SANTÉ ET HYGIÈNE
3
OBSTÉTRIQUE
Le nombre d'instruments nécessaires en obstétrique paraît limité par rapport à d'autres spécialités. Certains sont communs, au moins par le nom, à d'autres types d'interventions : bistouris, ciseaux, pinces à pansement… D'autres sont tout à fait spécifiques et, parfois, étonnants : ce sont eux que nous allons vous présenter.
En théorie, depuis que le monde est monde, les femmes accouchent seules ou en présence d'une matrone. Celle-ci n'a aucune formation médicale, mais une certaine expérience. Si tout se présente bien, le bébé va pousser son premier cri sans problème. Ce n'est malheureusement pas toujours le cas.
Si le col de l'utérus ne se dilate pas suffisamment pour laisser passer le bébé, il faut le dilater avec des "bougies" en métal, verre ou bois dur. Les modèles sont nombreux, tout comme les inventeurs : Goodel, Hank, Pratt, Sims, Wylie, Hegar… Nous vous présentons les dilatateurs simples de Hegar, en bois, numérotés de 12 à 27, correspondant aux diamètres en mm de ces bougies.
Dilatateurs de Hégar |
Plus tard, si la mère est épuisée et s'il est urgent de faire sortir le bébé, le spécialiste doit intervenir au plus vite. L'extraction instrumentale est donc décidée en urgence, dès le moment où la tête est engagée dans le bassin osseux de la mère et alors même que la progression est trop lente. Trois instruments sont disponibles : les spatules, les ventouses et, surtout, le forceps. Nous ne parlerons que de ce dernier.
"Forceps" vient du mot anglais qui signifie "pince". Son invention est due à un français huguenot, Pierre Chamberlen, qui immigra en Angleterre à cause des guerres de religion de la fin du XVIe siècle. Son prénom devint, tout naturellement, Peter : c'est ainsi qu'il est désigné aujourd'hui encore. Ce barbier eut rapidement un grand succès. Les chances de survie de l'enfant étaient bien meilleures lorsque la mère était assistée par ce praticien. Les reines, les princesses le voulaient à leur côté. L'explication résidait dans l'utilisation d'un instrument secret, le forceps, évoqué dès 1634, que Chamberlen arrivait à occulter en opérant les bras cachés sous une couverture. Il devint très riche, mais n'en mourut pas moins. Ce Peter Chamberlen fut le premier d'une véritable dynastie dont les membres se comportèrent de la même façon pendant près d'un siècle. En 1728, le dernier des Chamberlen emporta son secret dans la tombe, après avoir fait murer ses forceps dans une cachette qui ne fut découverte qu'en 1813. Par rapport aux pinces utilisées jusqu'à cette découverte, Chamberlen avait eu l'idée d'utiliser deux cuillers droites, mais surtout indépendantes qu'il pouvait successivement glisser à droite et à gauche dans le vagin puis le long de la tête de l'enfant. Les deux cuillers en place étaient, ensuite, réunies au niveau des poignées extérieures et permettaient de tirer la tête (et l'enfant tout entier).
Heureusement, d'autres obstétriciens se penchèrent sur la question, sans attendre le début du XIXe siècle. C'est, d'abord, un hollandais, Jean Palfijn (1650 – 1730), qui présente en 1722 un "tire-tête". Celui-ci subit quelques modifications en Angleterre. Mais c'est en France, en 1747, que le forceps prend sa forme définitive grâce à André Levret (1703 – 1780). Jusqu'alors, le forceps a des branches et des valves droites. Levret donne aux valves une forme épousant la courbure du bassin et permettant un positionnement sur une tête encore haute. Des centaines de modifications seront proposées, mais la partie essentielle reste la même, aujourd'hui encore. Un seul ajout facilitera l'utilisation du forceps : en 1877, Etienne Tarnier (1828 - 1897) adjoint aux pinces un "tracteur" qui permet de tirer suivant l'axe de l'excavation pelvienne.
|
Forceps de Levret |
Le forceps de Levret comporte bien deux cuillers courbes, indépendantes l'une de l'autre, mais réunies entre elles, une fois en place, par une goupille centrale. Cette union reste "flottante" : aucun système ne permet de les garder à l'ouverture voulue. On peut voir à l'extrémité des deux branches des petites ogives qui cachent un perforateur et un crochet.
|
Forceps de Tarnier, avec tracteur Meuse 235 L 39 poignée 25 |
Contrairement à celles du forceps de Levret, les deux branches sont fermement solidarisées après avoir été mises en place :
Sur la photographie de gauche, à gauche, une vis permet de maintenir les branches à l'écartement voulu ; au centre, une autre vis réunie les deux branches ; enfin, à droite, deux pattes permettent la fixation du tracteur.
Sur celle de droite, on voit les deux pattes en position fermée.
Le tracteur est en place
Si l'opération se passe bien, avec ou sans épisiotomie, le bébé naît. Il gardera deux ou trois jours les marques de cette pince. A certains moments, la maman est, alors, mise en présence d'une poupée d'accouchée, à tête et bras articulés. A vrai dire, nous ne savons rien sur le rôle de cette poupée froide, en carton mâché, aux peintures douteuses pour un nourrisson. Elle date du début du XXe siècle et provient d'un hôpital d'Indre-et-Loire. Remplace-t-elle l'enfant pendant les soins ? Toute information sera la bienvenue.
|
Poupée d'accouchée |
Malheureusement, malgré les instruments utilisés, l'accouchement se passe mal dans certains cas. Le bébé meurt in utero. Il faut l'extraire rapidement pour éviter tout ennui secondaire à la mère. L'obstétricien se munit d'un instrument qui a pour but de permettre le passage de la tête dans un bassin trop étroit. Le seul moyen est d'écraser et de réduire les dimensions de la tête. L'instrument est le basiotribe de Tarnier-Collin. Inventé en l'état au XIXe siècle, cet instrument, a priori barbare, est l'aboutissement de recherches depuis plus de deux mille ans. Le seul but est de sauver la mère. Les Egyptiens, les Grecs, les Romains utilisèrent, à ces fins, divers instruments, munis d'une extrémité pointue destructrice. Au XVIIIe siècle, le basiotrypse, dérivé du tire-tête de Levret, détruit et extrait. Il en va de même du cranioclaste, au XIXe siècle. A la même époque, un perforateur obstétrical perce la boîte crânienne pour en faciliter l'évacuation.
Basiotribe de Tarnier-Collin |
1 Valves |
COLLIN Assemblage des valves et du perforateur |
Perforateur et son cache-râpe |
Vis d'assemblage et de contrôle de l'écartement |
Tous les instruments que nous venons de voir évoquent une grossesse arrivée à son terme.
A contrario, cette grossesse n'est pas toujours souhaitée. Tout est mis en œuvre, alors, pour l'interrompre. Que ce soit dans le cadre de régulation des naissances ou du fait de problèmes sociaux, économiques, familiaux…, l'interruption de grossesse est, depuis l'Antiquité, un problème majeur du couple, légitime ou non. Il est hors de question de faire ici un historique. D'autres l'ont fait remarquablement. Notons simplement quelques points :
- Jusqu'au XVIe siècle, le fœtus n'est pas considéré comme un être humain jusqu'à ce qu'il bouge, donc, environ, au 4ème mois. L'avortement est donc admis, y compris par l'Eglise, durant cette période.
- Les moyens les plus utilisés (il y en a d'autres, comme les coups !) sont soit instrumentaux comme une aiguille à tricoter ou divers instruments chirurgicaux comme des sondes, un spéculum… soit médicamenteuses, à base de tisanes, de décoctions ou de mélanges placés in utero.
- Si, à partir du Code Napoléon, l'avortement est illégal, il faut noter que les condamnations n'ont jamais été systématiques, tant pour l'avortée que pour l'avorteuse.
Dans le cadre de ce document, nous nous intéressons uniquement aux plantes abortives utilisées par les "sorcières", les avorteuses ou les faiseuses d'anges. Ces plantes sont nombreuses ; leur action est variable sur la grossesse. Certaines, mal employées, peuvent entraîner la mort. Citons quelques' unes d'entre elles : absinthe, armoise, hysope, laurier, navet, rue, sabine, saule blanc, séneçon… Pour être efficaces, ces plantes doivent subir une préparation, en particulier être broyées dans un mortier. A l'effet de la plante s'ajoute une action magique de l'avorteuse, mais aussi des instruments utilisés. Nous vous présentons un rare pilon de magie d'avorteuse originaire de Nevers. Ce pilon en verre transparent contient la représentation d'un bébé en porcelaine. Au dos de celui-ci figure la date de "1887". A travers ce simple objet, c'est un passé récent qui nous revient avec ses croyances et ses misères tant morales que matérielles. La loi Veil de 1975 a modifié bien des comportements et, surtout, a légalisé l'interruption volontaire de grossesse. A-t-elle fait disparaître les appréhensions, matérielles ou mystiques, les jugements ?
Pilon de magie d'avorteuse |
Nous refermons, là, ce chapitre sur l'obstétrique. Dans le prochain dossier, nous abordons la suite logique : l'alimentation du nouveau-né.
A suivre…
A.R.C.O.M.A. NOS INSTRUMENTS ANCIENS POUR LA SANTÉ ET L'HYGIÈNE
OBSTÉTRIQUE