HISTOIRE DU TEXTILE
III - 2
ORGANISATION
De l'Antiquité à la Révolution industrielle
De l'artisanat à l'industrie :
Des femmes, des hommes, des enfants
II
LE TRICOTAGE
Pour commencer, une définition s'impose : "Le tricot est une technique utilisée pour fabriquer une étoffe à partir d'un fil. Le tricot est constitué de boucles, appelées mailles, passées les unes dans les autres. Les mailles actives sont tenues sur des aiguilles jusqu'à ce qu'elles puissent être bloquées par le passage d'une nouvelle maille à travers elles". Cette technique nécessite l'utilisation de deux aiguilles, au minimum, d'où son nom de "travail à l'aiguille".
Dans le tissage, les fils sont droits et parallèles respectivement pour la chaîne et la trame, droits et perpendiculaires entre les fils de trame et ceux de chaîne. Par contre, "le fil d'une étoffe tricotée suit un trajet en méandres, formant des boucles symétriques ou mailles successivement au-dessus et au-dessous du chemin moyen". Ces mailles confèrent au tricot une élasticité que n'a pas le tissu.
L'origine et la date d'apparition du tricotage est encore incertaine. Elles se basent surtout sur des découvertes archéologiques. Des chaussettes datant du IIe siècle de notre ère ont longtemps été considérées comme du tricot. Après une observation attentive, il s'agirait en réalité d'une étoffe réalisée suivant la technique du naalbinding ou nalebinding : une seule aiguille munie d'un chas est nécessaire. On retrouve cette technique au Pérou, en Égypte copte (VIIIe ou Xe siècle !?) et dans le nord de l'Europe, entre les années – 300 et 1000. En dérivent le tricot et le crochet. À partir de quand ? Les objets les plus anciens retrouvés sont des chaussettes en coton, découvertes en Égypte, qui dateraient pour certains, du XIe ou XIIIe siècle, pour d'autres, du IIIe ou IVe siècle ; de cette dernière époque, on aurait également trouvé des aiguilles en os ou en bronze ! A Franklin déclare que le tricot était connu dès l'Antiquité - des divinités égyptiennes seraient représentées avec des robes en tricot - et permettait de réaliser des robes ou des tuniques sans couture. En attesterait ce verset d'Évangile de Saint Jean, chapitre 19 : "Cette tunique était sans couture, tissée tout d'une pièce de haut en bas". Déduction un peu hâtive et post-antiquité ! Autre origine possible, mais plus douteuse, du tricot, le sprang que l'on retrouve simultanément dans plusieurs continents. Il n'est plus question d'aiguilles mais d'un cadre sur lequel les fils sont nattés.
Quoi qu'il en soit, le tricot arrive en Europe depuis le monde arabe, soit lors des invasions arabes des VIIIe – IXe siècles, soit par les croisades, soit par la présence islamique en Espagne. L'origine du mot "tricot" vient du verbe « tricoter » [qui] consistait d'abord (XVe siècle) à désigner le fait de battre quelqu'un à coup de bâton, celui-ci appelé « triquot » ou trique.
À son arrivée en France, le tricot en laine est d'abord une activité familiale qui permet de se vêtir chaudement à peu de frais : fabrication de bonnets, de gants et de chausses. Cette production minimaliste permet surtout aux plus pauvres d'améliorer l'ordinaire. C'est un travail à façon auquel s'attèlent femmes et enfants. Au XIIIe siècle, les chapeliers de coton tricotent des gants et des bonnets, mais pas de chausses. Les premiers statuts de leur guilde (le mot corporation n'est utilisé qu'à partir du XVIIIe siècle) datent de 1315. Ils prennent le nom de bonnetier dans la deuxième moitié du XVe siècle. Les chausses, "en toile, en feutre, en soie ou en drap, tantôt recouvertes de bandelettes croisées, tantôt bouffant ou plissant sur les jambes, s'attachaient aux genoux, soit aux braies [pantalons amples en toile, en soie, en drap, en peau, fabriqués par les braaliers de fil], avec des jarretières parfois fort élégantes et dont on laissait pendre les bouts". Elles sont alors fabriquées exclusivement par les chaussiers ou chaussetiers dont les premiers statuts remontent à 1268. Au XIIIe siècle, elles montent jusqu'à mi-cuisse ; au XVe, elles vont plus haut, jusqu'à un caleçon à braguette, devenant haut de chausses alors que les plus courtes sont les bas de chausse ou, plus simplement, les bas.
Malgré cette concurrence, le métier de bonnetier est tout de même très lucratif. En 1514, grâce à sa richesse, la corporation remplace celle des changeurs dans les Six-Corps, l'élite des commerçants, représentant l'ensemble des commerces parisiens au cours des cérémonies officielles. Ce n'est qu'au XVIe siècle que l'usage des chausses tricotées se généralise dans les classes les plus riches : les fabricants exclusifs autorisés sont les bonnetiers, parfois appelés les tricoteurs (les ouvrières tricoteuses étaient aussi appelées brocheuses, brocher et tricoter étant des synonymes). Plus souples et plus légères, permettant plus d'aisance dans la marche que les chausses en tissus, elles occupent dès lors tout le marché, qu'elles soient en soie pour les plus riches ou en laine grossière, l'estame, pour les autres. La corporation des chaussetiers disparaît, remplacée conjointement par celle des drapiers, des tailleurs, des lingères.
D'après les nouveaux statuts de la corporation, de 1608, pour obtenir la maîtrise, le compagnon devait "faire, fouler et appareiller bien et deuëment un bonnet anciennement appelé aulmuce, ou deux bonnets à usage d'homme, appellez anciennement crémiolles. Fera en outre un bonnet carré de bon drap fin, le taillera et encofinera et pressera. Fera aussi une tocque de velours plissé, et brochera [tricotera] un bas d'estame et de soie… La maîtrise permet alors de réaliser des bonnets de laine et de drap, des chemisettes, mitaines, calottes, bas, chaussons et toutes autres marchandises de soye, estame, laine, fil et cotton brochées sur grosses et menues aiguilles".
La première machine à tricoter est inventée, en 1589, par un ecclésiastique anglais, William Lee, qui, dit-on, voulait faciliter l'activité rémunératrice de son épouse. Lee est menacé, plusieurs machines sont brûlées, un phénomène que l'on retrouve chaque fois qu'il y a automatisation et risque de perte d'emploi : cela va de la serpette remplacée par le sécateur au métier Jacquard… Finalement, il s'expatrie en France, accueilli par Sully. A la mort d'Henri IV, il abandonne sa machine qui est reprise par son frère. La machine revient ainsi en Angleterre : elle est alors à l'origine de grandes fortunes. Le gouvernement anglais en interdit l'exportation. Mais un nîmois, Jean Hindret, en voyage en Angleterre, la découvre et mémorise tous les mécanismes. À son retour en France, il la fait construire, forme des ouvriers et crée une Société, dans le château de Madrid, au bois de Boulogne, avec l'accord du roi en 1656. Les faiseurs de bas à l'aiguille cherchent à s'entendre avec la nouvelle entreprise. En 1670, un accord rapproche les deux métiers : les faiseurs de bas à l'aiguille acceptent de vendre les bas au métier, avec la mention "Marque imprimée du chasteau de Madrid", moyennant un pourcentage acceptable. Des problèmes de recrutement d'ouvriers provoquent le rachat de la Société par le roi et, en 1672, la création d'une manufacture en corporation. Une subvention de 200 livres est accordée aux 200 nouveaux premiers maîtres qui s'installent. Quelques doutes subsistent sur le payement royal, tant pour la Société que pour les subventions ! Cette machine plus rapide n'est pas du goût des plus pauvres. La corporation des bonnetiers ne s'en réjouit pas davantage. La lutte avec celle-ci s'interrompt en 1723 avec le regroupement, à Paris, en une seule corporation des anciens bonnetiers et des faiseurs de bas au métier. En 1773, ces derniers possèdent 2500 métiers à Paris, 1300 à Lyon et 4500 à Nîmes.
Une nouvelle machine arrive sur le marché en 1759. Elle permet de créer des côtes qui maintiennent en place bas et chaussettes : c'est la suppression des jarretières. D'autres machines verront le jour, certaines utilisées par des particuliers.
L'industrie du tricot ne cesse de se développer au fil des siècles. Tricoter devient aussi un divertissement de la maîtresse de maison pour les plus aisées, une source de revenu complémentaire pour les autres. L'apprentissage se fait dès l'école. Au XXe siècle, le tricotage pour équiper les soldats fait partie intégrante de l'effort de guerre. Le développement de cette activité tout-à-la-fois ludique et rémunératrice, à tous les niveaux de la société, nécessite des conseils, des propositions de modèles… De là, la naissance de revues spécialisées dès 1800, le plus souvent financées par des filatures de laine.
ANNEXE
Quelques conseils pour tricoter :
- Nouveau Dictionnaire de la Vie Pratique, Hachette, 1923
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- Larousse Ménager Illustré, 1926
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FIN
Bibliographie
A.Franklin, Dictionnaire Historique des Arts, Métiers et Professions exercés dans Paris depuis le treizième siècle H. Welter éditeur en 1906 réédition Bibliothèque des Arts, des Sciences et des Techniques, 2004.
Nouveau Dictionnaire de la Vie Pratique, Hachette, 1923
Larousse Ménager Illustré, 1926
Sites consultés :
https://textileaddict.me/histoire-du-tricotage-en-france/
https://fr.wikipedia.org/wiki/Histoire_du_tricot
https://www.naturafil.com/petite-histoire-tricot.htm
https://fr.wikipedia.org/wiki/Nalebinding
https://fr.wikipedia.org/wiki/William_Lee_(inventeur)