CHARRON - CARROSSIER

 

 

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PREPARATION DU MOYEU

 

 

Le charron est, pour beaucoup, l'artisan qui fabrique les véhicules hippomobiles de toutes sortes nécessitant des outils spécifiques, avec, en priorité, la conception des roues en bois.

Comme nous l'avons déjà fait, nous prendrons pour référence un ouvrage ancien : "Le manuel du Charron et du Carrossier ou l'art de fabriquer toutes sortes de véhicules", par M. LEBRUN, 1833, numérisation Google. Nous puiserons, également, quelques précisions dans les ouvrages de D. BOUCARD et R.VERDIER ainsi que dans le site "Attelage Patrimoine".

 

 

   
 

                            1 moyeu             2 frettes           3 rai
                            4 jante                5 bandage

 

 

 

Au cours de ce dossier, nous rencontrerons quelques termes qu'il nous paraît intéressant de définir ici, de façon succincte :

- bandage ou cercle : ruban métallique qui vient renforcer les jantes ;
- boîtier : cône en fonte aciérée introduit dans le trou central du moyeu pour accueillir la fusée de l'essieu ;
- broche : tenon du rai, côté jante ;
- carré : partie triangulaire que l'on pratique sur les faces des rais ;
- coin : petite pièce angulaire que l'on enfonce dans le bout des broches d'un rai sur deux pour équilibrer la roue ;
- frette : cercle métallique qui renforce le moyeu ;
- fusée : extrémité conique de l'essieu qui pénètre dans le boîtier ;
- goujon : cheville d'assemblage des jantes ;
- maille : espace entre les mortaises ;
- menton : extrémité des jantes du côté de la partie concave ;
- patte : tenon du rai, côté moyeu ;
- rivet de cercle : clou à tête conique reliant bandage et jante ;
- rivet de jante : clou à tête plate fraisée que l'on place sur les mentons pour éviter que les jantes ne se fendent.

 

Le charron utilise deux types de matériaux : le bois et le fer. Cela fait de lui un menuisier, un charpentier, un forgeron, un maréchal-ferrant grossier. Beau palmarès et quel savoir-faire, même si, parfois, il demande de l'aide au forgeron ou la fonderie ! Et, paradoxalement, le nombre d'outils spécifiques est relativement restreint.

Pour les parties fortement mises à l'épreuve, il faut un bois dur et résistant. Le moyeu est réalisé en orme tortillard de Saintonge, composé de fibres qui … s'entortillent ; les jantes sont également réalisées en orme. Les rais sont en chêne. L'acacia semble avoir été utilisé plus tardivement. Le frêne, le charme, l'érable servent pour les pièces moins soumises aux frottements, comme les brancards.

Ces bois doivent être très secs. Au début du XIXe siècle, le séchage est réalisé en plein air. Il peut l'être, également, dans une étuve, après avoir laissé le bois dans de l'eau bouillante pour remplacer la sève par l'eau. L'évaporation de la phase liquide est alors plus rapide. Pour rendre le bois inaltérable (imputrescible ?), il faut rajouter du sel dans l'eau d'ébullition. Pour le durcir, il faut l'imprégner d'huile ou de graisse, à chaleur douce. Pour le rendre incombustible, il faut l'imprégner de sulfate de fer ou … d'urine. Telles sont les recettes utilisées à cette époque. Que sont-elles devenues ? Seule la technique du séchage lent, dans un hangar aéré, semble avoir été conservée. L'orme est séché avec son écorce alors que le chêne en est débarrassé dès que l'arbre est coupé.

Reprenons notre orme tortillard. Notre charron prend un billot de la longueur et du diamètre du moyeu qu'il veut réaliser. Il en enlève l'écorce et le place sur le tour en l'air, entre les deux pointes supportées par les poupées. Il actionne la pédale pour mettre le tour en rotation et, à l'aide de ciseaux, de gouge, il entame le bois pour lui donner la forme du moyeu.

 

 

   
 

Tour en l'air
Rhône
Banc en chêne L 146   l au sol 43   h 75

Volant : roue de charron à 12 rais en frêne ; jante composée de 4 segments en frêne, renforcée par 6 secteurs forgés vissés, avec masselottes en plomb d'équilibrage ; moyeu renforcé par 2 frettes forgées ; vilebrequin d'entraînement forgé ; béquille de fixation en frêne ; pédale d'entrainement reconstituée.

Equipement : tour à moyeu : 2 poupées en noyer ; longueur maximale entre pointes 60 ; axe fileté recevant une pointe à 3 piques d'entrainement ; montage sur 2 paliers en bronze, à double coussinet ; une poulie à gorge en noyer à décor de gorges et filets sur les flancs

 

 

 

     

      

 

   

 

 

Pour la réalisation du moyeu, le charron utilise des ciseaux et des gouges. Nous ne présentons dans ce dossier qu'un seul modèle, à titre d'exemple. Nous en voyons d'autres chez le tourneur sur bois. Le manche est long. Pour maintenir la pression sur le bois en rotation, garder la position du fer et obtenir ainsi une sculpture nette, l'outil repose sur le porte-outil du tour.

 

   
 

                                     Gouge
                                     Rhône
                                     Fer L 15   manche 23

 

 

 

Pour une roue de charrette de 1,46 m de hauteur, le diamètre du moyeu, au plus fort, est de 30 – 32 cm. Les frettes internes correspondent aux 2/3 de cette circonférence, les frettes externes à la moitié.

Le charron va réaliser, ensuite, le trou central où sera mis le "boîtier" en fonte dans lequel tournera l'essieu. Pour les moyeux de petite taille, il peut utiliser une tarière à vis hélicoïdale ou une vis à ferrer, façon anglaise.

La tarière à vis hélicoïdale avec amorçoir, déjà vue chez le charpentier, se présente avec des fers de section variable. La structure du taillant permet une élimination rapide des copeaux. La tarière à ferrer, façon anglaise, ou à élégir, est rencontrée dans la plupart des métiers du bois. Elle sert à élégir (élargir) le trou pratiqué avec la tarière hélicoïdale.

 

 

   
 

                               Tarière à vis hélicoïdale
                               Loire
                               Fer L 54   manche 37

 

 

   
                           
 

                           Tarière à ferrer ou à élégir
                           Loire                 ♠ J.C VOUTE ♠   A M
                                                              FILS
                           L 58   l 4,5

 

 

 

   
 

                     Tarières à ferrer ou à élégir
                     Loire
                     1 Fer L 43   tail. 10 x 2,5   manche 37
                     2 Fer L 32   tail.   7 x 2,5   manche (superbe !) 33

 

 

Pour les gros moyeux, le charron peut ébaucher le trou central avec un vilebrequin classique ou une gouge à frapper entièrement métallique.

 

   
 

                                 Vilebrequin
                                 Loire
                                 Cadre 19 x 13   poignée 12

 

 

Les mèches varient en forme et en taille. Toutes celles que nous présentons proviennent d'un atelier de charron des environs de Saint-Chamond (42).

 

   
 

                                                   Mèche à 3 pointes
                                                   Loire
                                                   L 41   l 3,7

 

 

 

   
 

                                         Mèche à cuiller
                                         Loire
                                         L 36   cuiller 7 x 2

 

 

 

 Les gouges à moyeu à frapper sont toujours entièrement métalliques. Elles font de 3 à 8 cm.

 

   
                           Gouges à moyeu, à frapper
                         Loire
                         1 L 60   l 4              A M
                         2
L 55   l 4          DA COSTA
                                               DIT QUERCY   J 6

 

Le marquage de la gouge n° 2 fait penser à celui des outils de compagnon : nom du propriétaire suivi de "dit" et du nom de lieu dont, souvent, il est originaire.

Les tarières à moyeu vont maintenant pouvoir commencer leur travail, non sans effort pour l'artisan : le bois est particulièrement dur. Nous rencontrons plusieurs types de tarières

D'abord, la louche ou oreille d'âne, à deux taillants latéraux. L'extrémité pointue du modèle présenté est inhabituel. On a plus l'habitude de voir à cet endroit un taillant en arc de cercle. Toute remarque sera la bienvenue...

                                              

   
 

                                  Louche (?)
                                  Pyrénées orientales
                                  Fer L 72   tail. 22 x 7,3   manche 51
                            

 

 

Ensuite, la tarière façon Styrie :

 

   
 

                                 Tarière façon Styrie
                                 Pyrénées orientales
                                 Fer L 71   tail. 18 x 3,6   manche 49

 

 

 

Et, pour terminer, les tarières à crochet, ou quilliers, les plus lourdes, les plus dures à manier :

 

   
   
                             Quilliers ou tarières à crochet
                           Indre
                           1 L 61     tail. 46 x 6,5         2 L 77     tail. 55 x 8
                           3 L 117   tail. 81 x 7           4 L 122   tail. 88 x 11
 

 

A quoi servent ces crochets ? Les avis sont partagés. Nous nous contentons de les présenter, sans prendre parti :

- élimination plus rapide des copeaux (Manuel de Lebrun) : le crochet est perpendiculaire à l'axe longitudinal de la tarière ;
- après avoir percé le moyeu, il est possible d'y introduire une chaîne qui est attachée à ce crochet et qui porte à son autre extrémité un poids. Celui-ci va tirer vers le bas la tarière, facilitant le travail du charron (version la plus fréquente) : le crochet est retourné vers le haut. C'est le cas de ceux que nous présentons.
- lorsque le crochet a traversé le moyeu, l'apprenti peut fixer un manche ou une corde sur celui-ci et le tourner en le tirant vers le bas, en même temps que le compagnon (D.Boucard). Cela suppose que l'axe du moyeu soit horizontal ..?

 

Il reste maintenant à réaliser les mortaises, de part en part, qui vont recevoir les rais. Le charron les creuse au niveau de la plus grande circonférence. Il utilise, pour cela, bédanes et ciseaux, identiques à ceux du charpentier (voir Charpentier, chapitre 5). Les petits côtés verticaux de ces mortaises sont biaisés pour donner l'angle d'écuanteur aux rais. Pour équarrir les bouts des mortaises, il utilise des gouges à frapper de 1 à 3 cm. Elles peuvent avoir un manche en bois : ce sont des gouges emmanchées à frapper. Pour finir les angles, il utilise un ciseau emmanché à frapper à angle droit.

 

 

   
 

                               Gouges à frapper
                               Loire
                               1 L 40   l 1,0     (illisible)
                               2 L 35   l 1,7   JACKSON
                                                         FONDU

 

 

 

 

     
 

                         Ciseau à frapper à angle droit
                         Rhône
                         Fer L 14   manche 13

 

 

F.G., un internaute passionné de charronnage, n'hésitant pas à prendre la doloire, la tarière ou la gouge... pour fabriquer des roues, nous donne quelques précisions :

"Pour le moyeu, on utilise toujours du bois dur  approprié (les charrons que j'ai connus utilisaient ce dont ils disposaient dans les forêts voisines, donc du chêne, du frêne, du platane (car l'ormeau tortillard était surtout présent en Saintonge ), c'est-à-dire assez dense et à fil enchevêtré (petits nœuds). Pour la mise en œuvre , le moyeu est toujours percé en son centre à la tarière, ceci dans le but  de pouvoir chasser l'air lors de la mise à fond du dernier rai lors de l'enrayage. Les mortaises qui reçoivent les pattes de rais sont percées à la tarière et équarries à la gouge à équarrir (seule la face avant de la mortaise est inclinée dans le but de créer l'écuanteur et la face arrière de la patte du rai). Lors d'un enrayage à chaud (moyeu bouilli), il y a nécessité de faire sécher le hérisson (moyeu garni de ses rais) car le moyeu a gonflé durant cette opération et va sécher donc diminuer en diamètre. La mise sur selle (montage des jantes) ne se fera que lorsque le hérisson sera sec."

Merci pour ce complément.

 

Le moyeu est maintenant prêt. Nous verrons dans le chapitre suivant la fabrication des rais et des jantes.

 

                                                                                                                                                                               A suivre …

 

 

A.R.C.O.M.A. NOS OUTILS ANCIENS DE CHARRON 1