MENUISIERS, ÉBÉNISTES
ET AUTRES MÉTIERS DE "MENU" BOIS
LES RABOTS DE CORROYAGE
Ce nouveau chapitre consacré aux rabots est divisé en plusieurs sections correspondant aux actions réalisables avec cet outil : corroyage, recalage, moulurage, assemblage, rainurage… Le domaine est très vaste et compliqué, surtout pour un béotien en la matière. Nous allons nous appuyer sur le livre bien nommé "LES RABOTS" de Pierre Bouillot et Xavier Chatellard, aux Editions Vial, 2010. L'utilisation d'un livre excellent n'est pas une garantie absolue contre nos erreurs. Alors, pour les spécialistes, n'hésitez pas à intervenir.
Pour commencer, nous vous proposons un petit rappel sur les différentes parties du rabot :
1 Nez 2 Joue 3 Semelle 4 Talon 5 Fer 6 Contre-fer 7 Coin 8 Oreillons 9 Lumière |
On retrouve ces différents éléments dans la plupart des rabots, à l'exception du contre-fer. Celui-ci date de la fin du XVIIIe siècle. Il évite le "broutage" du fer lié à l'élasticité (relative) de l'acier et casse le copeau au plus court limitant la formation d'éclats. Il en existe plusieurs types : simple, à vis courte et à vis longue.
Fer, contre-fer simple et lumière |
Fer + contre-fer à Fer Contre-fer à vis courte Lumière |
Fer + contre-fer à vis longue Lumière |
A noter, également, que les rabots sont souvent appelés "outil à ..." suivi de la fonction, ou tout simplement par le résultat obtenu : rabot à entailles devient "entaille", rabot à plate-bande devient "plate-bande"...
A plusieurs reprises, nous verrons des rabots constitués de plusieurs essences de bois. Ils proviennent souvent d'un grand quart sud-est de la France où le cormier est peu abondant et remplacé par le chêne vert, associé au hêtre, au sorbier... La jonction entre les différentes parties se fait par embrèvement.
1 RABOTS DE CORROYAGE
Selon l'encyclopédie Larousse, le corroyage (de corroyer, de l'ancien français conreer, préparer, du latin populaire conredare) est "le travail d'une pièce de bois scié, avivée, ayant le degré de siccité convenable, en vue de lui donner la planitude, les dimensions et l'état de surface requis pour l'usinage définitif, notamment en épaisseur".
En d'autres termes, le corroyage permet d'obtenir une planche parfaitement plane dont les champs sont tout aussi parfaitement perpendiculaires au parement. Car une fois sciée et séchée, la planche peut prendre des formes qui la rendent inutilisable en l'état : elle peut être concave en largeur ou longueur et donc convexe ou bombée sur la face opposée, ou encore vrillée. Elle garde les traces de la scie, elle prend une teinte grisée du fait de la pluie. Les champs n'ont pas la rectitude souhaitée…
Nous avons vu dans le chapitre précédent que l'artisan peut utiliser une paire de réglets pour vérifier la planéité de la planche. A défaut, il peut se contenter de regarder attentivement la planche : c'est le bornoyage (Dictionnaire Larousse : "viser d'un œil en fermant l'autre pour s'assurer si une ligne est droite, si une surface est plane").
Nous n'abordons pas ici des questions techniques sur l'angle d'attaque du fer, sur son aiguisage, sur la façon de tenir le rabot… : nous n'en avons pas la compétence et nous incitons le lecteur à consulter le livre "Les rabots" déjà cité. Nous nous contentons de montrer notre collection, en espérant ne pas faire trop d'erreurs dans la classification de ces rabots.
Le corroyage concerne des surfaces planes ou incurvées, les premières étant les plus fréquentes.
Pour les surfaces planes, 2 rabots sont utilisés en première intention, le riflard, d'abord, puis la varlope.
Le riflard est constitué le plus souvent d'un fût parallélépipédique assez long, d'une poignée et le tranchant du fer est plus souvent arrondi pour attaquer le bois en profondeur, la lumière inférieure (au niveau de la semelle) est large. Il est aussi appelé, par certains, demi-varlope.
Riflard, à contre-fer à vis longue (cormier) |
La partie avant du fût est protégée par une bande de cuir.
Riflard |
A côté de cette forme classique, on rencontre des rabots dits de montagne, souvent monoxyles. La semelle de certains d'entre eux est doublée d'une plaque métallique de 2 à 4 mm pour en ralentir l'usure et en augmenter le poids.
Demi-varlope monoxyle, de montagne, à semelle métallique |
A l'avant du fût, une corne permet une meilleure préhension de la main gauche.
* Nous avions mal lu la marque du fer. Un internaute a corrigé notre erreur. L'entreprise en question est allemande et a été créée il y a plus de 100 ans.
Demi-varlope monoxyle, de montagne |
A l'avant, le fût est percé de part en part : on peut y faire passer une tige en bois, en métal ou une ficelle qui permettent à l'apprenti de tirer le rabot vers l'avant.
Pour les petites surfaces, l'artisan peut utiliser un rabot beaucoup plus court "en fin de carrière", dit "à dégrossir", ayant subi plusieurs dressages de la semelle et présentant une lumière inférieure beaucoup trop large. Après avoir arrondi le tranchant, on l'utilise pour éliminer les traits de scie, la teinte grisée ou pour travailler autour des nœuds. Question : à partir de quelle largeur de la lumière inférieure un rabot ordinaire ou à replanir passe dans cette catégorie ? Celle des rabots que nous présentons est de l'ordre de 10 - 12 mm.
Rabots à dégrossir |
A noter l'arrondi antérieur de la lumière pour les 2 et 3 : caractère régional ? fabricant ?
La varlope vient continuer le travail du riflard. La forme générale de l'outil est la même, mais les dimensions sont plus importantes, le tranchant est droit et la lumière inférieure est moins large.
Varlopes |
Grande varlope |
D'après le livre "Les rabots", cette varlope très longue est absente des catalogues français : "il s'agit soit de varlopes d'atelier, soit d'outils alpins ou étrangers". On la rencontre, également, chez le charpentier.
Riflard et varlope réunis constituent la paire d'affûtage ou affûtages.
Ils sont insuffisants pour donner l'aspect lisse à la planche. D'autres rabots, plus petits, vont être nécessaires tant pour le parement que pour les champs. La galère – pas celle du charpentier ! – commence pour le menuisier, l'ébéniste, et, surtout, pour nous.
Et tout d'abord, une parenthèse sur l'état des rabots de nos collections : ils ont beaucoup servi et ont fait l'objet de nombreuses modifications au niveau de la semelle. Il en résulte une largeur de la lumière inférieure beaucoup plus importante que celle d'un rabot en bon état. Leur classement devient quasi impossible.
Pour donner à la planche son aspect définitif, il faut donc faire appel à un rabot dit "ordinaire" - appellation en relation avec sa taille, de l'ordre de 16 à 25 cm - qui efface toute trace de passes antérieures sans enlever de matière. Si la forme générale est constante, on distingue, cependant, des modèles qui diffèrent par leur semelle, la largeur de la lumière inférieure et, donc, leur efficacité. Le rabot ordinaire de base possède une semelle en bois ; la lumière est de l'ordre du millimètre qui, on l'a vu, va s'élargir progressivement : c'est le rabot dit "à tout faire". Pour éviter cette usure rapide, la semelle peut être doublée d'une plaque d'acier de 2 à 5 mm d'épaisseur ; la lumière est de l'ordre de quelques dixièmes de millimètres. C'est le cas du rabot à replanir qui permet d'aboutir à la perfection : nous n'en avons pas !
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Rabots ordinaires |
Un autre rabot, à semelle métallique, présente quelques curiosités. Il semble qu'il ait reçu une première semelle en bois de 1,5 cm, environ, d'épaisseur, puis, une deuxième, en acier de seulement 2 mm d'épaisseur. Enfin, la lumière inférieure est de 10 mm ! A priori, il s'agit d'un travail artisanal.
Rabot ordinaire à semelle métallique |
Ces rabots ont la forme typique des rabots ordinaires français. Les rabots ordinaires allemands de finition sont pourvus d'une corne au niveau du nez du fût pour faciliter la préhension de la main gauche.
Rabot ordinaire à corne |
A noter l'assemblage des deux bois constituant le fût et l'arrondi du tranchant : rabot à dégrossir ?
Rabot ordinaire à corne Bas-Rhin sur le fût : W.B. (dans un cœur) sur le fer : BLUCKHAUS (clef) CAST STEEL Fût 22 x 6,5 x 4,6 tranchant 50 mm lumière 28 mm ! |
Rabot ordinaire à corne Loire SCHUTZ ULMIA MARKE (église) OTT Fût 24 x 6,3 x 6,5 tranchant 48 mm lumière 10 mm |
La société Georg OTT a été créée en 1894. La marque verte, où figure la cathédrale d'Ulm, a équipé ces rabots de 1925 à 1950. A noter la cale transversale sur laquelle vient se bloquer l'ensemble fer - contre-fer – coin.
De l'autre côté de l'océan Atlantique, on rencontre les célèbres rabots métalliques Stanley.
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Rabot métallique ordinaire Stanley |
Nous avons vu jusqu'à présent des outils utilisés pour le corroyage de grandes ou moyennes surfaces planes, les parements. D'autres sont destinés à des surfaces également planes, mais beaucoup plus petites, les champs ou chants. Ce sont des outils à recaler. D'après le livre "Les rabots", "Recaler signifie dresser le bois de bout - ou debout – c'est-à-dire la surface du bout de la pièce, constituée par des pièces se présentant à la perpendiculaire, "debout devant l'outil", par opposition au bois de fil". Cela concerne tous les assemblages de deux pièces identiques dans des plans différents : cadres, corniches, moulures… La coupe se fait à la scie suivant différents angles : 90° (dite carrée), 45° (dite d'onglet), 60° (dite demi-onglet) : les outils à recaler servent à la finition pour que l'assemblage soit parfait. Ici, varlope, demi-varlope, rabot se distinguent des précédents par leur poids et leur taille plus importants, la présence d'une semelle métallique pour limiter l'usure (le bois debout est coupé et offre une plus grande résistance que le bois de fil). La lumière inférieure est très étroite. Poignée (si elle est présente) et disposition de la lame (en biais) peuvent être modifiées par rapport aux rabots classiques.
Rabot à recaler (?), à semelle métallique, à biseau caché (?) |
Les initiales T.B. sont celles des établissements Thivel et Béréziat créés en 1888.
Pour utiliser ce type de rabot, l'artisan dispose la pièce à traiter sur un bois à dresser ou une boîte à recaler. Nous n'avons pas de bois à dresser qui était souvent fabriqué par l'artisan lui-même : 2 planchettes vissées ensemble, la première supportant l'autre dont la découpe, rectangulaire ou trapézoïdale, permettait de réaliser une coupe carrée ou d'onglet.
La boîte à recaler est plus complexe, munie d'une presse pour maintenir la planche. Il en existe deux modèles : plate, dite de menuisier, qui permet de réaliser les 3 coupes : carrée, d'onglet, de demi-onglet. Avant la finition au rabot ou à la varlope, la pièce est sciée avec une scie à plat (voir le premier article, sur les scies). Plus imposante est la boîte à recaler triangulaire dite d'ébéniste qui permet également de réaliser les 3 coupes.
Boîte à recaler |
Les cales A et D sont fixes ; la cale B est actionnée par la vis en bois. La cale C, solidaire de D, permet de réaliser une coupe carrée ou d'onglet ; solidaire de B, elle permet de réaliser une coupe de demi-onglet : elle est bloquée par les vis, sous le bâti, en C*. La barre E permet de fixer la boîte sur l'établi à l'aide d'un valet.
Boîte à recaler Loire Bâti L 51 h 29 vis métallique 25 |
Un autre modèle, plus simple et plus récent, peut être utilisé pour des coupes carrées ou d'onglet.
Boîte à recaler |
Dans certains cas, le rabot glisse non pas sur la semelle, mais sur son flanc droit : c'est le recalage sur le flanc. Un exemple particulier est celui de la double varlope d'encadreur munie de deux fers, d'une poignée double. La varlope est poussée sur le flanc dans une glissière taillée dans un bois à dresser. La baguette à recaler est plaquée contre une des deux cales symétriques ; on utilise l'un ou l'autre fer, suivant la cale utilisée.
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Varlope à recaler d'encadreur |
A noter la disposition en biais des deux fers. Suivant la position des cales, l'angle de coupe est de 45°, 60° ou 75°.
Après le gros rabot, nous allons voir quelques petits rabots à semelle plane : rabots de luthier, outils d'amateur, jouets… ?
Petit rabot ordinaire |
Les deux suivants, très proches par la forme et la décoration, font penser à des jouets : fers et contre-fers sont très minces.
Petit rabot ordinaire |
Le même, en plus long :
Petit rabot ordinaire |
Petit rabot à corne |
Le suivant tient plus du racloir que du rabot, même si le dessin imprimé sur la boîte montre la formation d'un copeau.
Rabot ou racloir (?) |
Ce dernier outil nous semble plutôt fait pour les amateurs. Les 2 fers sont constitués de lames de rasoir. Il peut être utile pour enlever des taches superficielles, une teinte grisée, sûrement pas pour éliminer des irrégularités provoquées par la scie, la varlope…
Tous les rabots de corroyage et accessoires que nous avons vus concernent des surfaces planes. Si leur taille est très variable, leurs formes et leurs fers sont sensiblement toujours les mêmes – exception faite du fer légèrement arrondi du riflard. Les rabots que nous allons voir sont destinés au corroyage de surfaces incurvées ou planes, mais dans ce dernier cas ils présentent quelques différences.
Dans cette rubrique du corroyage, nous ne verrons que des rabots à semelle convexe ou concave de plus de 2 cm de largeur (décision totalement arbitraire !). En dessous, on peut penser que de tels rabots servent surtout à faire des moulures, ce qui, a priori, ne veut pas dire que les fers de plus de 2 cm ne peuvent pas faire de moulures !
Le rabot cintré est convexe dans le sens de la longueur. Nous présentons un modèle utilisé également par le charron (chapitre 3).
Rabot cintré Rhône fer COULAUX Fût 16 x 5,5 x 6,3 tranchant 4,8 |
Cintré également, ce rabot à corne, sans doute d'origine allemande, est porteur d'un fer denté. Ce type de fer est utilisé en marquèterie : nous en reparlons un peu plus loin. Il peut aussi servir pour le corroyage.
Rabot cintré à corne et fer denté Bas-Rhin fer COULAUX & C Fût 23 x 6 x 6 tranchant strié 5 lumière 6 mm |
Le rabot peut avoir aussi une semelle concave, toujours dans le sens de la longueur. Le fût est soit classique, soit plus court, à navette, ce dernier étant plutôt utilisé par le charron (chapitre 3)
Rabot à navette cintré en creux |
Convexité et concavité peuvent s'observer également dans la largeur.
Rabots ronds |
S'agit-il de deux rabots à fonctions identiques. Si le "2" correspond à la définition donnée dans le livre "Les rabots", page 140, le "1" présente une dissymétrie au niveau des joues et de la semelle. Le fût du rabot "1" comporte une contre-joue embrevée suivant le style rhodanien. Malgré la largeur respectable du fer, on peut penser que ce rabot sert plutôt à réaliser des moulures.
Plus rare, le rabot à débillarder est convexe dans les deux sens. Il sert au dégrossissage des pièces cintrées. Nous reprenons le modèle présenté, également, chez le charpentier (chapitre 7) qui s'en servait souvent. Il était souvent fabriqué par l'artisan lui-même, à partir d'un rabot ordinaire, en enlevant de la matière aux 4 angles de la semelle.
Rabot à débillarder |
Nous avons vu un rabot à corne cintré. En voici 2 autres à semelle convexe ou concave dans la largeur : une paire ?
Rabot à semelle concave et corne tournée Rhône fer IPML 8 Fût 27 x 6,5 x 7,5 tranchant 5,3 |
Rabot à semelle convexe et corne Rhône G. SCHARF B (?) Fût 27,5 x 6,5 x 6 tranchant 5 |
Jusqu'à présent, nous n'avons pas parlé des rabots métalliques. Nous n'en possédons que quelques' uns, tous de corroyage. Certains méritent un bon nettoyage avant d'être présentés. Un seul a un réel intérêt, ce Stanley n°113. Ce rabot a été fabriqué de 1877 à 1942, avec des modifications qui sont à l'origine de 11 modèles légèrement différents. Celui que nous présentons date de 1903, modèle 4a, pourvu d'une graduation sur les roues dentées latérales qui assurent un mouvement symétrique du nez et du talon. Ce système permet de travailler des surfaces planes, convexes ou concaves.
Rabot métallique cintrable Val-d'Oise STANLEY. RULE & LEVEL.CO. N° 113 Fût 25 x 8 tranchant 4,5 lumière 3 mm |
Pour terminer ce chapitre sur le corroyage, nous présentons un rabot qui peut participer au corroyage de surfaces planes au fil irrégulier, mais qui est plus souvent décrit chez l'ébéniste pour réaliser des placages. C'est le rabot à fer denté. On le reconnaît à sa petite taille et, surtout, à son fer presque vertical (80°) dont l'extrémité est dentée.
Rabots de placage et de corroyage |
Le rabot de placage suivant est plus récent : nous le présentons pour évoquer cet autre outilleur lyonnais "Au Sorbier".
Rabot de placage et de corroyage |
Dans le chapitre 8 - 2, nous voyons les rabots ou outils à moulure.
A suivre…
A.R.C.O.M.A. NOS OUTILS ANCIENS DE MENUISIER, ÉBÉNISTE et MÉTIERS DE MENU BOIS :
8 - 1 LES RABOTS DE CORROYAGE