SANTÉ ET HYGIÈNE

 

 

CARDIOLOGIE 

 

 

 

La compréhension de la circulation sanguine et du rôle du cœur a nécessité plus de 3 millénaires. De nombreux obstacles expliquent cette très longue attente – que l'on pourrait d'ailleurs retrouver pour de nombreux organes - : les moyens techniques, les religions ­ ­- opposées aux dissections -, la confiance sans borne dans les écrits antérieurs, notamment ceux de Galien, le manque d'esprit scientifique chez certains membres – et pas des moindres - de la faculté de Médecine…

Il n'est pas question de réaliser, ici, un cours détaillé de physiologie. Les personnes intéressées trouveront réponses à leurs questions dans des livres spécialisés ou sur internet. Nous allons juste indiquer la succession des découvertes qui ont abouti à la connaissance du fonctionnement de la circulation sanguine.

Assyriens, égyptiens, grecs, romains voient dans le cœur le siège de l'intelligence, de l'esprit ou de l'âme. Pour preuve, lorsque le cœur s'arrête de battre (le pouls est déjà observé), l'esprit ne répond plus.

Hippocrate (vers 460 – 377 av. J.-C.) va, le premier, décrire la morphologie du cœur, à partir de dissections de cadavres. Il en déduit un modèle de circulation qui ne tient pas compte des modifications qui s'opèrent entre le vivant et le mort : l'air arrive dans les oreillettes, le ventricule gauche est un sac d'air. La confusion vient des modifications qui interviennent à la mort : vidange des artères, gonflement des veines, en particulier au niveau du foie. Le foie est donc considéré comme le lieu de production du sang.

Aristote (384 – 322 av. J.-C.) montre que les artères sont liées au cœur. Pour preuve, les deux battent ensemble. Par contre, c'est l'impasse sur la circulation veineuse. On ignore toujours comment le cœur se remplit et le sang se renouvelle.

Hérophile (vers 330 – vers 260 av. J.-C.) différencie veines et artères et identifie la "veine artérieuse" ou artère pulmonaire. Les veines apportent aux organes les nutriments nécessaires à leur fonctionnement, alors que les artères transportent sang et air réchauffé par le cœur. Le pouls ne concerne que le cœur et les artères. Ses recherches sont basées sur des autopsies qui seront rapidement interdites.

Claude Galien (vers 130 – vers 210) déclare que le sang provient du foie. Il résulte de la transformation du chyle (produit de la digestion, destiné à passer de l'intestin grêle dans le sang) : il est alors foncé et épais. C'est le sang veineux qui arrive au ventricule droit. Suivant un mouvement oscillatoire dû à l'attraction des organes, à l'impulsion des veines et à une fermentation qui réchauffe le corps, une fraction importante arrive par les veines caves aux organes où il est entièrement consommé. Une autre fraction parvient aux poumons où il subit l'action du pneuma (esprit vital, souffle), devenant sang artériel, arrive dans le ventricule gauche et est distribué aux organes périphériques où il est, lui aussi, entièrement consommé… Un passage entre les deux ventricules se fait grâce à des pores. La valve du ventricule gauche fonctionne dans les deux sens. Le sang est différemment chargé en "air" dans les artères et les veines. Le pouls reflète la contraction du cœur. Le cœur n'est formé que de deux ventricules : les oreillettes ne sont que des extensions de vaisseaux.

Si Galien donne au cœur une fonction importante, il conserve dans sa théorie des idées anciennes où interviennent le pneuma, la combustion du sang, la coction au niveau du foie… Ces erreurs vont perdurer pendant près de 15 siècles.

Ibn an ou AL Nafis (vers 1210  - 1288) décrit pour la première fois une approche de la petite circulation : le sang, chauffé, passe du ventricule droit aux poumons : "Quand le sang a été raffiné dans le ventricule droit, il lui faut passer dans la cavité gauche où se forment les esprits vitaux. Cependant, il n'existe entre ces deux cavités aucun point de passage. À ce niveau, la substance du cœur est particulièrement solide et il n'existe ni passage visible, ni passage invisible pouvant permettre le transit de ce sang comme l'a cru Galien. Bien au contraire, la substance est épaisse et il n'y a pas de pores perméables. Donc, ce sang, après avoir été raffiné, doit nécessairement passer dans la veine artérieuse, aller ainsi jusqu'au poumon, se répandre dans sa substance et s'y mélanger avec l'air pour que sa portion la plus subtile soit purifiée et puisse passer dans l'artère veineuse pour arriver dans la cavité gauche du cœur, devenu apte à former les esprits vitaux."  On est loin de la théorie de Galien, mais aucune suite n'est donnée à ces découvertes.

Durant les deux siècles suivants, les connaissances évoluent lentement, au gré de l'autorisation ou non des dissections. La théorie de Galien domine toujours. Pour pallier aux méconnaissances anatomiques, on utilise des subterfuges, on invente, on imagine, on mêle spirituel et matériel. Il est difficile de s'y retrouver : " sang spiritueux rouge", "calorique inné d'origine céleste", "esprit naturel de nature vaporeuse et esprit vital de nature aérienne qui devient esprit animal de nature éthérée", "esprit animal qui suivant les nerfs commande l'activité psychique"…

L'italien Andrea Césalpino (1519 – 1603) parle de circulation du sang alors que certains de ces prédécesseurs n'avaient imaginé qu'un mouvement de flux et de reflux. Il est le premier à évoquer les capillaires sanguins, le contact du sang avec l'air dans les poumons…

André Vésale (1514-1564), médecin de Charles Quint, décrit l'anatomie du cœur, démontre son automatisme et sa contractilité. Il nie l'existence de pores dans la cloison interventriculaire. Par peur ou par modestie, il n'ose critiquer la théorie de Galien incompatible avec la réalité de cette anatomie.

Miguel Serveto (1511 - 1553) décrit pour la première fois transformation et circulation du sang : "Le sang subtil, venu du ventricule droit est brassé, et avec un art consommé, à la faveur d’un long trajet dans le poumon. Il y est transformé en un sang rouge jaunâtre et transvasé de la veine artérieuse à l’artère veineuse. Puis dans cette artère veineuse, il est mélangé à l’air inspiré et repurgé par l’aspiration de ses fuliginosités. Enfin le mélange tout entier [et non une fraction], désormais convenable, est attiré par la diastole dans le ventricule gauche". Il n'est plus question de pores dans la cloison interventriculaire. Ses découvertes ne furent pas du goût de ses confrères et de l'Eglise, ce qui lui valut d'être brûlé vif pour hérésie et hétérodoxie.

Girolamo Fabrizi d'Aquapendente (1533 – 1619), titulaire de la chaire de chirurgie de Padoue, identifie les valvules des veines. Il a pour élève William Harvey.

Realdo Colombo (vers 1515 – 1559), affirme la présence de valves dans les vaisseaux entrant et quittant les ventricules droit et gauche ; le sang ne s'y déplace que dans un seul sens. Il montre que la veine pulmonaire ne contient que du sang. Enfin, il décrit l'alternance systole/diastole et la petite circulation : "la veine pulmonaire est faite pour apporter du poumon au ventricule gauche le sang mêlé à l'air".

William Harvey (1578-1657) est le premier à réunir les travaux les plus récents, en particulier ceux de Césalpino et de Colombo, à les interpréter et à les comprendre pour décrire la physiologie de la circulation sanguine dont le moteur est le muscle cardiaque : "Partout où il y a du sang, toujours aussi sa marche demeure la même, soit dans les veines, soit dans les artères. Des artérioles, le fluide passe dans les veinules du parenchyme, et la force du cœur suffit pour opérer cette transition." Par ailleurs, le retour du sang au cœur est facilité par les valvules des veines. En 1628, petite et grande circulations sont  connues. On peut les résumer ainsi :

Artères et veines
Sont désignées par artères les vaisseaux qui partent du cœur et par veines ceux qui viennent vers le cœur, que le sang soit riche en oxygène ou pas.

Petite circulation ou Circulation pulmonaire
Le sang présent dans le ventricule droit (VD) est expulsé dans l'artère pulmonaire (AP) ou tronc de l'artère pulmonaire qui se divise en 2 branches, droite et gauche. Le sang parvient ainsi aux poumons où il est oxygéné puis, via les veines pulmonaires (VP), parvient à l'oreillette gauche (OG).

Grande circulation ou Circulation systémique
Le sang riche en oxygène contenu dans l'oreillette gauche passe dans le ventricule gauche (VG). Il en sort par l'aorte qui va se diviser en plusieurs artères pour irriguer les différents organes où le passage entre sang veineux et sang artériel se fait grâce à des artères et veines capillaires. Le sang pauvre en oxygène revient à l'oreillette droite, via les veines caves supérieure et inférieure.

Cette grande circulation est valable pour tous les organes, à l'exception du cœur et des poumons.

Le cœur reçoit le sang oxygéné des artères coronaires – les premières artères issues de l'aorte - qui le "couronnent", d'où le nom de "coronaires" ; le sang bleu revient directement dans l'oreillette droite, via les veines coronaires.

Les poumons reçoivent deux types de sang : l'un désoxygéné provient du cœur par les artères pulmonaires (AP), l'autre, oxygéné provient de l'aorte par les artères bronchiques. Le sang désoxygéné revient au cœur par les veines bronchiques. Une toute petite partie du sang arrive par les artères bronchiques et repart par les veines pulmonaires. Les poumons profitent ainsi des deux types de circulation, pulmonaire et systémique.

 

   

 

 

La découverte de Harvey ne passa pas inaperçue, notamment à la Faculté de Médecine de Paris, d'abord en la personne de Jean Riolan, dit le Jeune (1577 ? – 1657), médecin d'Henri IV, de Louis XIII et de Marie de Médicis, anatomiste reconnu. Il réalise lui-même des autopsies, contrairement à l'usage qui veut que cet acte "manuel" soit pratiqué par les chirurgiens-barbiers. Incapable d'interpréter ce qu'il voit, il reste toujours un fervent défenseur de la théorie de Galien. Le successeur de Riolan, Guy Patin, n'a de cesse pour démonter la théorie de Harvey et soutenir celle de Galien. Rien n'y fait, pas même la découverte du réservoir du chyle par Jean Pecquet, en 1651, qui enlève au foie la propriété de fabriquer le sang. Jusqu'à la fin de sa vie, il maintient sa position en présidant une thèse opposée à la théorie de Harvey. C'est à Louis XIV que l'on doit le mot de la fin. Sur les conseils de Guy-Crescent Fagon (1638 – 1718), futur premier médecin du roi, il confie la chaire d'anatomie du Jardin des plantes à Pierre Dionis en 1672 avec pour mission l'enseignement de la nouvelle théorie. Celle-ci fait rapidement le tour du monde.

Les découvertes de Harvey seront complétées d'une part, par Marcello Malpighi qui identifie en 1661 les capillaires autorisant  le passage du sang artériel au sang veineux au sein des parenchymes ; d'autre part, par Richard Lower qui démontrera en 1669 que les poumons permettent "d'oxygéner" (l'oxygène ne sera connu qu'un siècle plus tard) le sang, simplement en agitant dans un flacon du sang veineux qui passe du rouge sombre au rouge vif.

La présence de cellules dans le sang n'est constatée qu'en 1674, par Van Leeuwenoek qui décrit les globules rouges grâce à l'évolution du microscope.

Le rôle de l'air est évoqué tout au long de cette histoire : l'oxygène, l'élément actif de l'air, n'est identifié qu'en 1772 par Priestley, puis étudié par Lavoisier en 1777.

Cet historique, tout à la fois très simplifié, très complexe, parfois contradictoire, n'évoque qu'une partie des découvertes, des suggestions des savants, médecins, chirurgiens, botanistes, apothicaires, voire théologiens que nous avons cités. Pour en savoir plus, il convient d'étudier la monographie de chacun d'entre eux.     

 

La cardiologie ne dispose d'instruments d'exploration et de diagnostic qu'à partir du XIXe siècle. Il faut attendre la fin de ce même siècle, voire la première moitié du XXe pour qu'ils soient utilisées en pratique courante.

Le premier d'entre eux concerne "la force du sang", devenue "tension artérielle". La première expérience répertoriée date de 1733 : elle est réalisée par l'anglais Stéphane Hales qui mesure la hauteur du sang dans une colonne en verre branchée sur l'artère crurale d'une jument. En 1828, J.L.M. Poiseuille (1797 – 1869) remplace la colonne par un manomètre à mercure gradué en mm ou cm, l'hémodynamomètre. C'est l'italien Scipione Riva-Rocci (1863 – 1937) qui, en 1896, invente le premier appareil capable de mesurer la pression artérielle, le sphygmomanomètre, comportant un brassard gonflable et un manomètre. En 1905, Nikolaï Korotkov couple cet appareil à un stéthoscope qui permet de détecter le pouls artériel. La tension est prise au niveau de l'artère brachiale. Enfin, en 1909, Victor Pachon et G. Boulitte remplacent le stéthoscope par un oscillomètre : c'est l'oscillomètre sphygmomètrique du Pr Pachon.  Concrètement, le brassard est gonflé avec une pompe jusqu'à obtenir une pression de l'ordre de 20 cm de mercure – voire plus, jusqu'à 30, si nécessaire. A l'aide d'une vis d'échappement, on laisse s'échapper lentement l'air du brassard. L'oscillomètre permet de visualiser des oscillations de faible amplitude dans un premier temps. Une amplitude croissante indique la valeur de la tension systolique. Une décroissance de cette amplitude correspond à la tension diastolique. 

C'est le seul appareil dont nous disposons pour cette spécialité :

 

          

 

     

 

     
 

                                      Oscillomètre sphygmomètrique du Pr Pachon
                                      Loire         CH. VERDIN
                                                      G.BOULITTE SR
                                                 7 RUE LINNÉ. PARIS

                                      Coffret 21 x 18 x 13  pompe L 15,5  Ø 2,5
                                      Oscillomètre sphygmométrique  Ø 15,5  h 9,5

 

     

Ch. Verdin créa son entreprise en 1873. Elle était située 7 rue Linné, à Paris. G. Boulitte lui succéda vers 1905 et s'installa au 15-21 rue Bobillot, Paris XIIIè. Le coffret est complet : oscillomètre, sphygmomètre, brassard, pompe et raccord (semblable à une pompe à vélo). Il date du tout début du XXe siècle.

 

         

 

     

 

   
 
 

                                      Oscillomètre sphygmomètrique du Pr Pachon
                                       Loire                      ETS G. BOULITTE
                                                        
INGÉNIEURS-CONSTRUCTEURS
                                                            15-21 R. B
OBILLOT PARIS 13e
                                      Coffret 25 x 18 x 11  pompe L 18  Ø 2,5

                                      Oscillomètre sphygmométrique  Ø 15  h 7,5

 

    

Ce deuxième modèle est légèrement plus récent. G. Boulitte est désormais seul.

 

Sensiblement à la même époque, ont été découverts les courants électriques liés à la contraction du cœur, puis le matériel susceptible de les enregistrer pour donner l'électrocardiogramme. Bien après, avec les rayons X, l'orthodiagraphie, l'artériographie, la veinographie, l'angiographie constitueront une avancée notable dans l'exploration du système circulatoire dans la première moitié du XXe siècle. D'autres techniques viendront encore comme l'échographie, le scanner, l'IRM, mais cela n'est pas notre sujet : ces matériels n'apparaissent pas encore dans les musées..!

 

 

Bibliographie

François Millepierres, La vie quotidienne des MÉDECINS au temps de Molière, Hachette, 1965

Club de l'Histoire de l'Anesthésie et de la Réanimation

Le cœur et la circulation sanguine

Planet Vie : Mesure de la tension artérielle

 

 

FIN

 

A.R.C.O.M.A.  NOS INSTRUMENTS ANCIENS POUR LA SANTÉ ET L' HYGIÈNE

CARDIOLOGIE