HISTOIRE DES BOUCHERS
"Boucher" ! Le métier le plus vieux de l'humanité !? Une expression qui a été utilisée pour plusieurs métiers… Quels sont les arguments avancés pour le dire des bouchers ?
Pour répondre à cette question et à bien d'autres sur ce métier, nous avons utilisé comme base un ouvrage de la BnF Gallica, Histoire et législation de la boucherie et de la charcuterie par J. BATAILLARD, imprimerie J. Roblot à Besançon, 1870.
Il faut remonter très loin dans la Préhistoire. Au début, l'homme, nomade, se contente de la cueillette et de la chasse pour se nourrir. Petit à petit, il va dompter la nature en se sédentarisant : c'est le début de la culture et de l'élevage des espèces les plus dociles.
Les Égyptiens, comme la plupart des pays du pourtour méditerranéen, ont pour base de leur alimentation le pain (parfois préparé avec du beurre et des œufs) et la bière, en accompagnement. Fruits et légumes ont une place prépondérante. Le poisson tient une place plus importante que la viande : mouton, porc, volaille (oies), oiseau (pigeon) et bœuf ou taureau pour les fêtes publiques ou religieuses. Bouchers et oiseaux sont régulièrement évoqués par des dessins dans des temples ou des chambres funéraires. Les bouchers semblent être organisés en corporation.
Il faut attendre l'époque romaine pour que soient créées les premières boucheries publiques. On distingue plusieurs catégories. Certaines sont chargées de l'approvisionnement en bestiaux, du soin de les faire préparer et d'en débiter les chairs. Les "suari (suarius = porcher ; charcutiers !?)" n'achètent que les porcs ; les moutons, les veaux et les bœufs sont fournis par les pecuarii (pecuarius = éleveur, propriétaire de troupeaux ; volaillers !?) ou boraii (boarius : qui concerne les bœufs). Les lanii (lanius = boucher, de lanio = mettre en pièces) ou carnifices (carnifex = bourreau, homme qui torture) travaillent pour le compte des précédents : chargés de tuer les bestiaux, de préparer la viande et de la mettre en vente, ils œuvrent dans un local qui leur est attribué. Ils sont tous soumis à l'autorité du préfet. Néron leur fait construire un bâtiment dédié, le "Macellum magnum", le Grand Marché. " Les bouchers n’ont pas le droit d’acheter des cochons, ils doivent se rendre au strategion avec une autorisation écrite de l’éparque pour y acheter des moutons, autant qu’on peut en avoir pour une monnaie d’or. Mais ils ne doivent pas rencontrer en ville les bergers provenant du dehors qui vendent en gros, mais à la campagne, sur l’autre rive du fleuve Sagaros, afin que la vente s’effectue à meilleur prix. Ceux qui achètent, abattent et revendent les cochons doivent les acheter dans le Taurus. Mais ceux qui rencontrent en cachette des vendeurs de cochons dans un endroit quelconque de la ville pour acheter directement des animaux et faire monter les prix seront exclus de la corporation s’ils sont surpris en flagrant délit ". Porcs, chèvres, moutons, poulets, lapins, pigeons prédominent ; parmi les gibiers, le sanglier, le chevreuil, la grive, la perdrix et la caille. L'alimentation carnée est donc très variée. Par contre, la consommation de bœufs est interdite et le restera pendant plusieurs siècles : ces animaux sont utilisés pour les travaux agricoles ou la traction des chariots. Le boucher ne peut quitter son métier qui est héréditaire. On retrouve ce même métier en Gaule, au moment de la conquête, avec les mêmes règles notamment la transmission familiale. Ces grandes familles très privilégiées se regroupent finalement en corporation dont les statuts sont liés à la tradition.
Avant le milieu du Ve siècle, en Grèce, le mageiros est à la fois sacrificateur, à l'occasion de sacrifices et fêtes publics ou de banquets privés, découpeur, vendeur et cuisinier. Le sacrifice public se fait suivant des préceptes bien établis qui en font "une activité à caractère hautement culturel", évoquée avec précision sur les vases. Les grecs les plus riches peuvent s'acheter de la viande chez des marchands qui procèdent à l'abattage suivant des modalités sacrificielles simplifiées. La viande est débitée en quartiers sans distinction de prix. La viande de porc, moins chère, est la plus consommée. On trouve également sur le marché des viandes de seconde qualité provenant d'animaux morts, ou reconnus impropres au sacrifice, ou encore volés sur les autels, avant ou après consécration. Pour les sanctuaires, ce sont les prêtres qui sacrifient les bêtes. À noter que l'alimentation est surtout, à cette époque, à base de pain, de fruits, de fèves, de fromage et de poissons en ville. À la campagne, volailles, mouton et chevreaux sont sur la table des plus riches.
Le terme de boucher apparaît au XIIe siècle et viendrait de "bochier", lui-même venant de bouc et signifierai tueur ou vendeur de bouc. D'après d'autres hypothèses, il pourrait dériver du latin médiéval "bocharîa" ou "beccarius".
En France, le premier texte d'origine royale date de 1162, édicté par Louis le Jeune, dans lequel les bouchers héritiers de père en fils sont dits "naturels". Ne protégeant pas la profession contre la concurrence, il incite les bouchers à demander un texte plus précis, proposé à Philippe-Auguste qui l'approuve en 1182. Cette charte ne comporte que 4 articles, et, à priori, ne fait que confirmer des textes plus anciens :
1° Les bouchers de Paris peuvent vendre et acheter les bêtes vives et mortes, et tout ce qui appartient à la boucherie, sans avoir à fournir aucun impôt ou péage, dans la banlieue de Paris, de quelque part qu'ils les tirent ou quelque part qu'ils les envoient, s'il y a lieu. Ils peuvent acheter et vendre de la même manière les poissons d'eau douce et de mer ;
2° Item. Nul ne peut être reçu boucher à Paris qu'il ne paye aux autres bouchers à boire et à manger, à moins que ceux-ci, de leur propre et libre volonté, ne lui fassent remise de ces droits ;
3° Dans l'octave de Noël, chaque boucher payera à nous par chaque an douze deniers ; et dans l'octave de Pâques et de Saint-Denis treize deniers à celui qui tiendra de nous ce droit à titre de fief ;
4° Chacun des bouchers, chaque dimanche qu'il coupe de la viande de porc ou de bœuf doit à l'officier préposé par nous une obole pour l'étal et nous doit à nous, chaque, le haubens du vin au temps de vendanges. ("Haubans est uns propres nons d'une coustume asise, par la quele il fu establi anciennement que quiconques seroit haubaniers, qu'il seroit plus frans et paieroit mains de droitures et des coustumes de la marchandise de son mestier que cil qui ne seroit pas haubaniers")
Philippe-Auguste est amené également à régler un litige entre la corporation des bouchers et les Templiers. Ceux-ci veulent créer des boucheries dans leurs territoires alors que l'exercice de cette profession est réservé aux bouchers et à leurs descendants. Les Templiers obtiennent gain de cause avec le droit de créer, hors les villes, deux étaux de douze pieds. Cet accord est, par la suite, bafoué avec la création de boucheries à l'intérieur des villes. C'est le cas à Paris, au temps où la ville ne s'étend qu'entre les deux bras de la Seine (île de la Cité) sur le parvis de Notre-Dame avec, en témoignage, la création de l'église Saint-Pierre-aux- bœufs. Ce n'est là que la première concurrence. Les religieuses de Montmartre disposent également de 23 étaux par dot de Louis le Gros en 1134. L'agrandissement de Paris sur la rive droite de la Seine justifie la création, par la corporation, de nouveaux étaux, notamment au Châtelet, et surtout, à la Porte de Paris, la Grande Boucherie. Des bouchers indépendants créent leur propre établissement, profitant du "privilège d'exercer librement tous métiers, qu'on attribuait d'ordinaire aux habitants des lieux nouvellement construits pour y attirer la population". La norme semble revenir avec le rachat progressif par la Grande Boucherie des étaux des religieuses de Montmartre et des bouchers indépendants en 1233. Un siècle plus tard, à l'image des Templiers, d'autres établissements religieux créent leurs propres étaux : le prieur de saint-Éloi, les religieux de Saint-Geneviève, les religieux de Saint-Germain-des Prés, ces derniers donnant ces étaux à une nouvelle communauté de boucher en 1374 (lettres patentes de Charles V), d'où la "Rue de la Boucherie".
La vie de nos bouchers n'est donc plus ce long fleuve tranquille du premier millénaire. Et ce n'est pas fini ! Une ordonnance de police du roi Jean II, de 1350, précise certains droits et, surtout, devoirs :
- l'article 139 porte défense aux bouchers et autres personnes d'acheter ou vendre le bétail ailleurs qu'à la Place aux pourceaux et après heure de midy ; cependant les bouchers et les détailleurs pourront acheter bestail et lard devant ladite heure pour vendre à destail et estail et non autrement.
- l'article 140 précise les devoirs des valets : Nuls valets à bouchers ne pourront achepter denrées à quelque lieu que ce soit s'il n'est tailleur et expert, ayant savoir et pouvoir d'achepter et payer.
- l'article 142 : "Toutes manières de bouchers de la ville prévosté et vicomté de Paris jureront et affirmeront par leurs serments que loyaument et véritablement, ils mettront en somme tout ce que les bestes qu'ils tueront et vendront à estal leur auront cousté et que de chascun vingt sols, rabattu tout le profit des dites bestes leur demeurera, ils prendront pour leur acquest tout seulement deux sols parisis pour livre et non plus. Et qui sera trouvé faisant le contraire, il sorsera le mestier , et sera puni d'amende volontaire. Et au cas où les bouchers de la ville de Paris seroient de ce refusants, et ne le voudroient faire, ils seront privés du mestier, l'on donnerait congé à toutes manières de gens de faire et eslever boucherie en quelque lieu qu'il leur plairoit en la ville de Paris, mais [pourvu] qu'ils vendront chairs bonnes, loyaux et suffisans".
- l'article 145 : "Nul boucher ne vendra chair sursemée, ne aussi gardera chair tuée plus de deux jours en hyver, et en esté jour et demi au plus. Et au cas où il fera le contraire, il l'amendera chaque fois de vingt sols".
- l'article 146 : "Pour visiter ledit mestier des bouchers et celuy des chandeliers, seront établis quatre prud'hommes qui jureront par leur serment que loyaument et justement, sans déport aucun, ils visiteront et verront ès hostels, celiers et maisons et autres lieux desdits bouchers et chandeliers, et que toutes les deffautes qu'ils trouveront, sans déport aucun, ce jour mesme que trouvé l'auront, ils rapporteront par devers le presvot de Paris ou l'un des auditeurs, le procureur du roy et le receveur de Paris, qui en ordonneront ainsi comme raison sera. Et seront ledits jurez renouvelez chacun an de leurs serments…, et auront lesdits jurez, pour leur salaire, le tiers des amendes et forfaitures qui en issiront".
En 1363, le même Jean II récidive à l'encontre des bouchers de la montagne Sainte-Geneviève suite à des plaintes pour usages non-conformes "aux observances des autres boucheries, tant de la bonne ville de Paris comme des autres bonnes villes du royaume de France contre les registres et ordonnances anciens faiz en l'église de Saint-Geneviève sur l'état et le gouvernement de ladicte boucherie". Désormais, "Défenses leur sont faites 1° d'acheter ou de vendre des animaux ailleurs qu'en leur boucherie ;2° de tuer la veille des jours auxquels on ne mange point de viande, excepté les vendredis, depuis la Saint-Remi jusqu'à caresme-prenant ; 3° de tuer des bestes élevées dans les maisons des huiliers ou des barbiers, ou dans les maladreries ; 4° de faire fondre dans leurs boucheries les suifs des bestes qu'ils y auront tuées ; 5° et 6° d'avoir éviers ou égouts pour faire couler ou d'avoir des fosses pour y garder le sang des bestes tuées : ils seront obligés de porter et de vider chaque jour, hors des murs de Paris, et dans les lieux écartés des chemins, le sang, la fiente et les lavures des bestes ; 7° ils ne tueront pas les bestes qui aient le fy [verrue des bovins et des chevaux] 8° les contrevenants payeront une amende de six livres dont la moitié appartiendra au roi et l'autre moitié à Sainte-Geneviève". Un nouvel article oblige les bouchers "à tuer dorénavant leurs bestiaux hors Paris, sur la rivière, et d'apporter ensuite leurs viandes à Paris pour les vendre sur peine de dix livres d'amende".
Ces ordonnances montrent le souci du roi de veiller aux conséquences néfastes des pratiques des bouchers pour la population de Paris et des autres villes du royaume ; elles ont donc un caractère national et non pas seulement parisien. Une exception, tout de même : le non-respect par les bouchers d'une ordonnance concernant les privilèges, droits et prérogatives et la juridiction du concierge du palais : "Ledit concierge a et doit avoir, à cause de ladite conciergerie, toutesfois que l'on fait un nouveau boucher en la boucherie de Paris, devant le Châtelet, trente livres et demie, la moitié d'un quarteron et la moitié de demi-quarteron pesant de chair, moitié bœuf et moitié porc, la moitié d'un chapon plumé, demi septier de vins et deux gasteaux : et doit donner celui qui les vaquerre, au chanteur qui est dans la salle aux bouchers, deux deniers… S'il advenait que ledit concierge voulsist envoyer lettres à Gonesse pour faire venir des bleds ou autre chose au grenier du Roy, les escorchers de la Boucherie de Paris les doivent porter ou envoyer à leurs propres coûts et despens ; et s'ils le refusent, ils sont tenus de l'amender à nostre dit seigneur et au concierge dessus dicts".
Curieusement, ces ordonnances n'évoquent pas la façon de vendre la viande : à la pesée ou à la pièce ? A priori, les modalités n'étaient pas identiques dans tout le royaume. Si la vente à la pièce dominait à Paris, des exemples dans le sud-ouest montrent que la vente à la pesée était prépondérante, avec un avantage pour le budget de la ville car les consuls pouvaient lever un impôt sur cette vente.
D'après Régine Pernoud, experte et grande défenseuse du Moyen-Âge, nos ancêtres mangent beaucoup de viande et le cheptel français du XIIIe siècle est plus important qu'en 1944 (une date peut-être non représentative !) que ce soit en bêtes à cornes, moutons et surtout porcs qui fournissent viande et graisse pour l'année après salaison ou fumage. Le tue-cochon du paysan est admis et vient concurrencer les bouchers, même si cette pratique est essentiellement campagnarde. C'est un jour de fête auquel sont conviés famille et voisins. L'abattage a lieu lorsque la nourriture n'est plus abondante, entre la Toussaint et le mardi gras. L'absence de mouches permet une meilleure conservation. Suivant l'expression "Tout est bon dans un cochon", et juste après l'abattage, la répartition des différents morceaux est programmée : la cervelle aux vieillards, le cœur ou la hure aux êtres chers, foie et poumons aux autres… La consommation des bons morceaux vient lorsque démarrent les travaux des champs nécessitant plus d'énergie.
Les volailles ont aussi une place importante soit par les œufs, soit, après engraissement des oies, par le foie gras sur les tables des maîtres et seigneurs. La chasse est également très importante : nous en parlerons dans un autre article.
L'ordonnance royale suivante ne tarde pas. Signée par Charles VI en 1381, elle comporte 42 articles et sera applicable jusqu'en 1587 !
"Art. 1 à 5 (résumé) : À la mort du chef du métier, ses fonctions sont exercées par quatre jurés du corps ; ceux-ci doivent assembler tous les bouchers dans le délai d'un mois et les bouchers choisissent douze d'entre eux pour nommer à la majorité des suffrages le chef de la corporation ; les fonctions de greffiers et de sergents sont remplies par trois écorcheurs, qui font tous les actes de procédure relatifs à la juridiction dont est chef le maître élu. Tout boucher sommé de comparaître devant le maître et les jurés sera tenu, s'il fait défaut, à payer une amende de dix-sept sous six deniers, à moins de circonstances atténuantes : auquel cas il est condamné pour le premier défaut à douze deniers, pour le second à deux sous, pour le troisième à dix-sept sous six deniers ; après récidive, le métier lui peut être défendu. Que s'il continue malgré la défense, les trois écorcheurs-jurés, que nous avons vu nommer, appellent à leur aide d'autres écorcheurs comme eux, lui enlèvent et font brûler ses viandes et peuvent aller jusqu'à jeter à l'eau son étal. Les profits des amendes reviennent un tiers au maître de la boucherie, et les deux autres tiers à la communauté, qui peut en user pour payer les gens de loi dont on peut avoir parfois à prendre conseil.
Art. 6 : Ledit maistre ne pourra faire ne recevoir bouchier ni escorcheur senz l'accord et assentement des quatre jurez et d'aucuns prudes-hommes du mestier. Les jurés feront toutes les recettes de sommes appartenant à la communauté, et les porteront, le jour même, en la huche [coffre] du mestier ; ledit maistre ne fera mise [dépense] ne recepte par sa main.
Art. 7 à 11 (résumé) : Les articles suivants prescrivent au maître et aux jurés de remplir avec zèle leurs fonctions ; de pourvoir la communauté d'un sceau, et enfin aux bouchers qui sont cités devant eux par des étrangers, de comparaître en personne.
Art. 12 : Que le bouchier qui vendra mauvaise char sera puniz de soixante sols d'amende, et de foirier [faire férie ou fête chômer] huit jours ou quinze, selon le regard du maistre et des jurez tant seulement ; et son voisin qui l'aura vu, se il ne l'encuse, se il ne peut faire foy souffisant que rien n'en sçavoit foirera aussi selon le regard des susdits…
Art. 20 : Que nul bouchier ne die villenie à personne qui vieigne acheter chars en la boucherie combien qu'elles soient despéciés, sur peine de son mestier perdre par un mois ou plus selon le ragard du maistre et des jurez.
Art. 22 (résumé) : Si un boucher prend une femme débauchée ou publique sans la permission du maître et des jurés, il sera exclu pour toujours de la Grande Boucherie ; mais il pourra avoir un étal à la boucherie du Petit-Pont.
Art. 23 à 39 (résumé) : outre le repas et l'abreuvement qu'il devait à ses nouveaux confrères, le postulant devait encore au maître et à sa femme, au prévôt et au voyer de Paris, au prévôt du Four-l'Evêque, au célerier et au concierge du parlement…
Art. 40 (résumé) : les fils de maîtres étaient seuls reçus dans la profession héréditaire des bouchers ; ils sont exemptés de droits."
La bonne application de ces ordonnances devrait suffire à pérenniser la profession. Et pourtant, le corps des bouchers, associé à ceux des changeurs, orfèvres, drapiers, merciers, pelletiers, foulons, tisserands… va disparaître, pour des raisons sociales, financières et politiques. La création de nouveaux impôts mal employés est à l'origine d'une première révolte en Picardie, suivie par le peuple de Paris. Pour faire revenir le calme, le duc d'Anjou supprime un certain nombre de taxes, mais l'accalmie venue, il en impose de nouvelles, notamment sur les aliments, qui concerne le plus grand nombre. Les percepteurs sont accueillis avec le cri "Aux Armes" ; les habitants se rendent à l'Hôtel de ville" et s'emparent de plusieurs milliers de maillets, d'où le nom de "maillotins" donné aux émeutiers. Des receveurs sont assassinés, des maisons détruites, des prisons ouvertes même aux assassins. Cette révolte dure du 1er mars 1381 au 1er janvier 1382 avec des mesures draconiennes prises par le roi, notamment à l'endroit des organisateurs. Le 27 janvier, il fait passer au prévôt de Paris "toute la juridiction, cognoissance et cohercion que lesdit prévôt, eschevins et clerc avoient et pouvoient avoir" et supprimait ainsi les métiers : "Que en nostre dite ville de Paris n'ait d'ores en avant aucuns maistres de mestier ne communautez quelzconques, comme le maistre et communaulté des bouchers… ; mais voulons et ordonnons que en chascun mestier soient esleus par nostredit prévôt, appelez que aulx semblera, certains preudhommes dudit mestier pour visiter iceluy, afin que aulcunes fraudes n'y soient commises".
La Grande Boucherie devient ainsi la propriété du roi pendant 5 ans. Propriété signifie bénéfice, mais aussi obligation d'entretien ce que refuse le roi qui rend aux bouchers leurs anciens privilèges, à condition de prendre en charge les travaux à exécuter. Les bouchers profitent de cette bienveillance pour agrandir leurs étaux, en compensation d'un terrain qui leur avait été pris par le prévôt de Paris.
À cette même époque, la charcuterie devient un métier à part entière, distinct de la boucherie. Le premier règlement autorise les charcutiers-saucissiers de Paris " à cuire char et à faire saucisse, à vendre du saindoux et autres chars et denrées de boucherie ". Par contre, l'abattage des bêtes est toujours réservé aux bouchers auprès desquels tripiers, charcutiers, voire pâtissiers (préparation de pâtés : viande entourée de pâte) doivent s'approvisionner.
Nous copions ici un texte qui montre que l'histoire n'est qu'un éternel recommencement. Comprenne qui voudra ! "Nous touchons à une de ces époques pénibles où le pays se démoralise et se décompose par des vices qui n'ont pas même leur triste grandeur, par des hommes qui ne peuvent même invoquer un principe à l'appui des insurrections qu'ils suscitent. C'est le règne du mal pour le mal, d'une pourriture où pas une semence ne ferment pour un meilleur avenir".
En l'occurrence, cette époque est celle de la guerre civile entre Armagnacs et Bourguignons sur un fond de guerre entre la France et l'Angleterre pour la possession de la couronne de France. Le point de départ en est la demande de réformes de l'administration par les Bourguignons, le peuple de Paris et l'Université. Impossible de détailler ici cette période qui relève de l'Histoire de France : alternativement, Armagnacs et Bourguignons sont maîtres de Paris. Les "Écorcheurs", en relation avec le duc de Bourgogne Jean sans Peur, ravagent les environs de Paris entre 1410 et 1413. A leur tête, Caboche, un écorcheur de la boucherie du parvis de Notre-Dame, qui crée une milice pesant sur les décisions du roi dans l'organisation du gouvernement, notamment. D'abord bien accueillie par la population, elle est ensuite rejetée par les parisiens du fait de ses excès et mise en fuite. En 1415, c'est le retour des Armagnacs, la fuite du duc de Bourgogne et la vengeance du roi, en 1416.
Sans attendre, l'ensemble de la profession désigne un maître de bouchers, aidé de trois écorcheurs, pour juger, en première instance, les différends touchant la profession. Ce privilège de jugement interne est confirmé par lettres patentes d'Henri II, en 1550, appliquées jusqu'en février 1673. Pour embellir la ville et la préserver de "plusieurs infections et immondices nuisables au corps humain", la Grande boucherie du Châtelet est détruite "jusqu'au rez-de-terre" ainsi que "l'écorcherie qui était derrière le grand pont de Paris". Celle du parvis de Paris est sans doute éliminée à la même époque. Ces bâtiments sont reconstruits "ès lieux propices et convenables…" aux frais du roi et qui loue à son profit les quarante étaux. "Les escorcheries se feront hors de nostre dite ville de Paris ; c'est assavoir près ou environ des Tuileries Saint-Honoré, qui sont sur ladite rivière de Seine, oultre les fossez du chasteau et bois du Louvre". Dans le même temps, la communauté est dissoute : plus de maistre, d'officiers "… voulons et ordonnons que toutes les causes et querelles desdits bouchers, tueurs et escorcheurs soient demenées par devant notre prévôt de Paris". La création de boucherie ne nécessite plus d'être fils de boucher : le métier est ouvert à tous, sans obligation de taxes ou de cadeaux à des agents de l'État (voir plus haut).
En 1418, les Bourguignons reprennent le pouvoir : les Armagnacs sont massacrés. Les bouchers proscrits redeviennent tout puissants, confirmés par une ordonnance. Après une critique sur les excès de pouvoir des Armagnacs, elle révoque les lettres de 1416 et redonne aux bouchers tous leurs anciens privilèges, notamment celui de l'hérédité. La Grande Boucherie est reconstruite. Il ne reste que quelques familles de bouchers héréditaires. Il s'en suit la fermeture de très nombreux étaux. Ils sont loués à de nouveaux compagnons par leurs propriétaires. Mais en 1465, le Parlement s'insurge contre cette pratique et ordonne "que lesdits maîtres de la Grande Boucherie ne pourront doresnavant louer ne prendre proufit de leurs étaulx, mais les exerceront en personne ou par leurs gens ou serviteurs à ce cognoissans et expers ; et leurs propres deniers".
Comme toutes les corporations, celle des bouchers a sa fête religieuse annuelle. La date peut varier suivant la ville : à la Saint-Barthélemy, à la Saint-Hubert, à la fête du Saint-Sacrement ou de l'Annonciation, ces deux dernières en relation avec la parole de l'Évangile : "Le verbe s'est fait chair" (Jean 1,14).
Les armoiries sont également très variables. Sont représentés des animaux : bœuf marchant, veau, porc, mais aussi des saints, voire le Christ.
À partir de 1511, obligation est faite "au procureur du roi du Châtelet de Paris, de recouvrer toutes les sepmaines des vendeurs de bestail et maistres-jurez d'icelle Grande Boucherie, le rapport qu'ils sont tenus de faire toutes les sepmaines au prévôt de Paris, du prix du bestail pour avertir ladite cour des faultes et abus qui pourraient se commettre en cette matière". Toutefois, devant l'impossibilité de faire utiliser les étaux par leurs propriétaires, la cour finit par autoriser la location, tout en limitant le prix du fermage. Le manque de boucheries en regard de la population grandissante de Paris provoque d'autres mesures : les charcutiers ont dès lors le droit de vendre du lard cru et non pas seulement cuit ; possibilité est donnée aux bouchers de contraindre par corps leurs débiteurs à payer les "peaux, cuirs, laines, suifs et lards" que ceux-ci auraient achetés (début XVIe siècle). À ce moment, la volonté de François 1er est d'aider les bouchers à tenir leurs étaux "opulement fournis" pour répondre à cette demande croissante due à l'augmentation de la population en place ou de passage.
En 1540, un nouvel arrêt a pour but d'empêcher les abus du monopole ou d'entente illicite entre bouchers sur les prix de vente et de provoquer la concurrence, reprenant des déclarations plus détaillées au prévôt de Paris, de la part des marchands de bétail. Ceux-ci doivent fournir un état tous les quinze jours "contenant le nombre, quantité et le prix de ladite marchandise pour, en conférant le prix à quoy ladite chair aura esté vendue et débitée en détail, …scavoir et entendre si ladite chair aura été vendue excessivement par lesdits bouchers… Est défendu de mettre en vente des chairs avant qu'elles aient été visitées par quatre maîtres-jurés". Enfin, et curieusement, peut-être en relation avec les violences faites par les bouchers durant la guerre entre Bourguignons et Armagnacs, un arrêt du Parlement "deffend par exprès à tous maistres bouchers, détailleurs, leurs serviteurs et autres, vendant et débitant chair tant à la Grande Boucherie que autres, d’injurier, outrager, ou dire aucun blasme aux personnes qui d’eux achepteront, soit hommes, femmes, filles, serviteurs ou chambrières, ou autres personnes quelconques à peine de punition exemplaire".
On l'a vu, les bouchers ont jusque-là élu leur chef. Henri II en décide autrement en 1558. Il érige "en titre d'office ledit état et maîtrise de maître et chef des bouchers de nostre ville et faubourgs… pour ceux qui en seront ci-après pourvus, vacation advenant par mort, résignation ou autrement". La juridiction de la boucherie n'appartient donc plus aux professionnels. Par ailleurs, la vente de viande durant le temps de Carême est désormais autorisée pour les malades, mais elle ne peut se faire que par la boucherie de l'Hôtel-Dieu, avec enregistrement du nom, de l'adresse des malades ainsi que les permissions et quantité de chair. Cet arrêt est suivi de nombreuses réclamations. En vain, mais en 1561, un arrêt du Parlement apporte le trouble : les contrevenants peuvent être faits prisonniers, "si ce n'est qu'ils fassent apparoir que ce soit pour gens malades ou privilégiés".
En 1564, un nouvel article du Parlement évoque pour la première fois la cuisson et le vente des tripes à Paris. Il concerne "bouchers, tueurs et escorcheurs de bestes, certains lieux ès faubourgs, aval la rivière de Seine". On veut que l'écorcherie soit repavée, qu'elle soit tenue nette et fermée, débarrassée chaque jour de toutes les ordures, que chaque écorchoir ait deux tines [récipients] pour recevoir les boyaux, enfin qu'il n'y soit apporté autres tripes pour laver ou cuire que celles des bestes qui y seront tuées". Les tripes sont devenues à cette époque un mets de choix pas cher pour le petit peuple : la salubrité concerne maintenant aussi les plus pauvres…
L'autorisation de louer les étaux n'est pas sans conséquence : de nombreux abus sont perpétrés par des bouchers sans expérience, ni probité, membres de la Grande Boucherie ou indépendants. Devant cette dégradation de l'exercice de la profession, des bouchers de la Grande-Boucherie réclament au roi, en 1587, la création d'une corporation avec une juridiction dédiée dans des statuts applicables par tous. Ceux-ci sont calqués sur les statuts d'autres métiers avec des particularités liées à la profession. Pour être maître, 3 ans d'apprentissage sont nécessaires ; il faut avoir 24 ans au minimum ; pas de chef-d'œuvre ("habiller" un bœuf, un mouton, un veau et un porc) pour les fils de boucher. Un apprenti ou compagnon ne peut quitter son maître pour un autre que si celui-là lui délivre "un certificat de bonne vie et conversation". Interdiction est faite aux bouchers de "tuer ou de faire tuer des porcs qui aient été nourris ès maison d'huiliers, barbiers ou maladreries à peine de dix écus d'amende : la viande en est jetée aux champs ou à la rivière" ; de même pour les viandes atteintes de fi. Enfin, les jurés ne doivent pas laisser vendre " les chairs trop gardées, indignes d'entrer au corps humain". "Bis repetita placent !"
Ces nouveaux statuts (en fait une reprise de statuts antérieurs) ouvrent donc la porte à de nouveaux bouchers bien nécessaires alors que la population augmente toujours. L'ordonnance de 1558 est confirmée : la juridiction dépend du pouvoir et non de la profession. Une sentence de police de 1596 confirme cette dépendance par le détail : elle enjoint aux bouchers d'avoir leurs étaux garnis de chair à huit heures du matin et leur défend d'en apporter plus tard, un bon moyen pour que "les jurez-bouchers puissent visiter toutes les chairs". Autre ordonnance de police en 1598 autorisant les bouchers d'ouvrir le dimanche : elle n'est d'actualité que pendant six semaines, "le peuple étant incommodé d'aller le dimanche à la boucherie, et étant par ce moyen, privé du service divin". Cette autorisation est toutefois renouvelée, ou pas, les années suivantes sur une période bien précise, entre le premier dimanche de la fête de la Sainte Trinité jusqu'au premier dimanche de septembre.
Parenthèse : Les marchés aux bestiaux
Dès le début du XIIIe siècle, une charte communale évoque le marché de Poissy. Celui-ci est chargé de l'approvisionnement de Paris en viandes de bœuf, de veau et de mouton par lettres patentes de Louis IX et Philippe IV. Le marché subit la dissolution de la corporation des bouchers. En 1477, Louis XI crée la caisse de Poissy qui oblige les bouchers à emprunter pour payer immédiatement les éleveurs. Le marché est fermé au profit de celui de Sceaux en 1671. Toutefois, mieux placé géographiquement que celui de Sceaux, il renaît de ses cendres au cours du XVIIIe siècle et devient après la Révolution le seul marché d'approvisionnement de la capitale. Il ferme définitivement le 31 mars 1884, soit 17 ans après l'ouverture du marché de la Villette.
En 1610, dans sa seigneurie de Bourg-la-Reine, la famille Potier crée, avec autorisation royale, un marché à bestiaux qui regroupe des éleveurs de différentes province et où viennent s'approvisionner les bouchers parisiens. La vente a lieu tous les lundis ; quatre foires sont organisées en janvier, avril (2) et septembre. En 1667, ce marché est transféré à Sceaux avec autorisation royale. Jean-Baptiste Colbert acquiert en 1670 un domaine à Sceaux où il fait installer le marché avec facilités d'accès, diminution des taxes, un deuxième jour hebdomadaire de vente, et surtout la suppression du marché de Poissy en 1671, Sceaux ayant dès lors l'exclusivité de la vente pour Paris pour le bœuf et les moutons, dans un rayon de 20 lieues. L'achat aux forains est interdit. Le but avéré est de favoriser la concurrence, de faire diminuer les prix, et secondairement d'enrichir Colbert. Tout y est pensé pour les bêtes, mais aussi pour les humains avec création d'hôtelleries. Le marché est vendu, en 1700, à la communauté des Maîtres marchands bouchers de la ville et faubourgs de Paris. Le renouveau du marché de Poissy, mieux placé que celui de Sceaux, et propriété de la communauté des marchands bouchers, provoque une récession de celui-ci, qui à la Révolution devient un marché local. Malgré d'importants travaux de restauration des bâtiments au début du XIXe siècle, le marché va péricliter, notamment du fait de la non-utilisation des marchés obligatoires par des bouchers qui préfèrent s'approvisionner auprès de leurs confrères. Le marché est fermé en 1867.
Il n'est pas possible d'énumérer ici tous les marchés à bestiaux qui ont existé dès le Moyen-Âge en Province et approvisionnaient les grandes villes. Les plus célèbres se situaient dans les régions d'élevage comme la Normandie.
Fermons la parenthèse.
En 1621, le Parlement intervient pour obliger les abbés de Saint-Geneviève à remettre leurs étaux en conformité avec la nouvelle législation afin de respecter la salubrité de l'air et les conditions d'élimination du sang des bêtes tuées. En 1630, il confirme le droit des bouchers forains d'apporter leurs viandes aux marchés de Paris, malgré l'opposition des bouchers de la ville.
Cette succession de règlementations montre l'importance des bouchers pour l'alimentation de la population. En 1644, le Parlement interdit de "saisir les bestiaulx destinez et venans ès marchés de Poissy, Houdan, Saint-Denis, Bourg-la-Reine, Bourget et Neubourg". En 1645, un arrêt d'un lieutenant civil ordonne "que tous les bouchers qui ont pris les étaux satisferont au devoir de leurs charges, feront incessamment les achats de bestiaux pour la provision de la ville, et, à cet effet, se transporteront lundi prochain et autres jours suivants aux marchez de Poissy, et ce à peine de la vie". On ne rigolait pas ! En 1648, une sentence autorise les rôtisseurs "à vendre aucunes [certaines] viandes crues de bœuf, mouton, et veau, les jours de festes et dimanches, auxquels les boucheries sont ouvertes", mais non les jours ouvrables.
Si le gouvernement a pris toutes les mesures pour alimenter la population parisienne, des évènements politiques vont fortement perturber l'approvisionnement en bestiaux : la Fronde, une révolte de l'aristocratie contre la montée de l'autorité monarchique, de 1648 à 1653. Les étaux sont souvent vides même s'il est permis d'user d'aliments gras pendant le Carême 1649 : "Nous pourrons manger de la chair ; nos curés l'ont permis aux prônes". À cela, il faut rajouter une certaine mauvaise volonté des bouchers. Si le Parlement ne s'occupe pas de faire appliquer les arrêts, le Conseil d'État intervient en 1653. Malgré l'aide financière de l'État et l'envoi de commissaires du Châtelet en Normandie pour acheter des bêtes, les bouchers tendent toujours à présenter des étaux dégarnis. L'arrêt qui s'en suit ordonne "à tous les maistres bouchers de Paris qui n'auront étalé dans les vingt-quatre heures, de sortir avec leur famille de ladite ville et faubourgs, à peine de la vie". Menace est faite à tous les bouchers de proclamer la liberté d'installer sa boucherie. La réaction attendue est immédiate et l'arrêt révoqué seulement 4 jours après sa promulgation. Le règlement de 1587, confirmé en 1653, est de nouveau applicable.
En 1668, "défenses leur sont faites de descendre de leurs étaux pour appeler et arrêter ceux qui veulent acheter leurs marchandises".
Les modalités de l''abattage nécessitent un petit paragraphe. À l'origine, celui-ci se fait avec un instrument lourd, tranchant. Plus tard, l'animal est étourdi avec une masse, puis saigné. Cette pratique ancienne n'est pas sans conséquence pour l'environnement : " Le sang ruisselle dans les rues, il se caille sous vos pieds et vos souliers en sont rougis. En passant vous êtes tout-à-coup frappé de mugissements plaintifs. Un jeune bœuf est terrassé et, la tête est liée avec des cordes contre la terre. Une lourde massue lui brise le crâne, un large couteau lui fait au gosier une plaie profonde. Son sang fume et coule à gros bouillon. Quelquefois le boeuf étourdi du coup et non terrassé, s'échappe, fuyant ses bourreaux et frappe tous ceux qu'il rencontre, il répand la terreur et l'on fuit devant l'animal" (L.S. Mercier 1783). Plus tard, le boucher utilisera le merlin et la masse qui seront interdits dans la deuxième moitié du XXe siècle au profit du pistolet d'abattage et d'une anesthésie.
Malgré toutes ces obligations, malgré les taxes qu'ils doivent payer pour le commerce des chairs, la profession se porte bien. "Les bouchers qui sont gens riches, et mariés à de belles femmes et propres, ne laissent pas de demeurer dans les rues voisines, à l'ordinaire étroites, tortues, obscures, puantes ; mais c'est, la plupart, dans les maisons claires, propres et bien meublées".
De nombreux documents vont encore préciser les obligations de la profession : heures de fermeture, interdiction de vendre de la viande où il n'y a pas de paroisse, conditions de changement de maître pour un compagnon ; l'exercice des métiers de bouche est sous l'autorité municipale (1790)…
En 1776, le ministre Turgot dissout toutes les corporations, dont celle des bouchers. Le but est de développer la concurrence pour obtenir une diminution des prix. En 1782, le roi signe des lettres patentes qui ne font que reprendre les textes déjà promulgués au fil des dernières décennies. Quatre types de commerces sont distingués : la boucherie pour la vente de viande crue de bœuf, de veau et de mouton, la charcuterie pour la vente de viande de porc crue ou cuite, la triperie et la vente de suif.
Les corporations qui existaient à nouveau sont supprimées pour les mêmes motifs, par la loi Le Chapelier, en 1791. Entre 1793 et 1800, l'approvisionnement est à nouveau plus difficile, notamment à cause des besoins des armées. Les bouchers sont obligés d'acheter leurs viandes sur les marchés de Paris, et de les payer contents aux éleveurs, éventuellement avec l'aide de prêts de la caisse municipale de Poissy.
En 1808, Napoléon interdit l'abattage dans les locaux du boucher et crée cinq abattoirs publics dans les faubourgs de Paris. On distingue dès lors deux catégories de bouchers : les grossistes, dits chevillards qui achètent et tuent les bêtes, et les détaillants qui découpent et vendent la viande au détail.
En 1825, une nouvelle instruction ministérielle précise les conditions d'exercice de la profession, sans apporter de nouveautés. Le nombre de bouchers sur la place de Paris est limité, mais la consommation de viande voit ce nombre augmenté à plusieurs reprises. En réalité, production et consommation (prix élevé) sont beaucoup trop faibles en 1847 : 20 kg annuels par habitant, contre 68 en Angleterre et 42 en Belgique. Les mesures prises concernent la taxe payée par bête et non plus au poids ; la vente sur les marchés devient quotidienne (au lieu de deux fois par semaine) avec une place importante pour les forains. Des ventes à la criée, en gros ou en détails, sont instituées dans certains marchés.
Enfin, en 1858, un décret établit à Paris la liberté de la boucherie comme elle existait déjà dans le reste de la France et dans les pays voisins. La caisse de Poissy est supprimée.
Le Code civil de 1810 avait envisagé les différentes amendes : elles subiront des modifications et des ajouts au fil du XIXe siècle, et notamment (1836) : "…toutes les peines doivent être prononcées contre le boucher personnellement, quand bien même la contravention aurait été commise en dehors de sa présence soit par sa femme, soit par un de ses agents".
En 1867, l'ouverture des abattoirs généraux de La Villette entraîne la fermeture d'abattoirs périphériques. Les marchés aux bestiaux de Poissy et Sceaux sont fermés au profit de celui de La Villette.
Pour des raisons de salubrité, les bouchers de Paris ont été longtemps regroupés dans un seul quartier, celui de Saint-Honoré. La création des abattoirs généraux et l'augmentation de la population ont permis la dispersion des boucheries dans tous les quartiers de la ville.
Jusqu'à présent, nous avons surtout évoqué l'évolution de la profession de boucher à Paris. Qu'en était-il en province ? À priori, la vie des bouchers était moins perturbée par ces problèmes évoqués plus haut. Par contre, la loi n'était pas la même pour tous. Quelques exemples :
- en 1155, une ordonnance royale révèle qu'à Étampes (région actuelle Ile-de- France) le prévôt, le voyer et les autres officiers ne payent aux bouchers que les deux tiers de la viande qu'ils achètent. Cette même ordonnance annule ce privilège.
- le roi crée quarante étaux à Orléans, moyennant une taxe annuelle de 76 livres ; la corporation aura deux maîtres au lieu d'un à Paris.
- au XIIIe siècle, dans certaines villes, les bouchers abandonnent les abats des bêtes au profit des tripiers chargés dès lors de préparer leurs produits qu'ils vendent dans leurs triperies.
- en 1300, on retrouve dans le Languedoc une charte de privilèges commune à plusieurs villes : "Les bouchers qui vendent de la viande dans ladite ville doivent la vendre bonne et saine ; si elle n'est pas bonne ou saine, elle sera donnée aux pauvres par ordres du bailli et des consuls, et le prix en sera rendu aux acheteurs. Les bouchers gagneront un denier de monnaie courante par sou ; et tout boucher qui aura manqué à cette prescription devra au roi une amende de deux sous et un denier, monnaie de Toulouse". Si ce comportement vis-à-vis des pauvres est révoltant, on retrouve très souvent cette notion d'amende en cas de malversation. Dans certaines villes, les bouchers sont tenus de prêter serment de ne pas avoir de viande avariée…
- en 1388, à Angers, des lettres royales confirment les anciens statuts : obligation de prêter serment, défense d'acheter du porc aux lépreux, aux maréchaux et aux barbiers, pas de bête malade dans leur étable et dans les voisines, pas de vente de chair cuite ; les pâtissiers doivent acheter leurs viandes aux bouchers, ne peuvent tuer leurs bêtes après l'heure du couvre-feu. Les amendes sont du même ordre. Le maistre ne peut désigner de nouveaux bouchers que tous les 7 ans, après approbation des anciens. La fonction n'est pas forcément héréditaire : les dons faits au maistre au moment de la désignation sont en nature ou en espèces. A l'inverse, le maistre doit donner du vin au nouveau boucher le jour de la Saint-Clément. Les bouchers de la ville d'Angers disposent également d'un terrain commun pour y faire paître leurs bêtes ; les femmes ou veuves de boucher peuvent seules vendre les tripes, enfin le compte d'Angers dispose d'un crédit de quinze jours pour s'acquitter de ses dettes auprès des bouchers !
- en 1408, à Béziers, "Pour éviter la puanteur, les bêtes sont tuées et écorchées dans un lieu nommé la escoriador ou la boquaria ; trois prévôts sont chargés d'examiner les viandes". Ils sont " autorisés, d'après une coutume très ancienne, à lever une ou plusieurs contributions pour acheter six torches en l'honneur de Dieu…". Les bouchers sont autorisés à se rassembler en milieu ouvert. "Un boucher s'il est excommunié ou accusé de crime grave, de vol par exemple, ne peut exercer son métier jusqu'à ce qu'il ait été absous".
- en 1434, Jean I de Saint-Chamond permet aux bouchers de "tuer à terre les bœufs sauvages et qu'on ne peut, sans effort, ni danger, étendre sur des bancs où ils se débattent et criblent parfois les bouchers de coups de pieds et de coups de cornes".
Les bouchers de la plupart des villes de France sont ainsi sous la dépendance d'ordonnances royales, et donc pas toujours locales. Toutes ont un point commun : la salubrité. On peut penser que la boucherie provinciale fonctionnait mieux qu'à Paris puisque le décret de 1858 décide que la liberté de l'exercice de la profession serait désormais comme en province.
Pour terminer cet historique, nous devons évoquer la boucherie chevaline. La relation entre l'humain et le cheval est très particulière, très différente de celle que l'on peut percevoir pour les autres animaux, bœuf, mouton, chèvre, porc… Cela ne date pas d'aujourd'hui. A noter, toutefois, que le rapprochement avec tous les animaux et la prise en compte de leurs sentiments ou de leur souffrance a beaucoup évolué (voir les nombreuses vidéo sur Facebook, les procès intentés contre des centres d'abattage), mais il y a encore du chemin à faire dans notre société de consommation.
Nous parlons ici de "l'hippophagie", la consommation de viande de cheval. Au temps de la cueillette et de la chasse, le cheval sauvage est considéré comme un autre animal et, donc, utilisé dans l'alimentation. Cette habitude se poursuit avec l'apparition de l'élevage, en Europe et en Asie. C'est à partir de 3000 av. J.C., que la relation homme/cheval se transforme et que la consommation diminue nettement avec les civilisations grecques et romaines. Les raisons sont intellectuelles, sociétales ou religieuses. Au cours du Moyen-Âge, l'évolution est la même. Seules les périodes de famine provoquent une consommation temporaire, en général mal vue. Par ailleurs, le cheval devient nécessaire dans les guerres avec le développement des cavaleries et, en milieu agricole ou urbain, pour la traction des véhicules "hippomobiles". Aux XVIIe et XVIIIe siècles, des décrets s'opposent à la consommation de cette viande pour des questions d'hygiène et de salubrité (!?). Durant la période trouble de la Révolution, la viande chevaline devient à nouveau propre à la consommation. Deux scientifiques vont tout faire pour la remettre au goût du jour. Le premier Geoffroy Saint-Hilaire vente ses valeurs nutritives, tout-à-fait valables pour les couches sociales qui ne peuvent s'offrir de la viande de bœuf. Le deuxième, Émile Decroix trouve que c'est là un sort plus favorable pour les chevaux vieillissants devenus sans utilité pour la traction de véhicules ou les guerres. Finalement, en 1866, une loi autorise la consommation de la viande de cheval dans des boucheries spécialisées. Si l'on trouve de ces établissements dans toute la France (pendant l'hiver 1868-1869, des boucheries chevalines sont créées à Bordeaux, Marseille, Reims, Sedan, Toulouse, Toulon, Troyes…), les plus nombreux sont dans la moitié nord de la France, en zone urbaine ; la consommation concerne les classes populaires. En 1867, 2152, et, en 1868, 2421 chevaux sont abattus pour la consommation, à Paris. La demande est telle au début du XXe siècle que l'importation est nécessaire. Au cours des décennies suivantes, on constate à nouveau la diminution de la consommation de cette viande avec pour motif, à nouveau, la relation quasi-sentimentale qui s'établit entre l'humain et le cheval.
Le métier de boucher est-il le plus vieux métier du monde, comme nous nous le demandions au début de cet article ? A vrai dire, nous ne pouvons l'assurer. Par contre, il est certainement le métier le plus anciennement réglementé. L'abondance de ces décrets, ordonnances, lettres patentes… rend d'ailleurs difficile de savoir quelle est la loi à un moment donné. Une chose est certaine. Tous les textes ont eu pour but la salubrité de la viande et donc la protection de la santé de nos ancêtres. On retrouve cette exigence gouvernementale dans les conseils donnés à la ménagère au début du XXe siècle : "On ne doit donner sa clientèle qu'à un boucher dont la boutique et les instruments sont très proprement tenus ; l'éclairage est réduit, pour éloigner les mouches ; la viande est exposée dans un courant d'air froid et sec, ou, en été, dans l'armoire-glacière. Une coutume de la boucherie de détail qui tend, heureusement à disparaître consiste à comprendre dans la pesée le quart d'os ou réjouissance. La proportion d'os ainsi surajoutée ne doit jamais dépasser le cinquième du poids total, os compris. On peut toujours exiger sa viande sans addition d'os, en payant en conséquence ; on y gagnera. Il est à remarquer qu'on perd fortement sur l'achat en petite quantité. Certains bouchers cherchent à tromper sur la qualité de la viande (taureau pour bœuf, bélier pour mouton) ou sur la catégorie (romsteck pour filet) ; une connaissance suffisante de la viande permettra d'éviter cette fraude".
FIN
Biographie
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E.Chancrin et F. Faideau Larousse Ménager Illustré, Librairie Larousse, 1926
Brillat-Savarin, Physiologie du goût, Le club français du livre, 1959, réédition du livre de 1825
R.Pernoud, Lumière du Moyen-Âge, Ed. Grasset, 1944 – 1981
J. Condamin, Histoire de St Chamond, A.Picard 1890 réédition Reboul Imprimerie 1996
A.Rowley À table ! La fête gastronomique Découvertes Gallimard, 1994
Wikipedia Histoire de la boucherie à Paris
La France pittoresque Bouchers
Paris-pittoresque armagnacs–bourguignons