est toujours à la pointe du combat, avec ses morts et ses arrestations. Une fois de plus, cela aboutit à des lois restreignant les libertés, notamment des clubs et de la presse.
La droitisation du gouvernement va, ensuite, se manifester dans deux secteurs : l'enseignement et le mode électoral. En mars 1850, la loi Falloux montre le rapprochement de l'État et de l'Église en donnant une place importante aux établissements confessionnels du primaire et du secondaire : une raison parmi d'autres de l'anticléricalisme naissant. Le corps enseignant public est alors tourné vers la gauche : les instituteurs sont contrôlés par le maire et le curé (voir nos articles sur l'éducation et l'enseignement). Côté députés, des élections consacrent la victoire de candidats de gauche, les Montagnards, tant à Paris qu'en province. Par réaction, la loi est changée : les condamnés pour délit politique ne peuvent plus se présenter de même que les citoyens qui sont dans le canton depuis moins de 3 ans, essentiellement les ouvriers. Le nombre des électeurs et des éligibles passe de 9 600 000 à 6 800 000. Les socialistes continuent toutefois à agir, à progresser en effectifs et organisation, en particulier dans le textile à Tourcoing.
Au sommet de l'État, les relations entre le président et les députés se dégradent. Une restauration monarchique est à l'ordre du jour; A l'issue de multiples péripéties, c'est finalement le coup d'État : l'Assemblée est dissoute le 2 décembre 1851, avec, encore une fois, de nombreuses arrestations de "députés dangereux". Le peuple de gauche réagit le 3, avec ses habituelles barricades. L'intervention des troupes règle le désordre : suivant les sources, il y a entre 380 et 2000 morts. En province, les manifestations se multiplient, surtout dans le sud-est, souvent violentes, aux motivations variables, aux origines sociales diverses.
Depuis la révolution de 1848, on ne peut pas dire que, matériellement, la vie des ouvriers ait vraiment changée. Par contre, une classe ouvrière est née au sein du monde du travail, industriel ou artisanal, avec ses revendications communes.
Le coup d'état ne va pas se limiter aux réactions immédiates de la troupe. Le pouvoir durcit la répression par l'intermédiaire de "commissions mixtes" : emprisonnement, déportation de manifestants (près de 10000 dont 6300 effectives), bannissement des députés ouvriers. Une campagne pour le départ volontaire en Algérie rencontre un certain succès à Paris et Lyon. Les propositions sont alléchantes. En fait, le but est de se débarrasser des éléments les plus turbulents. A côté des mesures individuelles, la plupart des organisations ouvrières sont dissoutes. Les débits de boisson, devenus lieux de réunions, nécessitent une autorisation préfectorale… Les conseils de prud'hommes retrouvent leurs statuts du 1er Empire, avec domination du patronat. Seuls points positifs : apport financier aux sociétés de secours mutuel autorisées et amélioration de l'habitat ouvrier. Peut-être une façon de faire oublier le reste, les restrictions des libertés, la domination de la bourgeoisie…
A plusieurs reprises, nous avons vu que les femmes étaient indispensables dans ces métiers du textile. Elles représentent plus de 60 % des employés. Mais leur sort n'est pas à envier : salaires très bas, horaires doubles avec leur travail à la maison, conditions de travail inacceptables. Et pourtant, elles acceptent car la misère est là. Souvent analphabètes, elles sont incapables de faire respecter le peu de droits que la loi leur accorde. La première tentative de prise de conscience de leur importance dans le monde ouvrier est la publication d'une revue "Femme libre", en 1832, à l'initiative de Désirée Gay, couturière, et M.-R. Guindorf, ouvrière lingère, toutes deux féministes et saint-simoniennes. Mais il faut attendre 1848 pour que des actions féministes aient un certain retentissement avec des demandes concernant l'aide aux femmes dans leur travail et la publication de revues à destination des ouvrières. Désirée Gay en est souvent à l'origine, mais doit s'exiler en Suisse et adhère à la première Internationale. Une autre ouvrière lingère, Jeanne Deroin, se présente aux législatives de 1849. Animatrice et inspiratrice d'associations ouvrières, en particulier pour l'instruction pour tous, elle est condamnée à la prison, puis se réfugie en Angleterre. D'autres femmes se lèvent et cherchent à montrer le rôle déterminant que peuvent jouer les femmes dans cette quête de justice et d'égalité. C'est le cas d'Eugénie Niboyet et de Pauline Roland, cette dernière à l'origine de l'Association des instituteurs, institutrices et professeurs socialistes. Cela lui vaut d'être arrêtée et déportée en Algérie. D'autres femmes moins connues vont se battre, non seulement contre le pouvoir, mais aussi contre le sentiment d'infériorité que leur confèrent les problèmes éducatifs et sexistes.
Avec le second Empire, le capitalisme s'impose : avec l'amélioration des moyens de transport – à l'initiative du gouvernement pour les chemins de fer -, les échanges commerciaux se développent au plan mondial. Les capitaux disponibles augmentent dans le réseau bancaire, facilitant les investissements. Les salaires montent dans certains secteurs, stagnent ou baissent dans d'autres, comme le textile. Sur le plan administratif, la création d'entreprises est largement facilitée de même que les fusions au sein d'un même secteur, comme les chemins de fer. Bâtiments et travaux publics en sont les grands bénéficiaires. La demande plus importante d'acier – rails, locomotives…- entraine une extraction accrue de houille. La conséquence est la disparition progressive des petites entreprises, en particulier en milieu rural, au profit de grands établissements où des intérêts communs peuvent s'exprimer au sein du monde ouvrier. Ces transformations profitent à une grande partie du pays. Seul, l'ouest, à l'exception de grandes villes comme Nantes, St Nazaire et Bordeaux ou des sites hautement spécialisés, voit disparaître ses petites entreprises, sans remplacement.
Durant les années 60, les conditions de vie des ouvriers ne vont guère changer : les salaires augmentent légèrement, mais le coût de la vie aussi ; les horaires sont toujours aussi longs. Les habitations sont souvent reléguées en banlieue, ce qui augmente le temps de déplacement. Les maladies professionnelles sont toujours plus nombreuses, liées aux problèmes d'hygiène, de durée et des conditions du travail, de promiscuité dans les industries-dortoirs… L'État fait quelques réformes en déclarant le droit de grève le 25 mai 1864 et, le 6 juin 1868, le droit de réunions, mais toujours dans certaines conditions : sous la surveillance d'un commissaire de police, il y est interdit de parler de politique et de religion. Les grèves vont se multiplier sur tout le territoire, interprofessionnelles ou par secteur d'activité, luttant pour la plupart contre le libéralisme capitaliste. A noter, en 1869, la première grande grève féminine des ovalistes lyonnaises, des ouvrières chargées de préparer le fil de soie.
La pensée ouvrière progresse pourtant, aidée en cela par des organisations anglaises. La première rencontre a lieu en 1861 et permet de distinguer 7 revendications dont la création de chambres syndicales, le développement de sociétés de secours, le droit de grève, l'éducation ouvrière, l'organisation d'une fraternité internationale. Cette dernière va se matérialiser par la création de l'Association internationale des travailleurs (AIT), ou encore, "l'Internationale", le 29 septembre 1864. Si les adhésions sont lentes à venir, on constate que les dirigeants sont jeunes. Il est impossible de rentrer dans le détail des revendications de l'AIT. A première vue, elles sont celles que nous connaissons déjà. Par contre, on trouve là un véritable espace de discussions, d'idées sur tous les sujets concernant le travail, le capitalisme, la religion, la qualité de la vie quotidienne, le mariage, l'armée… et l'organisation de la classe ouvrière dans le cadre d'un socialisme révolutionnaire. Quatre villes se distinguent par le nombre d'adhésions : Paris, Lyon, Marseille et Rouen. Progressivement, l'AIT fait tache d'huile dans toutes les régions. L'idée d'une fédération nationale fait son chemin. En 1869, la section de Saint-Etienne compte une centaine de passementiers. Pendant toutes ces années, les mouvements ouvriers se multiplient dans tous les secteurs, dans toutes les régions, plus particulièrement dans les zones mono-industrielles. À côté de ces mouvements sociaux, voire sociétaux, se posent des problèmes de pure politique. Faut-il agir seul (par quels moyens ?) ou dans un cadre politique classique (élections ?) ? Une chose est certaine : en 1870, le régime impérial, approuvé par les républicains modérés, n'a plus la côte du monde ouvrier ; l'a-t-il, d'ailleurs, jamais eu ?
L'AIT, section française ou prussienne, est contre la guerre franco-prussienne qui débute le 19 juillet 1870. La France, contrairement à la Prusse, est très mal préparée, une situation que l'on retrouvera 69 ans plus tard. Le 2 septembre 1870, la chute de Sedan provoque celle de l'Empire et la proclamation de la République, le 4 septembre, avec, à sa tête un Gouvernement (provisoire) de la Défense nationale constitué de républicains bourgeois. Le monde ouvrier n'est pas prêt pour prendre le pouvoir, faute d'un programme sur une nouvelle organisation de l'État. Une exception : la commune de Lyon qui proclame la République avant Paris, dirigée par un comité de salut public composé de radicaux et de membres de l'AIT. Le mot "commune" n'est pas anodin. Pour certains, elle doit être "un centre d'organisation sociale et économique dirigé par des élus, une unité sociale comme la nation forme l'unité politique".
Les armées prussiennes envahissent tout l'Est de la France, jusqu'à Paris qui est assiégée le 18 septembre. Le gouvernement doit répondre à des urgences pour l'armée et la population. Il s'appuie pour cela sur les mairies aidées par des comités révolutionnaires où siègent de futurs communards. En parallèle, des organisations populaires, dont l'AIT, forment leurs adhérents aux plans administratifs et politiques. Durant l'automne 1870, les manifestations se multiplient et témoignent du manque de confiance grandissant du peuple à l'égard du gouvernement provisoire. Les défaites militaires n'arrangent rien. La défiance grandit vis-à-vis du pouvoir et de l'armée. L'armistice est signé le 28 janvier 1871.
Sous la pression de Bismarck, des élections législatives ont lieu le 8 février 1871. À Paris, la majorité revient aux républicains démocrates ; l'AIT et ses alliés n'obtiennent que 4 élus. Par contre, sur l'ensemble de la France, les monarchistes obtiennent près des 2/3 des élus. Sous la direction de Thiers, chef du pouvoir exécutif, l'Assemblée prend des mesures en faveur de la paix, mais au détriment du peuple parisien : suppression de la solde des gardes nationaux, le seul moyen d'existence de la majorité des ouvriers parisiens, abolition du moratoire des dettes, des effets du commerce et des loyers, ce qui rend les échéances d'avril exigibles. Le siège de l'Assemblée est transféré de Paris à Versailles : une autre agression contre le peuple républicain de Paris qui s'est battu contre l'envahisseur, un soutien aux monarchistes. Ces décisions et la perte du pouvoir régalien du gouvernement provoquent une scission entre l'État et le peuple de Paris. Le 18 mars, une nouvelle manifestation réunit gardes nationaux et population, suite à un affrontement entre armée régulière et gardes nationaux. Ces derniers occupent tout Paris qui est dès lors aux mains du Comité central de ces gardes issus du petit peuple. C'est le début de la Commune. Le Comité central s'installe dans l'Hôtel de ville ; il organise des élections le 26 mars pour désigner l'assemblée dirigeante de la Commune. Les élus proviennent d'un large éventail de professions : une tiers est constitué d'ouvriers. Tous proviennent de mouvements révolutionnaires plus ou moins radicalisés. Ils resteront en place pendant 54 jours. La France rurale et bourgeoise, conservatrice, majoritaire à l'Assemblée, décide de briser le Paris populaire et révolutionnaire de la Commune. Thiers, soutenu par Bismarck, se prépare à contrattaquer et augmente les effectifs de l'armée.
Malgré ses divisions internes, la Commune prend des mesures d'urgence pour soulager le peuple : rétablissement du moratoire des dettes, annulation des quittances, suppression des amendes patronales et retenues sur salaires, restitution gratuite des biens engagés dans le mont-de-piété… adoption du principe d'une journée de 10 heures pour les ouvriers. D'autres projets sont évoqués : remplacement de la conscription et des armées permanentes par la levée du peuple en armes, séparation de l'Église et de l'État, avec suppression de la subvention du culte, enfants légitimes et naturels sont égaux, de même que les épouses et les concubines, enseignement laïc, obligatoire et gratuit (filles et garçons ?). Tous ces projets seront votés par la IIIe République. Certains symboles apparaissent : drapeau rouge, calendrier républicain, Comité de salut public, d'autres, contraires, sont détruits comme la colonne Vendôme ou la chapelle expiatoire de Louis XVI.
La Commune est un évènement essentiellement parisien. En province, il y a quelques soulèvements, sans lendemain. Cette période se termine, le 28 mai, dans un bain de sang, "La semaine sanglante". Un massacre réciproque perpétré par les communards et l'armée termina cet épisode de notre histoire. Plus de 20000 parisiens furent tués, 7500 déportés en Nouvelle-Calédonie. Le quart de la population ouvrière de Paris disparaît.
La période qui suit la Commune reste tout aussi troublée que les précédentes. Le mouvement ouvrier a été stoppé, voire décapité par la répression et l'avenir de la République reste incertain, menacé par les royalistes et les bonapartistes Sur le plan économique, la guerre laisse d'importantes séquelles : une dette et la perte de deux départements très industrialisés. Le monde rural, jusque-là dominant, est remisé à la seconde place, derrière l'industrie. Des découvertes techniques et scientifiques vont mettre en concurrence les pays d'Europe : l'électricité, le développement des forces motrices, de nouveaux matériaux, le développement des transports … Même si le travail manuel, l'artisanat, domine encore, on constate une mécanisation importante, du moins dans les grosses entreprises. La population active est plus importante, non pas du fait de l'augmentation de la population, mais parce que plus nombreux sont ceux qui travaillent, notamment parmi les femmes. L'immigration joue également un rôle important.
Il va de soi que les changements varient suivant le secteur d'activité : les salariées travaillent surtout dans le textile et le travail des étoffes (repassage, tailleur pour dames, couture, bonneterie, lingerie, dentelles…) ; elles représentent dans ces seuls deux secteurs les trois quarts des travailleuses de l'industrie, soit environ deux millions et dominent largement les ouvriers masculins. Elles interviennent dans de nombreux autres métiers, dont certains ne sont pas toujours adaptés à la condition féminine (la mine, par exemple). En règle générale, ce sont des professions ne réclamant pas une grande qualification. Quant aux hommes, ce sont bien souvent des ruraux attirés par la ville, qui trouvent un emploi dans les mines, la sidérurgie, la métallurgie et la chimie. Une étude détaillée montre que les régions attirent différemment, de plus ou moins loin, suivant la certitude de trouver un emploi, comme à Paris, ou l'ancienneté de l'industrie locale, comme à Lyon ou dans le Nord. Mais cela nous entrainerait trop loin.
Autre point intervenant dans le développement du monde ouvrier, la taille des entreprises. Les petits établissements dominent toujours et regroupent 40 % des ouvriers, soit dans le domicile du patron, soit dans un véritable atelier indépendant. Ils sont dispersés dans toute la France et concernent majoritairement le travail des étoffes et les vêtements, surtout dans les grandes villes, du fait de la demande ; les petits ateliers de textile perdurent, mais laissent la place à de grands établissements. De nouvelles activités apparaissent qui ne nécessitent pas d'embauches importantes : petits commerces, spectacles, professions libérales. Quant aux moyennes et grandes entreprises, il faut attendre la fin du siècle – à quelques exceptions près - pour les voir se développer avec une mécanisation très importante évoluant au fil des découvertes : les besoins financiers sont énormes. Parallèlement à la taille des entreprises, l'organisation du travail est très différente. D'un côté, le patron est avec ses ouvriers dans le travail, voire dans la vie quotidienne, de l'autre, une hiérarchie s'installe du patron-propriétaire-investisseur à l'ouvrier, en passant par les chefs de service, les contremaîtres… Enfin, le salaire de l'ouvrier est évalué soit au temps passé (il est fixe), soit au rendement ou aux pièces (il peut fluctuer), soit encore à la tâche (fixé à l'avance). Le marchandage et le tâcheronat concernent davantage un travail en équipe.
Cet état des lieux montre l'absence d'homogénéité du monde ouvrier en nette augmentation, donc en renouvellement constant, et en mutation du fait de l'évolution de la demande de l'industrie.
L'étude de l'Histoire de France après la Commune est très complexe. Les rivalités entre républicains (radicaux et révolutionnaires), monarchistes (légitimistes et orléanistes) qui souhaitent rétablir la royauté et bonapartistes qui rêvent d'un IIIe empire provoquent une instabilité totale du pays. L'influence de l'Église est source de conflits entre partis politiques. Les réformes sont lentes à venir. Les gouvernements se succèdent d'abord sous le chef de l'exécutoire, Adolphe Thiers, puis sous le président, le maréchal de Mac-Mahon. À partir de 1879, les républicains sont seuls à la tête du pays. Nous ne pouvons rentrer dans les détails.
La question qui nous intéresse est : Que devient le monde ouvrier dans cette période instable ? L'AIT est désormais interdite. Tout rassemblement d'ouvriers est suspect, suivi éventuellement d'emprisonnement ou d'amende. Les syndicats sont interdits, les publications doivent être autorisées par le préfet de même que les réunions. Cette répression est le témoin d'une haine et d'une peur à l'égard de la classe ouvrière : elle se veut anti-ouvrière et antisocialiste.
Malgré cette répression, le mouvement ouvrier redémarre dès 1872, notamment par les chambres syndicales créées à la fin de l'Empire. Elles correspondent aux métiers les mieux organisés, souvent les plus anciens. De nouvelles chambres syndicales voient le jour dans toute la France, malgré l'interdiction et même si les préfets veillent. Par contre, la grande industrie ne bouge pas alors même que c'est dans ce secteur que se multiplient les grèves, à partir de 1878, avec la reprise économique. Les associations ouvrières sont diverses : associations, coopératives, sociétés de secours mutuel, chambres syndicales. Elles se réunissent à 3 reprises à la fin des années 70, en précisant bien qu'elles n'ont que des visées économiques et sociales. Ces congrès sont réservés aux ouvriers, mais quelques politiques socialistes s'invitent. Les chambres syndicales ont la faveur des participants : elles seules s'attachent à défendre les intérêts de tous les travailleurs. Dans un premier temps, chacune ne concerne qu'une profession. Elles sont destinées à la formation aux études sociales et à la propagande du socialisme, et régissent les relations de travail, notamment en cas de différends. Leur rôle est plus défensif qu'offensif. En 1879, nait la Fédération du parti des travailleurs socialistes de France, réservée aux ouvriers, qui regroupent chambres syndicales, coopératives et autres types d'associations. Le socialisme déclaré relève plutôt des révolutionnaires, anciens de l'AIT, réclamant "la collectivité du sol, du sous-sol, des instruments de travail, matières premières données à tous et rendus inaliénables par la société à qui ils doivent retourner". Cette idée de collectivisme entraîne la rupture avec les socialistes radicaux défenseurs de la propriété privée.
Si les congrès ouvriers permettent des échanges d'idées, les programmes sont mal définis sur les plans politique et social, sur l'organisation de la lutte, sur le rôle des syndicats. Une seule certitude : une orientation vers le socialisme. Le redémarrage du mouvement se précise, notamment grâce à l'autorisation des syndicats professionnels (1884). Ceux-ci se multiplient sur tout le territoire, donnant naissance à des Fédérations nationales de métiers regroupant "ceux du même état de toutes les villes de France". Elles ont l'avantage, par une meilleure connaissance de la profession, de mieux défendre leur corporation, mais aussi d'éloigner les partis politiques. Finalement, lors d'un congrès syndical à Lyon, en 1886, est fondée la Fédération nationale des syndicats et des groupes corporatifs de France. Celle-ci ne vivra que 12 ans, victime d'une direction révolutionnaire, annexe du parti guesdiste. Le 28 septembre 1895, au Congrès national corporatif de Limoges, nait la Confédération générale du travail, premier syndicat interprofessionnel à priori indépendant des partis…
Et après ? Selon nos habitudes, nous nous arrêtons à cette fin du XIXe siècle alors même que l'histoire du monde ouvrier n'en est qu'à ses débuts. Une époque où la proto-industrie fait place à l'industrie, même si les deux vivent toujours de concert. En rédigeant cet article, nous avons découvert la complexité de cette question où se mêlent histoire, guerre, politique, société, économie, humanisme, religion… Si le temps nous le permet, nous continuerons de vous raconter cette histoire : elle ne prend pas fin en 1895...
FIN