PAYS DU GIER

 

HISTOIRE DES FORGERONS

 

 

L'histoire des forgerons se confond dans le Pays du Gier avec l'histoire de la mine de charbon. Cette mine s'étend de Givors, et même au-delà, en passant sous le Rhône, jusqu'à la vallée de l'Ondaine. A de nombreux endroits, elle affleure la surface du sol. Les Romains qui la connaissent ne l'exploitent ni pour le chauffage domestique, ni pour la fusion des métaux.

 

Jusqu'à la fin du premier millénaire, il est difficile de se faire une idée précise sur l'emploi de ce charbon de pierre ou, même tout simplement, sur le travail du fer. Ce n'est qu'à partir du XIIe siècle que l'on parle de petits ateliers (fabrica) utilisés au sein même de l'habitation.

 

 

L'exploitation du charbon débute réellement à la fin du XIIe siècle, sous l'influence des chanoines de Saint Just de Lyon. Avec elle, chaque village développe un petit artisanat et se spécialise dans une fabrication particulière : chaînes et semences pour Saint Martin-la-Plaine, chaudronnerie domestique à Saint Genis-Terrenoire. L'expérience acquise se transmet de père en fils ; elle est à l'origine de la qualité de la main d'œuvre locale et de la fabrication de 80 à 90 % des outils utilisés dans tous les métiers d'antan. 1

 

Si les premiers ateliers datent du XIIe siècle, il semble que le développement de la métallurgie artisanale soit dû aux Chartreux arrivés à Sainte Croix en Jarez, en 1280. Ce sont eux qui, les premiers, ont su travailler le minerai de fer pour obtenir la fonte, l'acier ou le fer. Par cette industrie, ils viennent en aide aux libérateurs du Tombeau du Christ, les Templiers et les Croisés, en leur fournissant le matériau nécessaire à leur armement. On se souvient de leur rôle auprès de la population dans le travail du bois.

 

Le développement et la qualité du travail effectué par ces petits artisans viennent aux oreilles du roi François 1er, en 1515, au cours de la bataille de Marignan. Celui-ci, se plaignant de la qualité des armes utilisées par ses soldats, suggère la création de bonnes forges ou de fenderies, au même titre que celles du Hartz en Autriche, de Tolède en Espagne ou de Damas, alors en Turquie. A cela, M. de la Palice répond qu'il est, non loin de son pays roannais, une vallée où ces forges existent déjà. Le fait est confirmé par le chevalier Bayard qui déclare avoir vu, provenant de la Vallée du Gier, d'excellentes arbalètes, arquebuses et hallebardes, et, même, d'autres armes. 1

 

En 1530, sur Saint Martin la Plaine des forgerons produisent des chaînes, des clous et des pointes.

 

En 1540, les Annales du Lyonnais et du Beaujolais, mentionnent "qu'à Saint Genis-Terre-Noire et à Saint Chaumont, sont des mines de bon charbon de pierre…Mais le principal profict qui vient est des forges, au moyen de quoi est le Gierest fort fréquenté de certaines races de posvres éstrangiers forgerons."

 

En 1642, il est connu que le marquis de Saint Chamond possède un martinet, bâti sous le pont Isabeau, donc actionné par le Gier. 6

 

En 1692, la famille Moras exploite une fenderie à Saint Chamond : le fer reçu en grosses barres de Bourgogne est transformé en verges ou baguettes qui servent à réaliser des clous ou de la quincaillerie. Toujours à Saint Chamond, sont fabriqués des pelles et des fers destinés à la construction (verrous et charnières), mais aussi des fers à cheval et à bœuf. 3

Sur Izieux, travaillent de très nombreux "cloutriers" et aiguiseurs ou émouleurs de lames d'épée;sur Tartaras, des forgerons. 2

Au début du XVIIIe siècle, "la réputation des ouvriers de Saint Martin la Plaine s'étend un peu partout, aussi font-ils une concurrence sérieuse à leurs confrères de St Etienne" (M.Chomienne).

Par contre, les fers employés sont livrés par les fonderies locales de Saint Julien en Jarez et de Saint Genis-Terrenoire.

La région, et donc la Vallée, ne disposant pas de mines de fer, il faut l'importer. Des marchands de Lyon vont le chercher, avec des chariots à bœufs, en Côte-d'Or, en Haute-Marne, dans le Berry. Ils trouvent l'acier dans la Sarre et l'Isère. Pour rentabiliser le voyage, les chariots sont remplis, au retour, d'objets fabriqués dans notre Vallée. Selon l'usage, les artisans sont payés un tiers en matière première et deux tiers en argent.

"Les lingots de métal étaient d'abord traités dans des fenderies situées à proximité de la route de Lyon au Puy, la seule praticable pour des tonnages assez élevés, au voisinage des mines de houilles, dont elles consommaient une grande partie et sur des rivières déjà puissantes. Il y en avait 8 sur le Gier".

"Comme il n'y avait aucune bonne route entre Saint-Martin-la-Plaine et Rive-de-Gier, c'est par de vieux chemins en fort mauvais état que l'on montait à dos de mulets le charbon nécessaire aux forgerons. 6"

"On trouvait, également, des ateliers beaucoup plus simples portant le nom de martinets. Leur outillage consistait en un marteau mû par une chute d'eau et servant à étendre l'acier en plaques pour les armes blanches et la coutellerie. Les fenderies et les martinets de la vallée du Gier fournissaient la matière première aux industries de transformation, clincaillerie et armurerie. La première industrie groupait une foule de branches : serrurerie, ferronnerie, clouterie, coutellerie, enfin production des ustensiles si nombreux et si variés qu'on désigne encore aujourd'hui sous le nom de quincaillerie".

"Les serrures pour le bâtiment, la poêlerie, la ferblanterie et la bourrellerie étaient transportées à dos de mulets à Saint Etienne et à Lyon. Elles étaient, ensuite, expédiées par le Rhône dans tout le Midi et par la Saône dans la Bourgogne et jusqu'à Paris." La construction du canal reliant Rive de Gier à Givors améliora considérablement les conditions de transport. Avec la création de la voie ferrée St Etienne-Lyon, en 1833, cette industrie prit un nouvel essor : "…la petite métallurgie forézienne a gagné en bon marché et en perfection. Sa production est renommée pour son élégance, son fini et sa solidité … Afin de limiter les coûts, les fabricants de chaînes, pentures ou ferrements pour les portes, fenêtres et volets voulurent former une association, mais l'entente ne put se maintenir et les tarifs généraux de vente ne furent pas respectés. 1"

En 1740, est créée à Lorette la première fonderie "industrielle", par les frères Neyrand. "Ils importèrent le procédé du puddlage qui leur permit de joindre à leur fabrication des verges fendues, celle des rails, de la tôle et des feuillards". Ils créent aussi une aciérie. En 1850, ils se séparent de leurs entreprises et font l'acquisition d'une fabrique de fil de fer et de pointes de Paris.

 

Au milieu du XVIIIe siècle sont publiés les premiers Almanachs, ancêtres du Bottin et de nos Pages jaunes. On y lit des informations sur quelques localités : à Riverie, proche du Pays du Gier, quelques forgeurs, à Saint-Genis-Terrenoire, des fonderies, à Pavezin des happes et des clous. 1

 

Fin XVIIIe , "St Martin-la-Plaine exporte de la serrurerie et d'autres objets en fer ou cuivre dans toute la France, l'Espagne, le Piémont, l'Italie, la Suisse, le Levant, les colonies françaises et espagnoles". A la veille des Etats Généraux d'avril 1789, "les forgerons de St Martin-la-Plaine, les artisans du Jarez et les mineurs de Rive-de-Gier trouvaient que la fiscalité était abusive et que les institutions surannées fonctionnaient de façon déplorable. Ils souhaitaient l'abolition des douanes intérieures qui grevaient inutilement leurs marchandises. 2"

 

Parmi les forgerons de Saint Martin-la-Plaine va se distinguer l'un d'entre eux qui, grâce aux circonstances et à son travail acharnée, est à l'origine d'une des plus importantes entreprises sidérurgiques de la Vallée du Gier : François Marrel.

Alors qu' il ne possède pour démarrer, qu'une forge à main avec enclume et soufflet, il fabriquetout de même des boulets ramés qui permettront, en 1793, au capitaine Bonaparte de remporter, contre les Anglais, une bataille navale au large de Gibraltar et de reprendre la ville de Toulon (voir ci-dessous).

A Izieux, on rencontre plusieurs taillandiers (Toulieux, Crozet, Chovet), des forgeurs (Mercier, Crapanne). 4

"Le charbon cru de Saint Chamond se consommait dans sept fonderies, situées à Saint Julien et dans les ateliers de plus de 10 000 ferronniers occupés à faire des clous de taillanderie et des articles de quincaillerie et serrurerie, tant dans la ville que dans les villages voisins. 6"

Avec le XIXe siècle arrivent la révolution industrielle et le développement des secteurs textiles et métallurgiques. L'artisanat reste bien présent pendant quelques décennies avant de disparaître, en grande partie, du fait de regroupements, de l'évolution des techniques, mais aussi d'une demande moins importante liée à des évènements politiques : guerre de Sécession aux Etats-Unis, troubles politiques en France, après la guerre de 1870. A Saint Chamond, Antoine Morel exploite une petite forge dont il tire des fers fins destinés essentiellement à une entreprise de Rive de Gier, les Ets Petin et Gaudet. Son fils, Germain Morel, ingénieur de l'Ecole des mines de Saint Etienne, ne disposant pas de capitaux, s'associe avec ses clients pour créer la société Morel & Cie. Il invente un procédé pour la fabrication des bandages sans soudure des roues de chemin de fer. Après quelques mésententes entre les associés, G.Morel se retrouve seul, en concurrence avec ses anciens associés. Il est découvert mort au bas de son immeuble : il n'a que 33 ans. Quant aux EtsPetin et Gaudet, ils s'installent à St Chamond. Au fil des ans, leur entreprise se développe produisant du gros matériel pour l'artillerie, la marine et les chemins de fer. C'est la naissance des Acieries de la Marine qui, sous différentes appellations, ont perduré jusqu'à ce jour, mais loin de la Vallée du Gier.

D'autres petites forges prennent progressivement de l'importance : Ardaillon et Bessy, en 1820, à Saint Julien (commune aujourd'hui rattachée à Saint Chamond) ; un peu plus tard, Chavanne-Brun. Certaines se spécialisent : par exemple, une usine de poêles à frire. Toutes ont disparu, aujourd'hui. 4

A côté de ces grandes entreprises, des sous-traitants indispensables ouvrent leurs petits ateliers : "petites fonderies, forges, constructions mécaniques, pièces détachées pour cycles et automobiles, chaîne, serrurerie, outillage, estampage… 6"

Depuis le début du siècle, l'entreprise de F. Marrel prospère régulièrement. En 1840, elle compte 25 à 30 ouvriers. Ses spécialités sont le boulon, le ranchet de voitures, la ferronnerie du bâtiment. Au décès du fondateur, succède son fils Charles qui s'entoure de ses six fils pour former la société Charles Marrel père et fils, en 1845. A la suite de la Révolution de 1848, les frères sont obligés de se séparer, mais se retrouvent dès 1853 pour constituer la société "Marrel Frères". L'atelier de Saint Martin-la-Plaine, trop petit pour fabriquer des grosses pièces de forge est transféré à Châteauneuf, dans le quartier des Etaings. Construite en 1866, la cheminée de 108 mètres de haut et classée monument historique en 1992, se dresse toujours au milieu de l'usine devenue, aujourd'hui, Arcelor Mittal.

A la même époque, d'autres forgerons de Saint Martin-la-Plaine descendent dans la vallée pour disposer de locaux plus vastes. C'est le cas des Ets Mazenod, spécialisés dans la chaîne pour la marine, la chaînerie en général et les ferronneries diverses ; des Ets Meley spécialisés dans la fabrication des espagnolettes pour portes et fenêtres…

Au début du XXe siècle, Saint Martin la Plaine est toujours connu pour "la fabrication des ressorts, des chaînes de puits, des crémaillères de cheminées et des anses de marmites. 4"

Aujourd'hui, tous ces artisans forgerons ont pratiquement disparu. En souvenir, a été créé à St Martin la Plaine le musée de la forge "La Mourine, Maison des Forgerons". La visite de ce musée très bien organisé peut se terminer, en groupe, par la dégustation de la "mourine", plat favori des forgerons du village. Et tous les ans, fin mai début juin, la Fête de la Forge reçoit des forgerons de France et d'ailleurs, artisans, qui montrent aux visiteurs, sans relâche et avec brio, leur savoir-faire local toujours présent.

 

FETE DE LA FORGE 2013 à SAINT-MARTIN LA PLAINE

 

 

Bibliographie

1      J. Combe, Saint Martin la Plaine, 1960, Ed. Dumas

2      M.Rochet, Tartaras, http://geneal42.free.fr/Site/histoire/tartaras/index.htm

3      S.Bertholon, Histoires de Saint Chamond, 1927, Ed. SA imprimerie Théolier, 2004, Les Amis du Vieux Saint Chamond, Réédition                Reboul imprimerie

4      J. Lapourré, Histoire de la ville d'Izieux, 1921, Imp. La Loire Républicaine, 1990, Les Amis du Vieux Saint Chamond, Réédition                    Reboul imprimerie

5      G. Chaperon, Saint Chamond, Au fil du temps, 2010, Ed. Actes graphiques

6      J. Condamin, Histoire de Saint Chamond, 1890, A.Picard Éditeur, 1996, Les Amis du Vieux Saint Chamond, Réédition Reboul                      imprimerie